Présidentielle 2022 : entre Yannick Jadot et Anne Hidalgo, le jeu des cinq différences à gauche
La candidate désignée par le Parti socialiste, jeudi, et le vainqueur de la primaire écologiste partagent de nombreux points d'accord, mais ils tentent aussi de se différencier dans l'espoir de prendre le leadership à gauche pour le scrutin d'avril prochain.
A gauche, c'est un match dans le match. Anne Hidalgo, désormais candidate du Parti socialiste après avoir obtenu jeudi 14 octobre la confiance des militants de son parti avec 72% des voix, peut se dédier entièrement à la course à l'Elysée. La maire de Paris sait que son principal concurrent à gauche se nomme Yannick Jadot, le vainqueur de la primaire écologiste.
Les deux prétendants occupent un espace politique commun, et relativement restreint, au regard des enquêtes d'opinion. Dans cette primaire à distance, le dernier sondage Ipsos-Sopra Steria pour franceinfo donne une avance dans les intentions de vote à Yannick Jadot (9%) face à Anne Hidalgo (5,5%). Les deux candidats savent qu'il faudra essayer de se parler le moment venu pour espérer être au second tour de l'élection, mais ils espèrent chacun créer d'abord une dynamique autour de leur candidature.
Si Yannick Jadot a déjà détaillé ses premières propositions, les équipes d'Anne Hidalgo sont encore en train de peaufiner le programme présidentiel. L'élue du PS se contente pour l'instant de discours d'intention, même si elle a commencé à égrener quelques idées. Les deux candidats de gauche s'avancent vers l'élection avec de nombreux points d'accord, en matière de pouvoir d'achat, de laïcité ou encore de réduction du temps de travail. Pour prendre l'ascendant, ils tentent aussi de faire valoir quelques différences.
1Parcours : le député européen face à la maire de Paris
Les deux candidats revendiquent des parcours originaux. Ils ont tous deux effectué leur formation à l'université et ne sont pas passé par la case ENA (Ecole nationale d'administration). "J'ai été avec les paysans pour lutter contre le libre-échange, avec les femmes opprimées au Bangladesh, j'ai été espionné par EDF, j'ai arraché des OGM", énumère Yannick Jadot dans Challenges. "Je viens d'un milieu populaire, de l'immigration espagnole, j'ai eu la chance de bénéficier de cet ascenseur républicain, je connais la vraie vie, les fins de mois difficiles de mes parents", fait valoir sur France Inter Anne Hidalgo.
Le premier a axé sa campagne lors de la primaire écologiste sur sa capacité à gagner l'élection présidentielle, en sortant l'écologie de la simple candidature de témoignage. L'eurodéputé vert peut notamment s'appuyer sur ses réseaux entretenus à Bruxelles, là où la maire de Paris mise sur son expérience de terrain à la tête de la première ville de France. "Elle a prouvé sa capacité à exercer des fonctions présidentielles, que ce soit par sa stature à l'international ou son expérience de la gestion d'une grande collectivité", assure à franceinfo un soutien de la candidate PS.
2Investissement : priorité à la reconstruction ou à l'Education nationale
Les deux candidats souhaitent des investissements massifs, mais ne répartissent pas les milliards aux mêmes endroits. Yannick Jadot prévoit un plan d'investissement "de 50 milliards d'euros par an sur le quinquennat, soit 2% du PIB". Il divise cette somme en deux : "25 milliards d'euros seront consacrés à la reconstruction, dont 10 milliards au logement et au bâtiment", et "25 milliards seront dévolus à des services publics de qualité". Ce programme "va créer 1,5 million d'emplois, revivifier l'économie, et enclencher un cercle vertueux d'investissement et de consommation responsable", assure-t-il.
Anne Hidalgo souhaite faire de l'école la priorité des priorités. "Je veux être candidate pour offrir un avenir à nos enfants. Voilà pourquoi je vais faire de l'école une question centrale de cette campagne", rappelle-t-elle dans Libération. Dans son livre Une femme française, publié en 2021, la maire de Paris propose ainsi de doubler les salaires des enseignants. Il s'agit de rattraper l'écart en termes de rémunérations avec des pays comme l'Allemagne.
