Communicant redoutable, homme de réseaux, patron tenace... Qui est Guillaume Pepy, le patron qui fait de la résistance à la tête de la SNCF ?
Contre vents et marées, le président du directoire de la compagnie ferroviaire depuis 2008 devrait aller jusqu'au bout de son mandat à la tête de la SNCF, en 2020. Portrait d'un patron tenace et secret.
A la télé, sa silhouette longiligne semble arpenter sans fin les quais de gare. Les jours fastes, sourire heureux aux lèvres, il inaugure une ligne à grande vitesse en compagnie du président de la République du moment. Les jours de crise, il monte au créneau pour expliquer les raisons d'une panne, d'un incident, d'une paralysie du trafic. Nommé président de la compagnie ferroviaire en février 2008 par Nicolas Sarkozy, reconduit par François Hollande, Guillaume Pepy est devenu l'incarnation même de la SNCF. Et son patron incontesté ? Même le tragique déraillement du Paris-Limoges à Brétigny-sur-Orge (Essonne), en juillet 2013, celui d'une rame d'essai du TGV-Est à Eckwersheim (Bas-Rhin) en novembre 2015, ou l'accident au passage à niveau de Millas (Pyrénées-Orientales) en décembre dernier, ne l'ont pas emporté dans la tourmente.
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Et voilà qu'il pourrait aujourd'hui survivre à la périlleuse réforme de la SNCF, voulue par le gouvernement mais férocement contestée par les cheminots. Alors quel est ce patron hors normes, qui devrait, sauf déviation majeure, rester en poste jusqu'à 2020 ?
Une fêlure à l'âge de 18 ans
Avec Guillaume Pepy, l'exercice du portrait n'est pas simple, tant l'homme est secret. "Humainement, c'est un mystère, confie à franceinfo un excellent connaisseur, le journaliste Gilles Dansart, directeur de la lettre spécialisée sur les mobilités, Mobilettre. Très peu de gens savent qui il est, ses ressorts intimes sont très compliqués. Il est insaisissable." Aux médias, le patron de la SNCF n'a livré en pâture que "sa passion pour la chanson française populaire (Joe Dassin, France Gall, Charles Aznavour, Jean Ferrat) et pour le vélo, qu'il pratique en salle à Paris, ou le week-end, dans le sud de la France, autour du Ventoux", relate L'Obs.
Son état-civil semble raconter une jeunesse bourgeoise sans fracas : naissance à Neuilly-sur-Seine, le 26 mai 1958, d'un père avocat et d'une mère secrétaire de direction, puis scolarité dans la très select Ecole alsacienne, un établissement privé laïc situé à deux pas du jardin du Luxembourg, à Paris. La fêlure survient à 18 ans. A la lecture du livret de famille, le jeune homme découvre, selon Libération, la brève existence d'un frère aîné atteint de trisomie, décédé juste avant sa naissance.
Au moment où [mon frère] est mort, ils en ont fait un autre : moi.
Guillaume Pepyà "Libération" en 2002
S'ensuivent cinq ans de psychanalyse, qui n'entravent pas ses études. Admis à l'ENA, dont il sort parmi les premiers, il choisit le Conseil d'Etat.
Un couple "d'avant-garde" avec Richard Descoings
C'est justement au Palais-Royal que Guillaume Pepy rencontre son futur compagnon, Richard Descoings. Prélude à une longue liaison, ce coup de foudre sera projeté en pleine lumière par Richie (éd. Grasset, 2015), l'ouvrage que la journaliste du Monde Raphaëlle Bacqué a consacré au charismatique patron de Sciences Po décédé en 2012. Si Guillaume Pepy n'a jamais voulu parler à la presse de ses amours, d'autres l'ont fait à sa place. Car ce couple brillant ne s'est pas caché : les deux conseillers d'Etat, affirme l'essayiste, tenaient table ouverte dans leur appartement commun près de la Madeleine, ou "dans une maison de campagne nichée dans un jardin de roses à Saulnières", dans l'Eure-et-Loir. Quand Lionel Jospin fait voter le Pacs, en 1999, Richard Descoings s'exclame : "Cela fait dix ans que Guillaume et moi sommes à l'avant-garde !"
