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Patrimoine et héritage : sept choses à savoir pour comprendre le débat sur les droits de succession

Le Conseil d'analyse économique, chargé d'"éclairer" le gouvernement sur les questions économiques, incite à "repenser l'héritage". Plusieurs candidats à la présidentielle se sont déjà emparés du sujet.

Article rédigé par Anne Brigaudeau
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Publié Mis à jour
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La façade du ministère des Finances à Paris, le 23 novembre 2021. (ERIC BERACASSAT / HANS LUCAS / AFP)

"Je ne fais pas partie de ceux qui pensent qu'il faut augmenter les droits de succession à tout-va, au contraire." Dans son entretien avec des lecteurs du Parisien, mardi 4 janvier, Emmanuel Macron s'est à son tour lancé dans le débat sur l'héritage. A droite et à l'extrême-droite, plusieurs candidats à la présidentielle ont déjà donné le ton en prônant, sans surprise, un allègement de cette fiscalité. La candidate des Républicains, Valérie Pécresse, défend ainsi l'idée d'un "choc de transmission de patrimoine", avec un régime de donations de 100 000 euros défiscalisées tous les six ans (au lieu de quinze ans). A gauche, le candidat de la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon veut, lui, plafonner l'héritage maximal à 12 millions d'euros.

Ne serait-il pas temps de "Repenser l'héritage" (PDF), comme l'a proposé le Conseil d'analyse économique (CAE), qui conseille Matignon ? Il constate notamment le retour d'une "société d'héritiers" qui "porte en lui le risque d'un dérèglement profond de l'égalité des chances". Voici sept choses à avoir en tête pour mieux comprendre le débat avant les échéances électorales d'avril.

L'héritage pèse de plus en plus lourd dans la position sociale des Français

Le premier constat est sans appel : l'héritage joue un rôle croissant dans la fortune des plus aisés. "Après les Trente Glorieuses [de 1945 à 1975], caractérisées par une forte croissance, c'est le travail qui déterminait la position sociale et économique des gens", explique à franceinfo l'économiste Clément Dherbécourt, un des auteurs de la note du Conseil d'analyse économique. "Aujourd'hui, on observe le retour de l'héritage. C'est lui qui joue un rôle de plus en plus important dans la position sociale et économique, et ce n'est pas fini."

Le risque est évident : va-t-on revenir à une "société d'héritiers" fondée sur des inégalités déterminées dès la naissance, comme à la Belle Epoque, à la fin du XIXe siècle ? Certains exemples sautent aux yeux : "pouvoir acheter ou non un logement à Paris est de plus en plus lié à l'héritage", observe ainsi Guillaume Allègre, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Et le phénomène s'accentue. "En France, la part de la fortune héritée dans le patrimoine total représente désormais 60%, contre 35% au début des années 1970", selon le CAE.

Les politiques vantent volontiers la "valeur travail" ? Les économistes, eux, constatent que les héritiers les plus fortunés vivent mieux de leur rente que les salariés les mieux payés pour leur travail.

Le top 1% des héritiers d'une cohorte peut désormais obtenir, par une simple vie de rentier, un niveau de vie supérieur à celui obtenu par le top 1% des "travailleurs".

Le Conseil d'analyse économique

dans sa note "Repenser héritage"

Conclusion : "pour parvenir tout en haut de la distribution des niveaux de vie, il devient quasiment impératif d'avoir la chance d'hériter", souligne encore le CAE.

Sa répartition est extrêmement concentrée

Alors qu'une majorité de Français n'hériteront de rien ou presque, "moins de 10% d'individus hériteront de plus de 500 000 euros de patrimoine au cours de leur vie", expose le CAE, avant de détailler quelques chiffres.

"Le top 1% des héritiers d'une génération recevra en moyenne plus de 4,2 millions d'euros nets de droits et le top 0,1% environ 13 millions d'euros."

