C'est quoi la planification écologique, dont Emmanuel Macron veut charger son futur Premier ministre ?
Dans l'entre-deux tours de la présidentielle, le président de la République a repris à son compte la planification écologique, un terme utilisé jusqu'ici par Jean-Luc Mélenchon. Franceinfo vous aide à y voir plus clair sur ce concept.
C'est la promesse de dernière minute, sortie du chapeau présidentiel dans l'entre-deux tours pour verdir un programme jugé insuffisant face à la crise climatique. Le 16 avril à Marseille (Bouches-du-Rhône), Emmanuel Macron a promis de confier à son futur Premier ministre la planification écologique, un concept jusqu'ici porté par le troisième homme de cette élection, Jean-Luc Mélenchon. "Parce que cela concerne tous les domaines, tous les secteurs, toutes les dépenses, tous les équipements, tous les investissements, bref toutes les politiques, avait-il argumenté. Objectif de cette "politique des politiques" : "aller deux fois plus vite" dans le rythme de réduction des émissions de gaz à effet de serre, ces gaz moteurs du réchauffement climatique et produits par notre consommation quotidienne d'énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz).
Mais que signifie ce terme mis en avant par le président de la République ? En attendant la formation du nouveau gouvernement, franceinfo vous explique ce qu'est la planification écologique.
Une méthode plus qu'une idéologie
Revendiquée à la fois par Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron, la planification écologique séduit les tenants d'une écologie anticapitaliste, comme les promoteurs de la croissance verte. "Dès qu'on parle du fond, ses partisans lui donnent des contenus contradictoires", observe l'avocat Arnaud Gossement, spécialiste en droit de l'environnement. Il s'agit donc avant tout d'un outil, d'une méthode ou d'une recette, plus que d'une idéologie. Même si la planification écologique suppose, a minima, de reconnaître la réalité du réchauffement climatique et les engagements de la France sur le front de cette crise – signature de l'accord de Paris et atteinte de la neutralité carbone en 2050.
Le contenu peut donc varier, mais Sébastien Treyer, directeur de l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), liste quatre points incontournables dans une démarche de planification écologique : "des objectifs à moyen et long termes, impératifs et portés par une ambition politique au plus haut niveau", des "investissements publics" qui entraînent des investissements privés, une "mobilisation collective" de tous les acteurs de la société et un "suivi d'évaluation exigeant, avec des points d'étape et une logique contraignante si le changement n'a pas lieu". La neutralité carbone, "on ne va pas y arriver par hasard", résume Benoît Leguet, directeur général de l'Institut de l'économie pour le climat (I4CE). Egalement membre du Haut conseil pour le climat, il compare la planification à la rénovation d'une maison : un programme de travaux, un maître d'œuvre pour les piloter, un budget et un contrôle, par le propriétaire, de la bonne avancée du chantier.
Pour Matthieu Auzanneau, directeur du groupe de réflexion The Shift Project, qui a publié son Plan de transformation de l'économie française, cette méthode est "une inversion" de l'approche dominante. Celle-ci consistait par exemple à "augmenter les taxes sur les carburants et à se dire : 'On verra bien ce que l'économie produira'", explique-t-il, avant de rappeler : "Nous avons vu avec le mouvement des 'gilets jaunes' que c'était un peu court. Là, avec la planification, on reprend le problème à la source", en s'attaquant directement aux émissions. Ancienne conseillère au ministère de la Transition écologique, Marine Braud souligne que la démarche permet aussi de "donner de la visibilité aux acteurs". "Aujourd'hui, on a du mal à développer la filière de la rénovation énergétique et l'une des raisons, c'est qu'on ne donne pas assez de visibilité aux entreprises du bâtiment, en changeant les aides tous les six mois", poursuit l'autrice du programme de transition pour les 100 premiers jours du quinquennat publié par le groupe de réflexion Terra Nova.
Une démarche qui existe, mais fonctionne mal
"Green deal" européen, Stratégie nationale bas-carbone (SNBC), plan écophyto, Programmation pluriannuelle de l'énergie, Plan national d'adaptation au changement climatique... La planification écologique "renvoie à de très nombreux instruments juridiques qui existent déjà et qui ont pour but de se donner de grands moyens et des objectifs en matière d'environnement", remarque l'avocat Arnaud Gossement. Le problème, complète Benoît Leguet, "c'est que nous sommes très forts pour se fixer des objectifs, élaborer des stratégies et ne pas les appliquer". Le plan écophyto est cité par plusieurs des interlocuteurs de franceinfo comme l'exemple parfait. En 2008, dans la foulée du Grenelle de l'environnement, la France lance un grand plan pour réduire de 50% l'usage des pesticides d'ici 2018. Dix ans plus tard, l'échec est flagrant : 800 millions d'euros de dépenses pour une augmentation des usages de 15%.
"Aujourd'hui, la SNBC, c'est un rapport qui sert à caler une armoire au ministère de la Transition écologique et dès qu'il y a des problèmes, on dit : 'C'est pas possible, on ne le fait pas.'"
Benoît Leguet, directeur de l'Institut de l'économie pour le climatà franceinfo
Aux premières loges du dernier quinquennat, Marine Braud a pu constater que "personne ne se sent redevable de la SNBC, personne ne la pilote au quotidien et les objectifs ne sont pas atteints". Pourtant, l'ancienne conseillère des ministres Elisabeth Borne et Barbara Pompili souligne l'importance d'un soutien politique constant. "Les plans climat et biodiversité étaient portés par Nicolas Hulot et quand il est parti, il n'y a plus eu de portage politique, raconte-t-elle. Il faut faire en sorte que quand le politique change, le plan ne change pas et que le ministre qui arrive se sente redevable des objectifs fixés par ses prédécesseurs."
Une stratégie qui exige des moyens
La planification écologique voulue par Emmanuel Macron sera-t-elle plus efficace ? Nos interlocuteurs s'accordent sur le fait qu'il est trop tôt pour le dire. Marine Braud, qui proposait dans sa note de créer un secrétariat général à la transition écologique à Matignon, sera particulièrement attentive aux moyens humains mis en place auprès du futur Premier ministre. "Si vous lui confiez la planification, mais qu'il n'y a pas d'équipe dédiée, c'est une promesse de papier qu'il ou elle sera incapable de tenir", estime-t-elle.
Le profil de la ou du futur(e) élu(e) sera également déterminant. "Si c'est quelqu'un dont je doute de la compréhension des enjeux, j'ai du mal à voir comment cela pourrait fonctionner", poursuit l'ancienne conseillère. Pour l'avocat Arnaud Gossement, il faut que cette personne "ait des relais politiques dans la majorité", contrairement à Nicolas Hulot, premier occupant du poste de ministre de la Transition écologique d'Emmanuel Macron.
Benoît Leguet surveillera pour sa part la manière dont cette mission de planification se retrouve dans la déclaration de politique générale du nouveau Premier ministre et dans les premières lois adoptées. "Si ce n'est pas traduit dans le budget 2023, [examiné à l'automne], cela sera compliqué d'y croire", met-il en garde. Sébastien Treyer, qui a participé comme expert aux travaux de la Convention citoyenne pour le climat, insiste lui sur le fait que cette planification doit être négociée avec la société. "Cela ne marchera pas sans une capacité très profonde à recrédibiliser le rôle de l'action publique", analyse-t-il. Au Shift Projet, Matthieu Auzanneau regardera si les mesures annoncées correspondent à l'objectif de réduction annuelle des émissions de gaz à effet de serre : "Cessons de nous payer de mots et faisons face à ce défi historique."
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.