Pourtant, à la surprise générale, Richard Descoings épouse en 2004 la directrice adjointe de Sciences Po, Nadia Marik. Entre Pepy et Descoings, la rupture n'est pas consommée pour autant. Huit ans plus tard, quand le patron de Sciences Po meurt brutalement d'une crise cardiaque à New York, Guillaume Pepy interrompt toutes ses activités pour aller chercher le corps aux Etats-Unis et le rapatrier à Paris. A l'église Saint-Sulpice, débordant de fleurs blanches, écrit Raphaëlle Bacqué, "une demi-douzaine de ministres, de grands banquiers et des fonctionnaires en pagaille" assistent à l'enterrement. Côte à côte se tiennent, bien droits, Guillaume Pepy et Nadia Marik, qui ont "annoncé sa mort ensemble sur les faire-parts publiés dans la presse".
Le précieux réseau des "Canetons du Châtelet"
Du Siècle à l'Institut Montaigne, il est de tous les cercles influents. Il a des amis partout, et L'Obs suggère que ce réseau l'a aidé à se maintenir à son poste en 2013 après la catastrophe de Brétigny et son lourd bilan (7 morts, 250 blessés), même si Pepy, à sa décharge, n'avait pas à l'époque la responsabilité du réseau ferré.Si la très chic Ecole alsacienne lui a ouvert dès l'enfance les portes de "l'establishment", qui y inscrit volontiers ses rejetons, Guillaume Pepy a surtout étoffé son carnet d'adresses à l'ENA et au Conseil d'Etat. Contacté par franceinfo, un de ses anciens condisciples de la promotion Louise Michel, Jean-Michel Severino, se souvient des aptitudes sociales de son camarade, en ce début des années 1980. "A son côté extrêmement intelligent, fréquent dans les grandes écoles, il joignait une personnalité avec beaucoup d'empathie, dans le bon sens du terme, avec le sens du dialogue, attentif." Guillaume Pepy n'affichait alors, affirme-t-il, qu'un "seul engagement : c'était à la CFDT" [proche de la "deuxième gauche" de Michel Rocard]. Et d'ajouter :
Il n'a pas varié dans ses valeurs de gauche très ouvertes, qu'on qualifiait déjà de libérale-sociale.
Jean-Michel Severino, condisciple de Guillaume Pepy à l'ENAà franceinfo
Guillaume Pepy va en effet rapidement rejoindre la gauche au pouvoir sous le second septennat Mitterrand. Après trois ans au Conseil d'Etat, il effectue un passage au cabinet du tonitruant ministre du Budget, Michel Charasse, mais il sera surtout, de 1991 à 1993, le directeur de cabinet de la ministre du Travail, Martine Aubry. Il y nouera d'indéfectibles amitiés au sein des "Canetons du Châtelet" [du nom de l'hôtel particulier qui abrite le ministère du Travail dans le 7e arrondissement parisien]. Ce cercle d'intimes, explique Challenges, "voulait rénover les idées de gauche dans les années 1990 aux côtés de Martine Aubry".
Un quart de siècle plus tard, les "canetons" sont devenus cygnes. Jean-Pierre Clamadieu préside un groupe de chimie d'envergure mondiale (Solvay), David Azéma s'est mué en banquier d'affaires, Gilles Gateau gère les ressources humaines d'Air France... et l'ancienne conseillère à la formation professionnelle Muriel Pénicaud, à son tour devenue ministre du Travail, vole au secours de Guillaume Pepy en cas de besoin, quand il est attaqué au sein de l'exécutif. A peine arrivée rue de Grenelle, elle a d'ailleurs organisé en juin 2017, relate L'Opinion, "un dîner avec des amis chers : les anciens du cabinet de Martine Aubry, où elle avait travaillé". Cette soirée "chaleureuse", assure le quotidien économique, avait "le même animateur en chef" que jadis : Guillaume Pepy et son humour décapant, "ce genre d'humour qui a le don de dénouer les situations les plus inextricables".