Le Conseil d'analyse économique

dans sa note "Repenser l'héritage"

En mai 2021, le quotidien américain The Financial Times plaçait la France en tête des pays comptant le plus de milliardaires par héritage. Près de 80% de ces très grandes fortunes françaises sont en effet héritées, selon les données de Forbes citées par le journal.

Des niches fiscales permettent aux plus riches de payer moins d'impôts

Sur le papier, l'impôt sur les successions est progressif, avec un taux d'imposition de 30% au-delà de 550 000 euros, de 40% au-delà de 900 000 euros, et de 45% au-dessus de 1,8 million d'euros, selon le ministère des Finances. Mais la réalité est assez différente : le maquis fiscal regorge de niches, méconnues du grand public, mais parfaitement accessibles aux plus aisés.

"Le taux d'imposition sur les successions peut être élevé, mais il y a plein de niches fiscales généreuses et non plafonnées, qui réduisent fortement la progressivité de l'impôt."

Clément Dherbécourt, économiste

à franceinfo

Banquiers et gestionnaires de fortune, eux, savent jongler entre les différentes exonérations et réductions d'impôts liées à l'assurance-vie ou à la transmission d'entreprises. Ou jouer, du vivant du donateur, de la transmission de biens immobiliers en "nue propriété avec réserve d'usufruit" (qui permet une estimation moindre de la valeur du bien) ou encore de donations exonérées d'impôt à hauteur de 100 000 euros, par parent et pour chaque enfant, tous les 15 ans. A eux seuls, les trois premiers mécanismes feraient perdre plus d'une dizaine de milliards chaque année aux caisses de l'Etat, selon les estimations du CAE.

En pourcentage, les plus riches paient donc moins d'impôts que les classes moyennes supérieures, assène encore le Conseil d'analyse économique. "Dans le haut de la distribution, écrit-il, le top 0,1% de chaque cohorte, qui aura reçu au cours de la vie environ 13 millions d'euros de transmissions brutes, ne paie qu'à peine 10% de droits de succession sur l'ensemble de ce patrimoine hérité". Une proportion très éloignée du "taux marginal de 45% affiché par le barème au-delà de 1,8 million d'euros transmis en ligne directe".

Une grande partie des Français n'hérite de rien

A l'inverse, la grande majorité des Français n'héritera de rien ou d'une somme relativement faible.

"Au sein d'une cohorte, 50% des individus auront hérité de moins de 70 000 euros de patrimoine tout au long de leur vie. Parmi ceux-là, une large fraction n'aura hérité d'aucun patrimoine."

Le Conseil d'analyse économique

dans sa note "Repenser l'héritage"

Conséquence logique : la plupart d'entre eux n'auront jamais à payer de droit de succession. En effet, l'abattement est de 100 000 euros en ligne directe (de parents à enfants) et il n'y a rien à payer sur les transmissions inférieures à ce montant.

"De 85 à 90% des héritages en ligne directe (de parent à enfant) sont exonérés d'impôt", explique Clément Dherbécourt. Mais peu de gens le savent, selon une enquête menée en 2017 par le Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Credoc).

La transmission indirecte est fortement taxée

En revanche, en dépit des bouleversements sociétaux, les transmissions hors liens familiaux directs reste lourdement taxés. Une des lectrices du Parisien s'en est d'ailleurs émue dans une question au président de la République.

"J'ai hérité de ma marraine et l'Etat français m'a volé 60% de l'héritage, je trouve ça scandaleux. Quand est-ce que vous allez arrêter ça ?"

Une lectrice du Parisien à Emmanuel Macron

dans Le Parisien du 4 janvier

Réponse du chef de l'Etat : "Votre problème est très spécifique : vous seriez en filiation directe, vous auriez été beaucoup moins taxée." Sur ce point, l'Etat n'a guère évolué. Les transmissions de parents à enfants ou entre époux sont toujours privilégiées. Tant pis pour les autres affinités électives, les couples non mariés, même pacsés : elles voient s'appliquer un taux unique de 60% d'imposition pour les héritiers.

