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Législatives 2022 : face aux ennuis judiciaires de leurs candidats, des partis dans l'embarras ou l'indifférence

Article rédigé par Catherine Fournier, Margaux Duguet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Si un candidat n'a pas été condamné à une peine d'inéligibilité, rien de l'empêche de se présenter à une élection.  (MAXPPP)

Alors que les mouvements politiques bouclent les dernières investitures pour les législatives, les démêlés avec la justice de certains prétendants à l'hémicycle ressortent des tiroirs. Mais la ligne rouge à ne pas franchir diverge selon les formations.

A chaque élection, la question revient : peut-on être candidat malgré des ennuis judiciaires ? Les législatives ne dérogent pas à la règle. Dernière illustration en date, le cas de Jérôme Peyrat, candidat LREM en Dordogne condamné en 2020 pour des violences envers une ex-compagne. Son investiture a provoqué des secousses jusque dans la majorité avec la candidature dissidente de la députée LREM sortante Jacqueline Dubois. Il a fini par se retirer, mercredi 18 mai. 

Un peu plus tôt, c'est le cas de Taha Bouhafs, investi par La France insoumise à Venissieux (Rhône), qui avait créé des remous. Ce journaliste controversé a été condamné à l'automne 2021 à 1 500 euros d'amende pour "injure publique à raison de l'origine" pour avoir qualifié la syndicaliste policière Linda Kebbab d'"Arabe de service". Pour autant, ce n'est pas cette condamnation, dont il a fait appel, qui lui a coûté son investiture, mais une affaire qui n'est pour le moment pas judiciarisée : "Un témoignage relatant des faits supposés de violences sexuelles", dont les instances de LFI ont été saisies.

Une seule limite sur le plan du droit, l'inégibilité

Sur le plan du droit, la règle est claire : si un candidat n'a pas été condamné à une peine d'inéligibilité, rien de l'empêche de se présenter. Pour M'jid El Guerrab, qui voulait se représenter dans la 9e circonscription des Français de l'étranger, la décision est tombée jeudi 12 mai. Condamné à deux ans d'inéligibilité – en sus de trois ans de prison, dont un ferme – pour l'agression à coups de casque de l'ancien responsable socialiste Boris Faure en 2017, il ne peut pas être candidat.

Emmanuel Macron voulait aller plus loin que la législation actuelle. En 2017, il avait promis de conditionner les candidatures à une élection à la présentation d'un casier judiciaire B2 vierge. Il s'agit d'une version expurgée de certaines condamnations (prononcées pendant la minorité, assorties d'une dispense de peine ou avec sursis…). Mais au nom d'un risque d'inconstitutionnalité, la mesure a été retoquée dans le cadre de l'examen de la loi pour la confiance dans la vie politique, qui prévoit finalement une peine d'inéligibilité automatique pour les crimes et certains délits. Insuffisant pour Anticor, l'association agréée de lutte contre la corruption. 

"Ça laisse la porte ouverte à certains candidats définitivement condamnés pour se présenter. C'est un trou dans la raquette qui mériterait d'être revu."

Béatrice Guillemont, directrice générale d'Anticor

à franceinfo

Des règles à géométrie variable du côté de la majorité 

Sur le plan de la moralité, la conduite à suivre est beaucoup plus floue. Elle dépend principalement de l'appréciation des partis. Au sein de l'actuelle majorité, une charte de 12 engagements vient d'être éditée. Les candidats d'Ensemble s'engagent notamment "à respecter pleinement l'obligation de probité et à s'interdire tout risque de conflit d'intérêts et d'abus". Ils doivent aussi "mettre en place des politiques ambitieuses en matière (...) d'égalité entre les femmes et les hommes."

Cette charte n'a aucune valeur juridique mais elle contraste avec plusieurs investitures polémiques. Certains candidats font l'objet d'une plainte ou d'une enquête, au pénal ou au civil. C'est notamment le cas de l'actuel ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, candidat dans le Nord et visé par des accusations de viol. Le parquet de Paris a néanmoins requis un non-lieu dans cette affaire mais la juge d'instruction doit encore se prononcer. Moins connu, Yves Blein, candidat réinvesti dans le Rhône, est, lui, visé par une plainte pour harcèlement sexuel. Une enquête a été ouverte. 

D'autres sont inquiétés pour des faits de harcèlement moral, comme Laetitia Avia, réinvestie à Paris et sous le coup d'une enquête après des plaintes d'ex-collaborateurs évoquant des humiliations répétées, ou Syra Silla, réinvestie en Seine-Maritime, et jugée mardi aux prud'hommes. Elle avait déjà été condamnée en janvier 2021 pour des faits similaires et a fait appel. Sa reconduction, "c'est une connerie", juge un cadre de la majorité. "La parité ne peut pas tout justifier", appuie un député. De manière générale, ces investitures font grincer des dents en interne. "Disons que certaines non-reconductions apparaissent d'autant plus injustes quand on voit certaines reconductions", glisse un élu.

Les mises en examen de figures de la majorité, qui bénéficient de la présomption d'innocence, ne constituent pas non plus un obstacle pour se présenter à la députation. Thierry Solère, candidat à sa réélection dans les Hauts-de-Seine, est poursuivi pour treize chefs d'accusation, dont "fraude fiscale", "emploi fictif" et "financement illicite de dépenses électorales". Eric Woerth, investi dans la quatrième circonscription de l'Oise, où il est le député sortant, est lui mis en examen par la Cour de justice de la République pour un coup de pouce fiscal contesté accordé en 2009 à Bernard Tapie. Mais le ministère public vient de requérir un non-lieu, un bon timing pour l'ex-ministre LR du Budget.