Un communicant hors pair
Dans l'échange, l'humour fait partie de ses qualités. L'auteure Karine Tuil, qui a rencontré le patron de la SNCF en 2011, dans le cadre d'une série de portraits "très libres" commandés par Les Echos, en énumère quelques autres. "Il s'est montré intelligent, simple, humain, direct, spontané. Plein d'énergie, d'enthousiasme, dans l'autodérision aussi, explique-t-elle à franceinfo. A mon avis, il sait désamorcer les choses." Et de préciser :
Contrairement à d'autres dirigeants, Guillaume Pepy n'était pas dans le contrôle quand je l'ai vu. Il n'a pas demandé à relire ses propos. Par rapport à d'autres, il n'a pas éludé les questions qui fâchent.
La romancière Karine Tuilà franceinfo
N'en jetez plus ! Son seul défaut de communicant serait-il celui pointé par Libération : l'obligation pour les cameramen, quand ils le filment, de "faire un Pepy", en clair "un plan de trois quarts masquant ce strabisme tenace que quatre opérations n'ont pas su remettre droit" ?
L'émission "Secrets d'info", sur France inter, en recense de bien plus graves : le budget faramineux que la SNCF consacre à sa politique de communication au sens large. Des sommes évaluées à 210 millions d'euros par an entre 2007 et 2011, selon un rapport de la Cour des Comptes en 2013. Les magistrats de la rue Cambon dénonçaient alors des "opérations dispendieuses" et des "marchés irréguliers" en faveur d'agences amies. "Selon plusieurs anciens hauts dirigeants de la SNCF que nous avons rencontrés, écrit France Inter, Guillaume Pepy, président de la SNCF, aurait lui-même choisi les principales agences de conseil avec lesquelles il voulait travailler" sans toujours "respecter [avant 2013] la procédure d'appels d'offres". Reviennent notamment les noms de TBWA et du cabinet Tilder, avec lequel le nombre de contrats passés aurait été "impressionnant". La SNCF affirme désormais vouloir diminuer de 25% les dépenses de communication d'ici à 2020.
"Il est au cœur de la SNCF depuis vingt ans"
Mais la com' n'explique pas l'espace qu'occupe Guillaume Pepy à la SNCF, où il a effectué quasiment toute sa carrière. "Il est au cœur de la SNCF depuis vingt ans", analyse Gilles Dansart.
Cette maison n'a plus de secret pour lui. Il y a nommé tous les directeurs, il connaît tout le monde par cœur. La SNCF, c'est Guillaume Pepy qui l'a façonnée aujourd'hui telle qu'elle est. Cette toile de fond est indispensable pour comprendre que c'est un patron puissant.
Gilles Dansart, directeur de Mobilettreà franceinfo
De la numérisation accélérée de l'entreprise à la tarification flexible (et peu claire) des trajets, tous les choix ou presque ont été les siens, jusqu'à ce que la présidence Macron siffle la fin du tout-TGV. Des choix dont Pepy assume les conséquences, tout comme celles des incidents majeurs ou mineurs sur lesquels il n'a pas toujours prise.
"Accidents, conjoncture difficile... Il a une capacité à affronter la crise et les vents contraires qui forcent l'admiration", souligne encore Gilles Dansart. "Sa résilience et sa façon de rebondir fascinent tout le monde, poursuit le directeur de Mobilettre. On l'a encore vu en ce début d'année, quand il a été cloué au pilori et convoqué à propos de 2000 personnes bloquées à Bercy à Noël et une panne électrique à Saint-Lazare". Des "incidents pourtant mineurs", souligne ce spécialiste, alors que la SNCF est "la pire des entreprises pour un patron, avec 15 000 trains à faire rouler en France chaque jour, des accidents qui peuvent arriver jour et nuit et personne pour parler des trains qui arrivent à l'heure !"
