Législatives : des députés élus en 2017 racontent leur vie de parlementaire, des débuts "folkloriques" à l'examen "passionnant" des textes de loi
AprÚs avoir passé un mandat de cinq ans au Palais Bourbon, des élus de tous bords distillent leurs conseils et astuces à ceux qui pourraient les rejoindre ou leur succéder sur les bancs de l'Assemblée nationale.
En 2017, ils Ă©taient 424 Ă dĂ©couvrir le Palais Bourbon. AprĂšs les lĂ©gislatives des 12 et 19 juin prochains, une bonne partie d'entre eux ne reverront plus les jardins et les couloirs de l'AssemblĂ©e nationale. InterrogĂ©s par franceinfo, une poignĂ©e de ces primo-dĂ©putĂ©s racontent ce qu'ils ont retenu de leur passage Ă l'AssemblĂ©e nationale, aprĂšs cinq ans de mandat. Ils livrent ainsi de prĂ©cieuses astuces Ă celles et ceux qui pourraient connaĂźtre la joie d'ĂȘtre Ă©lu, dans quelques semaines.
"On a appris sur le tas"
Pour beaucoup, l'apprentissage de la fonction débute... avant l'élection législative. "Je conseille aux futurs députés de lire dÚs maintenant le rÚglement de l'Assemblée nationale et des livres comme le Manuel de survie à l'Assemblée nationale", recommande Mickaël Nogal, élu LREM de Haute-Garonne, qui a raconté son expérience de député dans le livre audio La Séance est ouverte.
Mais la théorie ne fait pas tout. "Au début, c'était folklorique", se souvient Loïc Prud'homme, député LFI de Gironde. "On a appris sur le tas." "Quand on veut entrer à l'Assemblée nationale, il faut se repasser des séances bordelisées, pour découvrir comment ça peut mal se passer, parfois", ajoute Matthieu Orphelin, député macroniste devenu écologiste, qui a décidé de ne pas se représenter.
"Pour comprendre la machine, il est nécessaire de revoir des textes qui n'ont pas été au bout."
Matthieu Orphelin, député du Maine-et-Loireà franceinfo
Ceux qui pensent ĂȘtre Ă©lus le 19 juin doivent donc bachoter, en parallĂšle de leur campagne en circonscription. SitĂŽt Ă©lus, ils devront en effet prendre une sĂ©rie de dĂ©cisions en un temps record : l'AssemblĂ©e nationale entre en fonction le mercredi 22 juin pour sa 16e "lĂ©gislature" et les nouveaux dĂ©putĂ©s commenceront Ă siĂ©ger dans l'HĂ©micycle dĂšs le mardi 28 juin.
Pour autant, il ne faut pas se précipiter, tempÚre Yaël Braun-Pivet, députée LREM devenue ministre des Outre-mer. "On doit bien choisir la localisation de sa permanence parlementaire et ses collaborateurs, car il y aura beaucoup de travail au quotidien", explique l'élue des Yvelines. "Recruter une bonne équipe de collaborateurs, quel que soit leur parcours, est indispensable", renchérit Matthieu Orphelin.
Dix jours aprĂšs le second tour, mercredi 29 juin, la composition des huit commissions permanentes de l'AssemblĂ©e nationale sera aussi connue. LĂ aussi, le moment est crucial pour les nouveaux dĂ©putĂ©s. "Vous faites des vĆux, comme en terminale, pour choisir la commission que vous souhaitez intĂ©grer", raconte MickaĂ«l Nogal. "Mieux vaut y rĂ©flĂ©chir avant pour se retrouver dans celle qui vous correspond le mieux", abonde YaĂ«l Braun-Pivet, avocate de profession, qui a pris la tĂȘte de la trĂšs technique commission des lois en 2017.
"Ăa mĂ©rite d'ĂȘtre vĂ©cu"
C'est ensuite que commencent les choses sĂ©rieuses avec une sĂ©ance extraordinaire gĂ©nĂ©ralement organisĂ©e dĂšs le mois de juillet, qui permet Ă l'AssemblĂ©e de se pencher sur les premiers textes portĂ©s par le nouveau gouvernement. TrĂšs vite, "il faut repĂ©rer les personnes clĂ©s dans les cabinets et nouer des liens avec elles", insiste AurĂ©lien TachĂ©, qui a quittĂ© la majoritĂ© LREM en mai 2020. Dans le mĂȘme temps, plusieurs dĂ©putĂ©s conseillent aux novices d'aller se faire connaĂźtre auprĂšs de leurs collĂšgues... et du grand public.
