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Municipales 2020 : bienvenue à Condé-sur-l'Escaut, la ville au taux d’imposition locale le plus élevé de France

Article rédigé par Robin Prudent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Condé-sur-l'Escaut (Nord), en 2014. (OLIVIER LECLERCQ / HEMIS / AFP)

A quelques semaines des municipales, franceinfo a analysé les données démographiques, politiques, économiques et sociales de toutes les communes françaises. Dans le Nord, la ville de Condé-sur-l'Escaut, 9 680 habitants, bat le record de la taxe d'habitation la plus élevée : 43,17%.

"Trop de taxes !" En mars 2019, les "gilets jaunes" de Condé-sur-l'Escaut (Nord) ont résumé leur pensée avec ces trois mots tagués sur la porte de la cossue mairie. Idem au centre des finances publiques du coin. Cette fois, des manifestants ont carrément déroulé une grande banderole (article abonnés) : "Condé dans le top 5 des villes les plus taxées de France." Il faut dire que la ville détient même un record : celui de la taxe d'habitation la plus élevée* du pays.

Les données publiées chaque année par le gouvernement sont sans appel : le taux d'imposition voté en 2019 à Condé-sur-l'Escaut est de 43,17% pour la taxe d'habitation, soit près de trois fois le taux moyen des communes similaires. Ce n'est pas mieux du côté de la taxe foncière sur le bâti : 47,20%, contre 20,88% en moyenne. De quoi également placer la commune dans le top 10 français* pour cette taxe payée par les propriétaires immobiliers. La chambre régionale des comptes fait le même constat en pointant des "taux particulièrement élevés au regard des taux moyens nationaux", dans un rapport de 2016.

"C'est un salaire et demi qui part chaque année !"

Forcément, le sujet n'en finit pas d'occuper la campagne des élections municipales des 15 et 22 mars. Tous les candidats le reconnaissent : le taux d'imposition local est très élevé, trop élevé même. "On est dans le hit-parade de l'imposition", lance Roland Bouvart, candidat d'opposition de droite à la mairie. "Moi, je paie 1 800 euros d'impôts locaux, c'est un salaire et demi qui part chaque année !" renchérit David Richer, candidat de La France insoumise. Bilan : "C'est un repoussoir, le nombre d'habitants diminue", déplore l'opposant de gauche, qui a aussi porté un gilet jaune l'année dernière.

Condé-sur-l'Escaut (Nord). (FRANCEINFO)

Alors, comment expliquer ces taux hors norme ? Le maire de Condé-sur-l'Escaut, Grégory Lelong (UDI), énumère bien les deux crèches, les nombreuses écoles, les grands espaces verts à entretenir… mais son constat n'est pas partagé par tout le monde. "On devrait avoir des écoles trois étoiles, mais ça n'est pas le cas, elles pourrissent !" accuse David Richer.

Une pléthore d'agents municipaux

Tout le monde semble cependant s'accorder sur une spécificité locale : la (très) importante masse salariale de la ville. En 2015, celle-ci comptait 225 équivalents temps plein, selon le rapport de la chambre régionale des comptes. Soit environ 300 agents. De quoi accaparer près de 9 millions d'euros par an et quasi 70% du budget de fonctionnement de la commune. "C'est la désorganisation la plus totale, lâche Paolino Manganaro, ancien adjoint du maire, passé dans l'opposition. Par exemple, il y a une seule personne affectée à la sécurité et quatre au service communication. Ce n'est pas normal."

Il y a une trop grosse masse salariale et elle est très mal utilisée. Les agents ne savent pas forcément quoi faire de leurs journées.

David Richer, candidat LFI aux municipales

à franceinfo

Le taux d'absentéisme est aussi préoccupant pour la municipalité. Il est évalué, selon la chambre régionale des comptes, à 21,44% en 2015 (contre 8,7% en moyenne en France). "Ce sur-absentéisme a représenté une charge supplémentaire de 964 045 euros pour la commune" par an, indique l'institution. De quoi faire réagir l'opposition. "La seule méthode, c'est juguler les dépenses de fonctionnement et rendre efficaces les différents postes. Il faut une réorganisation de fond", insiste l'opposant de droite Roland Bouvart. De son côté, Paolino Manganaro plaide pour "l'externalisation et la mutualisation" de certains services.

"C'était un choix politique d'antan"

Pour comprendre ce fonctionnement, il faut remonter quelques années en arrière, pendant "l'ère Bois". Quand Henri Bois dirigeait la ville, entre 1965 et 1983, et surtout lors des cinq mandats suivants de son fils, Daniel Bois, engagé au Parti radical de gauche et maire de 1983 à 2014. "On a été une ville frappée par la récession minière, avec des usines qui partent, mais on a réussi à sortir de ces années difficiles", résume la troisième génération, Joël Bois, ancien premier adjoint de son père et candidat, à son tour, à la tête de la mairie.

"Avant moi, il y avait une politique de taux d'imposition assez forts. C'était un choix politique d'antan de travailler sur le développement de services, mais il faut en supporter aujourd'hui le coût", explique le maire actuel, Grégory Lelong. Lui s'est fait élire en 2014 avec la promesse de diminuer le poids de l'imposition locale. Après six ans de mandat, les deux taux ont effectivement diminué… mais seulement de 2 à 3 points. Insuffisant pour faire sortir Condé du podium des villes les plus taxées.

Des taxes payées par une minorité d'habitants

Ce taux d'imposition élevé cache aussi une autre réalité : la commune connaît de grandes difficultés économiques, avec un taux de chômage qui dépassait les 32% en 2016, selon l'Insee. De quoi faire chuter le nombre de ménages imposés (moins de 30%) et la valeur des biens immobiliers, qui sert de base à ces impôts locaux. Le calcul est vite fait : malgré des taux d'imposition très hauts, "le retour financier est très limité", constate Grégory Lelong.

Les chiffres officiels le montrent : le produit de la taxe d'habitation rapportait 222 euros par habitant en 2018, soit l'équivalent de la moyenne française. Pas plus qu'ailleurs donc. Idem pour la taxe foncière. Les taux records d'imposition compensent simplement le manque à gagner d'une base imposable très limitée… "L'impôt local est payé par une petite partie de la population", confirme le candidat aux municipales Joël Bois. Ce dernier ne préfère d'ailleurs pas promettre une baisse des taux d'imposition en cas de victoire, mais plutôt un audit financier complet.

Aujourd'hui, la ville vit en réalité grâce aux subventions et, surtout, à la dotation globale de fonctionnement versée par l'Etat. Celle-ci rapporte même plus que les impôts locaux : elle représente 600 euros par an et par habitant, contre 152 euros en moyenne pour les communes similaires. Une aide indispensable pour Condé, malgré son taux d'imposition record.

* Parmi les communes métropolitaines de plus de 1 000 habitants.

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