"C'est maintenant que ça commence" : on a suivi les premiers pas de la nouvelle maire écolo de Poitiers, Léonore Moncond'huy
Vendredi soir, la jeune femme de 30 ans entrera en fonction, au terme d'un conseil municipal d'intronisation qui mettra fin à près d'un demi-siècle de socialisme dans la capitale poitevine.
Léonore Moncond'huy nous demande de patienter quelques instants car elle doit se concentrer pour envoyer "un SMS important". Elle hésite sur la formule, demande conseil à son directeur de campagne en lui tendant son smartphone : "Tu en penses quoi là ?" On ne verra pas le contenu du message mais on connaît au moins son destinataire : le président du conseil départemental de la Vienne. Depuis qu'elle a été élue maire de Poitiers, dimanche 28 juin, l'écologiste de 30 ans a basculé dans un autre monde. "Nouveau job pour une nouvelle vie", pour paraphraser une célèbre émission de télé.
Certains s'en amusent : Léonore Moncond'huy a mis fin à quarante-trois ans de gouvernance socialiste dans la capitale poitevine en obtenant justement... près de 43% des voix (contre un peu moins de 36% pour son adversaire) lors du second tour des municipales. La voilà qui prive le maire sortant, Alain Claeys, d'un troisième mandat consécutif. Douze ans de règne qui prennent fin presque sans prévenir. Une claque, alors même qu'il avait devancé la candidate verte de près de cinq points au premier tour, mi-mars. L'ancien député a lui-même reconnu sa défaite le premier, dans une courte vidéo postée par des journalistes locaux sur les réseaux sociaux, plus d'une heure avant les premiers résultats officiels. "Quand j'ai vu les images, j'ai cru à une blague, raconte après coup Léonore Moncond'huy. On était en train de finaliser nos discours, avec les deux scénarios en tête, 'On a gagné' ou 'On a perdu'."
Après l'annonce des résultats, elle a fait le tour des services de la ville pour les saluer. Puis elle a rejoint Le Baffalou, un bar à jeux que son équipe avait réservé, à trois pas du local de campagne d'Europe Ecologie-Les Verts (EELV). Stéphane Allouch, dixième sur la liste, se souvient d'avoir dansé sur Gala et chanté du Johnny Hallyday dimanche. "Un vrai bon moment, une ambiance géniale", résume le fonctionnaire, bien en peine pour camoufler les poches sous ses yeux. "La nuit a été courte, admet très sobrement Léonore Moncond'huy. Je me suis couchée vers 4 heures et je devais être en direct à 7h50 sur France Bleu. Bon, après tout, c'est ce qui m'attend maintenant."
En me réveillant lundi matin, j'ai ressenti ce changement de posture. Je n'étais plus la candidate, mais celle qui va diriger la ville pendant les six prochaines années.
Léonore Moncond'huyà franceinfo
En marchant dans la rue, elle évoque les "trucs de fou" qui se passent depuis dimanche. Avant de corriger et de parler plus poétiquement d'une sorte de "tourbillon" dans lequel elle se trouverait. Rentrer dans le costume, petit à petit. Léonore Moncond'huy se prépare pour une séance photo. Une Citroën rouge ralentit à sa hauteur, une dame baisse sa vitre et lance un "bravo !" à la nouvelle édile. Dans la foulée, le directeur de campagne de la première écologiste à devenir maire de cette ville de près de 90 000 habitants lui annonce qu'il vient de recevoir une nouvelle demande d'interview, cette fois de la chaîne allemande ZDF. Changement d'univers.
"Les trottinettes au jus de betterave"
La première fois qu'on a croisé Léonore Moncond'huy, lundi après-midi, son portable affichait un peu plus de 200 messages non lus. Depuis dimanche soir, elle en a reçus de "tout le monde". "Ceux du parti : Yannick Jadot, David Cormand, Julien Bayou... J'ai aussi eu Benoît Hamon au téléphone, il avait le numéro d'un de nos colistiers", énumère celle qui s'est engagée en politique il y a seulement cinq ans. Et encore, elle a vite arrêté de compter les mots de félicitations que s'envoient mutuellement les têtes de liste EELV dans leur groupe WhatsApp privé.
Je n'avais pas mesuré à quel point c'était important pour les gens que je sois jeune et que je sois une femme.
Léonore Moncond'huy
Mais Léonore Moncond'huy n'a pas que des amis. Sur Facebook, quelques messages de "bienvenue" ironiques fleurissent. Un habitant de Poitiers manque de s'étrangler en se voyant déjà obligé de "rouler en trottinette qui carbure au jus de betterave". Un autre estime qu'"avec les écolos, les délinquants et dealers ont de beaux jours devant eux à Poitiers". "Une femme, on a vu ce que donnait [Ségolène] Royal, ça sera le même niveau", prévoit un troisième. La toute première femme maire de Poitiers encaisse : "Cela reflète des peurs du changement qu'il faut prendre en compte. Mais il n'y a pas de peur à avoir, assure-t-elle. Nous avons une politique en faveur de la sécurité à Poitiers, nous avons une politique pour la mobilité qui ne passe pas que par les trottinettes au jus de betterave. Je n'ai pas non plus l'intention de mettre des pistes cyclables partout."
