Vingt ans après, la gare TGV Haute-Picardie reste plantée au milieu des betteraves
Inaugurée en 1994, elle a été construite à l'écart des deux grandes villes de la région, Amiens et Saint-Quentin. Depuis, les élus tentent d'y attirer des entreprises. Reportage dans la Somme.
Bruno Etévé se souvient encore des "petits chemins" qu'il prenait pour aller cultiver ses terres, aujourd'hui disparus. L'arrivée de la ligne à grande vitesse a, en partie, bouleversé le paysage. Mais vingt ans après l'inauguration de la gare TGV Haute-Picardie, les champs sont toujours là : l'agriculteur exploite 25 hectares autour de cette halte ferroviaire, où sont plantés, selon les années, pommes de terre, blé ou betteraves.
Dans cette région du Santerre, on l'appelle "la gare des betteraves", surnommée ainsi car installée au beau milieu des parcelles agricoles. Sans doute l'un des exemples les plus emblématiques de ces gares TGV installées à l'écart des agglomérations, et qui ont souvent soulevé de houleux débats. Les Lorrains sont appelés à se prononcer, dimanche 1er février, sur l'avenir d'une gare TGV similaire, située à Louvigny (Moselle) : faut-il ou non la remplacer par une autre implantation, sur le territoire de Vandières (Meurthe-et-Moselle), à 20 kilomètres de là ? A l'occasion de cette consultation locale, francetv info vous propose un tour de France de ces gares excentrées. Première étape dans la Somme.
"Au moins, avec les betteraves, l'endroit vit"
Mise en service en 1994, Haute-Picardie TGV se situe sur le territoire de deux communes qui comptent environ 300 habitants, à une quarantaine de kilomètres de Saint-Quentin (Aisne) et d'Amiens (Somme). A l'époque, la préfecture de région avait bataillé pour obtenir sa gare lors du tracé de la LGV Nord, mais avait perdu face à Lille (Nord). Aujourd'hui, seuls une quinzaine de TGV s'arrêtent chaque jour, sans que la gare ne soit directement reliée à Paris ou au réseau des transports express régionaux (TER). L'utilisation de la gare reste donc modeste : 360 000 voyageurs y ont transité en 2013, selon les derniers chiffres de Gares & Connexion.
"C'est une gare de compromis", résume Bruno Etévé, également maire de la commune voisine de Fay (Somme). Pour tenter de profiter de son installation, la communauté de communes Haute-Picardie, dont il est vice-président, souhaite lancer une zone d'activité aux alentours. Le succès se fait, toutefois, encore attendre et les terres vacantes sont louées, pour l'instant, aux agriculteurs du coin. "C'est ce qui fait le charme de cette gare aussi, glisse l'élu. Je préfère la voir avec des betteraves autour qu'avec des zones désertes en attendant une zone d'activité. Là, au moins, ça vit."
A la sortie de la gare, deux bâtiments ont poussé sur les champs. "A vendre, à louer", précise un panneau installé sur l'un d'eux, encore à moitié inoccupé. Déjà implanté dans deux petites villes des alentours, Luc Gambet a choisi d'installer ici son nouveau laboratoire d'analyses médicales. "Cela me permet d'élargir mon rayon d'action vers Amiens", explique le chef d'entreprise. Pour justifier son choix, il vante l'accessibilité de la gare TGV, installée à l'embranchement de l'autoroute A1 Paris-Lille et de l'A29 Le Havre-St-Quentin. Indispensable quand il s'agit d'attirer du personnel très diplômé, qui n'habite pas dans ces zones rurales : "La totalité de mes employés cadres ne sont pas du coin, détaille Luc Gambet. Ils vivent à Cambrai, Lille, Maubeuge ou Amiens."
De Hong Kong à la Haute-Picardie, avec un avion et un TGV
Un peu plus loin, la société Isolectra Martin vient, elle aussi, d'emménager dans ses nouveaux locaux, un vaste bâtiment où elle fabrique des composants pour transformateurs. "Nous avons des clients un peu partout dans le monde, mais aucun en Picardie, explique le directeur, Christophe Coisne. Avoir la gare à proximité est un vrai atout. Il y a 15 jours, un client-fournisseur chinois est venu nous voir depuis Hong Kong." Le visiteur étranger a pu prendre un TGV à l'aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, près de Paris, et arriver en Haute-Picardie une demi-heure plus tard : "Bluffant", se réjouit Christophe Coisne.
Malgré la satisfaction affichée par les nouveaux arrivants, le "business park" Haute-Picardie peine à se mettre sur les rails. Une poignée d'entreprises s'est installée, mais 70 hectares sur 110 sont encore disponibles et deux bâtiments restent vides, sans avoir jamais servi. "On n'a pas eu de chance, assure Béatrice Daudré, directrice de la communauté de communes, en charge du développement économique. Le projet a été long : le temps d'acquérir le terrain, de réaliser les études, les fouilles archéologiques... Les travaux ont commencé en 2008, juste quand la crise économique a démarré. Tous les projets qu'on avait se sont arrêtés net."
Une zone en quête "d'humanité"
Une entreprise étrangère devrait bientôt s'installer, annonce Béatrice Daudré, qui se refuse, pour l'heure, à livrer plus de détails. En attendant, les allées de la zone d'activité restent peu fréquentées.
"Il manque une identité au lieu, il faut créer de l'humanité", juge Luc Gambet, le patron du laboratoire médical. Ici, pas un commerce à l'horizon : dans le hall de la gare TGV, seul un distributeur a été installé pour pallier les fringales des voyageurs. Face à l'absence de services dans les environs, le chef d'entreprise a tout prévu. En plus des bureaux, il a installé une cuisine équipée, une salle de sport, une douche et promet de faire bientôt venir un paysagiste, pour aménager un espace repas à l'extérieur. "Il faut que le personnel se sente bien, qu'il n'ait pas l'impression de débarquer au milieu de nulle part", justifie-t-il.
Béatrice Daudré se veut confiante. "Le monde attire le monde, il faut lancer la machine, explique-t-elle. On mettra plus de temps que les autres, mais on a des atouts." A la tête d'une communauté de communes de 8 000 habitants seulement, elle assure "faire le maximum" à son échelle. Elle estime qu'une stratégie d'aménagement du territoire doit "venir du haut", avec l'aide des autres collectivités. Mais Amiens, privée de gare TGV il y a vingt ans, n'a pas dit son dernier mot : à l'horizon 2020, la ville doit être desservie par une ligne à grande vitesse à destination de Roissy.
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