"DĂšs l'Ă©tĂ© 2017, j'Ă©tais rapporteur du budget sur l'immigration et orateur du groupe sur le Ceta, se souvient le dĂ©putĂ© LR Pierre-Henri Dumont. J'ai tout de suite Ă©tĂ© responsabilisĂ© et je suis mĂȘme devenu 'Monsieur Brexit' aux yeux de beaucoup de monde."
"Je conseillerais aux nouveaux dĂ©putĂ©s de se spĂ©cialiser. C'est bien d'avoir un avis sur plein de choses, mais penser qu'on va ĂȘtre pertinent Ă parler de tous les sujets, c'est un risque."
Mickaël Nogal, député de Haute-Garonneà franceinfo
C'est ainsi que certains parlementaires peuvent ĂȘtre amenĂ©s Ă porter une loi particuliĂšre, un exercice "gĂ©nial", selon Jean-Michel Fauvergue, ancien patron du Raid. Le dĂ©putĂ© LREM de Seine-et-Marne, qui ne se reprĂ©sente pas, a Ă©tĂ© Ă l'initiative de la loi SĂ©curitĂ© globale avec sa collĂšgue Alice Thourot. "On est dans l'exercice-mĂȘme du rĂŽle primordial du dĂ©putĂ© qui malheureusement n'est que trop rare, explique-t-il. C'est un travail passionnant, vous interrogez des gens et vous faites un paquet de propositions. Ăa mĂ©rite d'ĂȘtre vĂ©cu."
Parfois, le dĂ©putĂ© peut intĂ©grer une commission d'enquĂȘte parlementaire sur des sujets trĂšs prĂ©cis. "Quand ça arrive, on met de cĂŽtĂ©Â quelques tĂąches annexes et on les confie aux collĂšgues, raconte LoĂŻc Prud'homme, qui a prĂ©sidĂ© la commission sur l'alimentation industrielle en 2018. C'est un travail intense, quasi-exclusif, de six mois." Quatre ans plus tard, le dĂ©putĂ© LFI reste sur sa faim : "Si c'Ă©tait Ă refaire, je la mĂšnerais diffĂ©remment, car on ne mesure pas encore tout le pouvoir qu'on peut avoir. J'aurais pu faire mieux, creuser davantage sur telle question. A un nouveau, je dirais : 'Tu es un dĂ©putĂ© et tu as le pouvoir de faire ça, n'hĂ©site pas, tu peux aller vĂ©rifier ça et ça'."
"Il faut ĂȘtre stoĂŻque"
Les députés doivent passer du temps en commission, "mais il ne faut jamais se couper du terrain, c'est trÚs important malgré le nombre important de textes à étudier", avertit Matthieu Orphelin. Miser sur ses assistants parlementaires, revenir aussi souvent que possible en circonscription, répondre aux électeurs sur les réseaux sociaux... Chaque député a sa méthode. Pierre-Henri Dumont a par exemple organisé des parties de jeux vidéo dans sa permanence, jusqu'à la crise du Covid-19. "L'idée, c'était d'échanger deux ou trois heures avec les jeunes de ma circonscription, ça fait partie du job", défend-il.
De retour Ă l'AssemblĂ©e, oĂč ils sont gĂ©nĂ©ralement en milieu de semaine, les dĂ©putĂ©s doivent se confronter Ă l'une de leurs missions principales : voter les lois. "Au dĂ©but du mandat, raconte Matthieu Orphelin, Roselyne Bachelot m'a dit 'Matthieu, je te donne un seul conseil, vote toujours avec tes convictions plutĂŽt qu'avec les consignes, ça t'Ă©vitera de faire bien des conneries'."
"Il y a une libertĂ© de vote Ă avoir par rapport au groupe. Ce sont les mĂȘmes valeurs qu'on porte, mais parfois, ce n'est pas le mĂȘme chemin."
Pierre-Henri Dumont, député du Pas-de-Calaisà franceinfo
A l'inverse de son collĂšgue des RĂ©publicains, le dĂ©putĂ© LREM Jean-Michel Fauvergue estime qu'"il ne faut pas oublier d'oĂč l'on vient et ne pas trahir les engagements qu'on a pris", quitte Ă prĂȘter le flanc aux critiques de l'opposition, qui fustige des dĂ©putĂ©s "godillots" de la majoritĂ©. Et l'ancien patron du Raid d'ajouter : "Il faut ĂȘtre stoĂŻque face aux Ă©vĂ©nements, ne pas perdre son sang-froid. Je pense aux questions au gouvernement. L'HĂ©micycle est un mauvais thĂ©Ăątre oĂč les acteurs ne sont pas bons, en gĂ©nĂ©ral, mais il faut rester au bout de la piĂšce et savoir applaudir malgrĂ© tout."