Mais Guillaume Pepy, salue Gilles Dansart, a réussi une fois de plus à "reprendre la main grâce aux bons résultats de 2017 [10% de hausse de fréquentation dans les TGV ; 4,6% dans les TER]. "Dans un labyrinthe, il trouve toujours la sortie."
"Il n'y aura pas de nouveau Pepy"
Pour 450 000 euros par an (la rémunération maximale des dirigeants d'entreprise publique), Guillaume Pepy, sauf pépin majeur, semble donc bien parti pour rester jusqu'en 2020 à la tête de la SNCF. Il a déjà annoncé qu'il ne postulerait pas à un nouveau mandat et il sera difficile, pense Gilles Dansart, de trouver un successeur à cette personnalité "hors normes" et d'une "suractivité phénoménale", capable d'aller "quatorze fois en deux ans au Qatar" pour décrocher le contrat d'exploitation du métro de Doha. Car le groupe SNCF déploie désormais près de la moitié de son activité à l'étranger, transportant chaque jour "plus de 10 millions de voyageurs dans le monde et 5 millions en France".
Certains syndicalistes comme Robert Dillenseger (Unsa Cheminots) souhaitent d'ailleurs ouvertement le maintien du patron à la tête de l'entreprise. "On a à la tête de cette affaire quelqu'un qui a de l'expérience. Dans une période de changement, d'ouverture à la concurrence, de tension, je préfère travailler avec quelqu'un qui connaît son sujet. Il faut qu'il aille au bout de son mandat", confie-t-il à franceinfo. Le patron de la SNCF passe d'ailleurs pour avoir de bonnes relations avec les syndicats, ce qui aurait joué dans la baisse considérable du nombre de jours de grève en dix ans. Le gouvernement en abusera-t-il ? Selon L'Opinion, l'exécutif compte sur Pepy pour un chantier explosif : la suppression des régimes des retraites spéciaux des cheminots. "Macron va finir de l'user pendant deux ans", confie un parlementaire au quotidien.
Quant à la CGT, de son côté, elle se demande si Guillaume Pepy, en cette fin de mandat, ne va pas contribuer à "enfumer l'opinion publique" sur la question des investissements. C'est le gros caillou dans la chaussure du patron de la SNCF, abonde Gilles Dansart : "Guillaume Pepy n'a pas la même maîtrise du temps long que du temps court. C'est sa vraie faiblesse. Et pour améliorer l'infrastructure ferroviaire, il faut dix ans." Un travail au long cours, sans retour immédiat, dont Pepy ne serait guère friand. S'appuyant sur une expertise judiciaire, le magazine L'Ebdo met ainsi en cause "la fiabilité" des "passages à niveau, qui fonctionnent selon des techniques vieilles de soixante-dix ans". La collision entre un bus scolaire et un TER à Millas (Pyrénées-Orientales), où quatre enfants ont trouvé la mort le 14 décembre dernier, a relancé le débat sur leur sécurité, même si l'hypothèse de la barrière fermée semble privilégiée, selon les premiers éléments de l'enquête.
"Guillaume Pepy a manqué de profils d'ingénieurs" estime de son côté Gilles Dansart. Un certain nombre de choix n'ont pas été faits en faveur de la robustesse. Cela va des choix industriels au manque de transmission des compétences. Un savoir-faire s'est perdu. Guillaume Pepy a inventé un oxymore : 'entreprise industrielle de service', mais l'industrie n'a pas suivi." Ce qui ne l'empêche pas de conclure que son remplacement sera difficile.
Il n'y aura pas de nouveau Pepy. Lui fait tout, avec une centralisation incroyable. Après lui, pour le remplacer, il y aura une équipe.
Gilles Dansartà franceinfo
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