A ceux qui doutent ou qui critiquent avant de pouvoir juger sur pièces, elle rappelle qu'"on a été sérieux pendant toute la campagne, et on a bien l'intention de continuer à l'être pendant toute la mandature. C'est maintenant que ça commence."
Et il y a beaucoup à faire. Non, mieux : il y a tout à faire. La majorité sortante a gentiment accepté de prêter à la future maire et à son équipe, pour quelques jours avant son intronisation officielle, un bureau au premier étage de la mairie, celui qu'occupe le groupe communiste en temps normal. Trois paillasses, trois chaises, une cafetière et de quoi ranger des dossiers. A commencer par celui sur les adjoints. Un vrai casse-tête, il ne faut froisser personne. "Qui à la culture, aux sports, aux finances ? Qui va sur quelle politique, qui va sur quelle thématique ? C'est une étape extrêmement importante", commente, sans en dire plus, celle à qui reviendra la décision finale.
Son futur bureau, celui de maire de Poitiers, est situé à l'étage au-dessus, au deuxième. Elle n'aura qu'à tourner la tête vers la droite pour profiter d'une vue imprenable sur la place du Maréchal-Leclerc. Léonore Moncond'huy connaît déjà ce bureau : elle y a passé la fin de matinée et une bonne partie de la pause déjeuner, mardi, pour parler de la suite. L'invitation venait du maire sortant. "C'est important de nous voir. Il y a deux budgets importants à venir, celui de la ville dans une quinzaine de jours, et celui de l'agglomération dans la foulée", détaille Alain Claeys, rompu à un exercice depuis 2008.
Je me dois de lui donner l'ensemble des éléments pour qu'elle puisse faire les choix. Je veux que ce soit une transition propre.
Alain Claeys, maire sortant de Poitiersà franceinfo
Bon perdant ? "Républicain", répond-il du tac au tac, même s'il a choisi de ne pas siéger dans l'opposition. Au moment où il faisait le point avec la future locataire des lieux, les directeurs de cabinet des deux camps se retrouvaient d'ailleurs pour passer en revue "quelques points pratiques, notamment des questions RH."
Photos, tableaux et nouveau numéro
Alain Claeys ne devait nous accorder "que dix minutes", on est finalement restés près d'une demi-heure. Celui qui fêtera ses 72 ans fin août raconte avoir commencé à faire ses cartons dès le début de semaine. Sur la cheminée, toutes ses photos personnelles ont disparu. Il y en avait une avec l'avocat Jean Veil, le fils de Simone Veil. Une autre du Congrès de Versailles organisé le 15 novembre 2015, où il était présent en tant que député de la première circonscription de la Vienne. Mais c'est un cliché représentant un jeune guitariste venu jouer au Théâtre auditorium de Poitiers (TAP) juste après les attentats de Paris qui lui arrache quelques larmes.
Il s'excuse à deux reprises avant de reprendre là où il en était resté. Les drapeaux français et européen, posés à droite de son bureau, restent là, tout comme le portrait d'Emmanuel Macron. En revanche, il récupérera son écharpe bleu-blanc-rouge. Quant aux tableaux au mur, "madame Moncond'huy en fera ce qu'elle veut, je les lui laisse". Sur la petite table basse, une boîte de smartphone. "C'est pour mon téléphone professionnel, je vais le rendre. En revanche, je garde le numéro, j'ai plein de contacts dedans."
Léonore Moncond'huy va faire l'inverse en demandant un second numéro, "plus pratique", pense-t-elle. Elle n'a pas encore "tout à fait" réfléchi aux objets qui viendront décorer son nouveau lieu de travail. En tout cas, "c'est sûr", "il y aura quelque part une photo de l'équipe car on fonctionne depuis deux ans à 100% en collectif."
Elle a déjà prévenu ses proches qu'elle serait moins disponible. Elle envisage aussi de déléguer en partie la gestion de ses réseaux sociaux, "trop chronophage". En revanche, pas touche aux discours : c'est elle, et elle seule, qui les rédigera. Sans exception. Elle a d'ailleurs commencé à écrire celui qu'elle prononcera vendredi soir, lors du conseil municipal qui l'intronisera officiellement maire de Poitiers. Léonore Moncond'huy a prévu de le répéter au moins une fois, avec son cercle le plus proche comme auditoire.
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