"C'est inadmissible et ça nous décrédibilise" 

Rares sont ceux qui défendent ces candidatures. "Chacun a mérité son investiture, les électeurs feront le choix, c'est la beauté de la démocratie, estime une députée. Personne n'a été condamné, il faut raison garder dans toute cette agitation." Jérôme Peyrat, ex-conseiller de l'Elysée, est un contre-exemple. Il avait donc été reconduit en Dordogne malgré sa condamnation à 3 000 euros d'amende avec sursis pour des violences conjugales sur son ex-compagne. Une condamnation qui ne figure pas sur son casier judiciaire, précise son avocate. La victime fait l'objet d'une procédure distincte pour outrage et appels malveillants à l'encontre de son ex-compagnon.

La pilule passait très mal pour les soutiens de la députée LREM sortante Jacqueline Dubois, évincée. "C'est inadmissible et ça nous décrédibilise", pestait une de ses collègues à l'Assemblée. Jacqueline Dubois est "une députée hyper appréciée dans le groupe, travailleuse, loyale, présente, abondait une autre parlementaire. Je trouve ça vraiment dégueulasse à son égard. C'est une erreur politique."  

"On a été les premiers à dire 'casier judiciaire vierge'. Certes, il ne faut pas une société de la pureté. Toutefois, il y a des investitures qui me mettent mal à l'aise."

Une députée de la majorité

à franceinfo

Cette dernière ne manque pas de souligner que "si nos opposants avaient fait ça, on les aurait dérouillés". Mercredi, Jacqueline Dubois, soutenue par les militants de sa circonscription, a annoncé qu'elle présentait en dissidence face à Jérome Peyrat, qui a fini par jeter l'éponge. 

La Nupes tente de définir sa ligne rouge

A gauche, on tente de tracer une ligne rouge entre les mises en cause tolérables et celles qui ne le sont pas. Selon nos informations, les leaders de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) sont en train d'élaborer une charte à ce sujet. Le négociateur socialiste pour l'union de la gauche, Sébastien Vincini, énumère les motifs retenus pour écarter des candidatures : "Quelqu'un qui a eu des comportements violents, commis des abus, des malversations et des faits avérés en matière de corruption ou encore tenu très clairement des propos calomnieux, homophobes, sexistes."

Dans ce cas, pourquoi certains leaders comme Jean-Luc Mélenchon ont-ils soutenu Taha Bouhafs quand il n'était encore question que de sa condamnation pour injure publique ? "Il estimait que c'était un dérapage verbal. On a fait de lui [Taha Bouhafs] le champion du séparatisme à partir d'une expression", pointe Sébastien Vincini. Le maire PS de Cintegabelle (Haute-Garonne) estime toutefois nécessaire que "chacun essaie de maîtriser son expression publique. C'est la médiatisation qui impose cela".

"Il ne faut pas s'engager en politique si on ne veut pas être exposé et avoir un self-control permanent sur ce tout qu'on dit."

Sébastien Vincini, négociateur PS pour l'union de la gauche

à franceinfo

Qu'en est-il de Fabien Roussel, visé par une enquête pour des soupçons d'emploi ficti? Candidat à sa réélection dans le Nord, le communiste est soupçonné d'avoir été payé comme assistant parlementaire sans avoir réellement travaillé à ce poste, entre 2009 et 2014. Il affirme avoir "les documents" prouvant le contraire. "C'est un non-sujet, balaie Ian Brossat, porte-parole du PCF. Il n'a même pas été mis en examen." Pas question, en revanche, d'avoir dans les rangs de la Nupes un cas comme celui de Jérôme Peyrat. "Typiquement, dans ce qui est visé dans nos dispositions, cela n'aurait pas été possible", assure-t-il.

Silence et minimisation à droite et à l'extrême droite

Du côté des Républicains, occupés à leur reconstruction après une élection présidentielle désastreuse, on n'a pas sourcillé sur la reconduction de Jacques Cattin dans la 2e circonscription du Haut-Rhin, malgré sa mise en examen pour des violences à l'encontre d'un conseiller régional du RN. Sollicité par franceinfo, le parti n'a pas donné suite à nos questions sur le sujet.

A l'extrême droite, le vice-président exécutif de Reconquête ! a pris la défense des candidats controversés du mouvement sur franceinfo, vendredi matin. "Vous en trouverez dans tous les partis", a lancé Nicolas Bay. Parmi eux, figurent notamment Samuel Lafont, qui s'est illustré par des tweets homophobes, et le militant Damien Rieu, proche du GUD. Candidat dans les Alpes-Maritimes, il est visé par une plainte de l'attaquant de l'équipe de France de football Karim Benzema pour "diffamation" après deux tweets.

"En démocratie, c'est aux électeurs de juger. Pas aux juges ni aux médias."

Nicolas Bay, vice-président de Reconquête !

à franceinfo

Il faut dire que le patron de Reconquête !, Eric Zemmour, accumule lui-même une dizaine de dossiers judiciaires contre lui, dont certains se sont soldés par des condamnations définitives, notamment pour "provocation à la haine raciale". L'ex-polémiste a mis fin au suspense en annonçant, jeudi, sa candidature dans la 4e circonscription du Var.

Au Rassemblement national, c'est silence radio sur le sujet, malgré les nombreuses sollications de franceinfo. Peut-être parce que la présidente du parti, Marine Le Pen, fait elle aussi l'objet de plusieurs procédures judiciaires en cours, dont une mise en examen pour "détournement de fonds publics" et "complicité" dans l'affaire des soupçons d'emplois fictifs d'assistants parlementaires européens. La finaliste de la présidentielle se représente dans la 11e circonscription du Pas-de-Calais. "Certains partis se désintéressent de cette contrainte éthique, relève Anticor. Mais c'est aussi aux électeurs d'avoir un œil attentif sur ces candidatures."

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