"On n'a pas ou peu de vie privée"
Une fois qu'ils quittent ce "mauvais théùtre", les députés peuvent retrouver les journalistes, présents dans la salle des Quatre Colonnes. Là , "ça ne sert à rien de donner les éléments de langage, on doit bien répondre aux questions et ne pas s'affoler, car les journalistes sont nos amis", poursuit Jean-Michel Fauvergue.
Les mĂ©dias peuvent mĂȘme permettre Ă un dĂ©putĂ© novice de se faire connaĂźtre du grand public, Ă condition de "ne pas abuser des punchlines, qui sont Ă consommer avec modĂ©ration", met en garde MickaĂ«l Nogal. "Montrez votre travail, car vous serez d'abord reconnu pour ça."
"Au fond, il est nĂ©cessaire de rester soi-mĂȘme."
Yaël Braun-Pivet, élue députée des Yvelines en 2017à franceinfo
Semaine aprĂšs semaine, les dĂ©putĂ©s enchaĂźnent les longues journĂ©es, pour un marathon aux allures de sprint permanent. "Il faut bien doser ses efforts, car cinq ans, c'est trĂšs long", assure Matthieu Orphelin, victime d'un burn-out fin 2019. "Vous rĂȘvez d'avoir des journĂ©es de 48 heures", s'amuse MickaĂ«l Nogal. "Mon week-end commence en gĂ©nĂ©ral le dimanche Ă 20 heures et je fais la grasse matinĂ©e jusqu'Ă 8h30 le lundi, illustre Pierre-Henri Dumont. On n'a pas ou peu de vie privĂ©e, mais ça ne m'a pas empĂȘchĂ© de partir deux semaines l'Ă©tĂ© et une semaine Ă NoĂ«l."
Avec ce rythme effréné, "il y a un travail de préparation auprÚs de ses proches", prévient Loïc Prud'homme. "Avoir des proches compréhensifs, c'est une bonne base", confirme Mickaël Nogal.
"Il faut ĂȘtre prĂȘt Ă partir de chez soi pendant trois jours chaque semaine, annuler ses vacances ou les reporter."
Loïc Prud'homme, député de Girondeà franceinfo
Pour se reposer et "Ă©viter de somnoler" lors des sessions parlementaires, Jean-Michel Fauvergue conseille de prendre "une limonade Ă la buvette de l'AssemblĂ©e". Dans ce lieu atypique du Palais Bourbon, situĂ© derriĂšre l'HĂ©micycle et rĂ©servĂ© aux dĂ©putĂ©s, "vous croisez tous les collĂšgues et des problĂšmes se dĂ©nouent de maniĂšre informelle", sourit MickaĂ«l Nogal. C'est ici que se poursuivent les dĂ©bats "pendant des moments de dĂ©tente, autour d'un repas", parfois mĂȘme avec l'opposition.
"La bataille n'a pas été vaine"
Pour finir, de nombreux députés sont confrontés à la violence verbale et physique pendant l'exercice de leur mandat. Des dizaines de permanences ont été dégradées durant les cinq derniÚres années et les parlementaires contactés par franceinfo confie avoir reçu d'innombrables menaces.
"Il faut se préparer à un monde assez dur en politique."
Matthieu Orphelin, député du Maine-et-Loireà franceinfo
"Ceux qui viennent de la société civile n'étaient pas habitués à ça", explique Jean-Michel Fauvergue, menacé par Daech lorsqu'il était aux commandes du Raid. En plus des attaques liées à la politique sanitaire du gouvernement, Yaël Braun-Pivet a aussi été visée par des menaces antisémites. La nouvelle ministre conseille "de ne pas le cacher et de porter plainte systématiquement. C'est fondamental, sinon ce sont ceux qui les profÚrent qui gagnent."
Des batailles politiques permanentes, une cadence infernale, des menaces trĂšs prĂ©sentes... N'y aurait-il que des coups Ă prendre une fois l'Ă©charpe de dĂ©putĂ© sur les Ă©paules ? "L'AssemblĂ©e nationale, c'est le lieu principal pour faire de la politique en France. C'est trĂšs utile", assure Matthieu Orphelin. C'est mĂȘme le cas dans l'opposition, assure le dĂ©putĂ© insoumis LoĂŻc Prud'homme : "RĂ©cemment, je me disais qu'on avait passĂ© cinq ans Ă prendre des revers, mais la bataille n'a pas Ă©tĂ© vaine. On a tenu ce pour quoi on Ă©tait lĂ ." Cinq ans plus tard, il a dĂ©cidĂ© d'ĂȘtre candidat Ă sa succession. S'ils sont rĂ©Ă©lus, les primo-dĂ©putĂ©s de 2017 n'auront vraiment plus rien de novices.
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