C'est cette imposition sur l'héritage indirect qui s'avère particulièrement lucratif. "En dépit de représenter moins de 10% du capital transmis, les successions et donations en ligne indirecte rapportent plus de 50% des droits de mutation à titre gratuit (c'est-à-dire des droits payés sur les donations et les successions)", révèle encore la note du CAE. "Quand on regarde les comparaisons internationales, la France figure parmi les pays qui taxent le plus l'héritage, mais c'est en grande partie parce qu'on fait beaucoup payer en ligne indirecte", résume Clément Dherbécourt.

C'est un impôt impopulaire et mal compris

Alors qu'une bonne partie des Français n'en paiera jamais, l'impôt sur l'héritage est impopulaire, mal connu et mal compris, selon l'enquête menée en 2017 par le Credoc. A peine 9% des sondés (contre 17% en 2011) estimaient que "l'impôt sur l'héritage devrait augmenter car les héritages entretiennent les inégalités sociales". Et 87% étaient d'avis que "l'impôt sur l'héritage devrait diminuer car il faut permettre aux parents de transmettre le plus de patrimoine possible à leurs enfants". Les politiques jouent donc sur du velours en prônant la réduction de la fiscalité sur l'héritage, même si cette baisse ne profite qu'aux plus aisés.

Une infographie du Credoc illustrant les réponses à une enquête sur l'impôt sur l'héritage. (CREDOC)

Autre enseignement, l'enquête du Credoc comme les travaux plus récents du CAE (PDF) montrent que le montant de cet impôt est également fortement surestimé par les personnes interrogées. "Ces biais de perception vont systématiquement dans le même sens, tendant à surestimer largement le poids des droits de succession pesant sur les classes moyennes", regrette le Conseil d'analyse économique. Parallèlement, il déplore "l'absence d'informations fiables de la part de l'administration fiscale" qui n'a produit, "depuis 2006, aucune information exploitable permettant de retracer les transmissions effectuées et les droits payés".

Des droits à réformer "pour renforcer l'égalité des chances"

Ce manque de données contraste cruellement avec les rapports qui se multiplient, comme celui du Conseil d'analyse économique à l'OCDE (PDF), pour réclamer une refonte des droits de succession. Avec un double objectif : davantage de lisibilité et davantage de justice, au vu des inégalités qui se sont encore creusées pendant la pandémie.

"Un impôt sur les successions, notamment s'il cible des niveaux relativement élevés de transmission de patrimoine, peut être un levier important pour renforcer l'égalité des chances et réduire la concentration des richesses."

L'OCDE

dans son rapport 2021 sur "L'impôt sur les successions"

A cette fin, le Conseil d'analyse économique recommande la suppression des multiples niches fiscales sur les successions et les donations. Celles-ci constituent, à ses yeux, autant de trous dans la raquette en faveur des plus riches, avec une "justification économique limitée", y compris sur la vie des entreprises. Pour Clément Dherbécourt, la fin des exonérations n'aura pas les impacts négatifs souvent mis en avant. "On dit que les riches trop taxés vont partir, quitter le pays ! Mais quand on regarde la littérature académique sur le sujet, on voit que c'est beaucoup plus faible que ce qu'on peut penser."

Lui juge nécessaire une remise à plat, parce que "l'héritage contribue à l'inégalité des chances et ralentit la mobilité sociale". Ultime recommandation, enfin, du CAE : "garantir", dès 18 ou 25 ans, le versement d'"un capital pour tous" pour "réduire les inégalités les plus extrêmes de patrimoine dans le bas de la distribution" et favoriser l'accès de tous "à l'éducation, à l'investissement, au logement". Donner une chance à tous les jeunes, quel meilleur thème de débat pour la présidentielle ?

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