Pour l'élu écologiste, la mesure coûte trop cher. "C'est une proposition irresponsable, même les syndicats d'enseignants les plus radicaux n'ont jamais demandé cela", estime-t-il sur Radio J, en chiffrant la mesure à "au moins 40 milliards par an".
3Transition écologique : une "écologie de solutions" contre une "écologie sociale"
Pour les deux candidats, il s'agit de la thématique centrale qui leur permet de se disputer le même réservoir de voix. "C'est sans doute une différence avec les Verts, j'estime qu'on ne peut pas continuer à demander aux plus fragiles, aux plus modestes ou aux classes moyennes de payer le prix fort de la transition écologique", assume dans Libération Anne Hidalgo. Elle propose ainsi de baisser les taxes sur le prix des carburants pour redonner du pouvoir d'achat aux plus modestes. "On a besoin de raccrocher les catégories populaires à cette transition."
"La transition écologique ne se fera pas contre ceux qui, aujourd'hui, ne parviennent plus à boucler leurs fins de mois."
Anne Hidalgoà Libération
"Il y a un enjeu de justice sociale, c'est pour cela qu'elle entre dans le débat par la question des salaires", explique un élu proche de la socialiste. Il s'agit de mettre les outils de la social-démocratie au service de la transition écologique. Sur ces questions, elle a un temps d'avance." Son projet : une planification sur cinq ans afin de réorienter l'industrie et de créer de nouveaux emplois dans les énergies renouvelables, l'écologie, tout en accompagnant les travailleurs des secteurs polluants.
Yannick Jadot revendique pour sa part d'avoir "la cohérence sur l'écologie, la constance, la crédibilité". "Le rassemblement doit se faire derrière le combat écologique, donc derrière moi", insiste-t-il dans le JDD. Le candidat a logiquement placé la transition énergétique en tête de ses priorités. En plus de son plan pour une reconstruction verte, il souhaite conditionner la totalité des aides publiques aux entreprises "au respect du climat, du progrès social et de l'égalité entre les femmes et les hommes".
Pour les plus fragiles, il plaide sur franceinfo en faveur d'une augmentation du chèque énergie à 400 euros pour les 5,8 millions de foyers les plus précaires et 100 euros pour 15 millions de familles supplémentaires. S'il a défendu une "écologie de combat" visant les lobbies durant la primaire de son camp, il s'est aussi réclamé d'une "écologie de solutions", qui peut aussi se traduire par le réalisme d'une "écologie de gouvernement".
Concernant la baisse de la fiscalité sur les carburants, il critique la proposition de sa rivale. "Quand on baisse la fiscalité pour tout le monde, ça ne s'appelle pas une mesure sociale", déclare-t-il. "Le propriétaire d'un gros 4x4 qui utilise beaucoup de carburant va beaucoup gagner avec ce type de mesure, alors que la personne qui a un petit véhicule gagnera peu."
4Institutions : des réformes profondes ou plus prudentes
S'il ne prononce pas les mots de "VIe République", Yannick Jadot estime tout de même que "les institutions de la Ve République sont à bout de souffle". Il propose donc l'instauration du scrutin proportionnel aux élections législatives, afin notamment de renforcer le poids du Parlement. Il souhaite aussi ouvrir le débat sur d'autres changements institutionnels, "comme le vote à 16 ans ou le mandat présidentiel [de] 7 ans non renouvelable".
Anne Hidalgo se montre pour l'instant plus prudente. Interrogée sur l'idée de donner au Premier ministre le pouvoir de dissolution de l'Assemblée, elle a déjà dit qu'elle n'était "pas pour une VIe République". Elle plaide néanmoins pour un changement dans l'exercice du pouvoir. "Mon mandat sera celui d'une République décentralisée avec tous les citoyens", a-t-elle assuré lors de l'annonce de sa candidature, sur les docks de Rouen.
5Nucléaire : une sortie "en 20 ans" ou un simple ralentissement
Yannick Jadot a déjà fixé le calendrier. Le candidat écologiste juge possible de sortir du nucléaire "en 20 ans", "progressivement". Mais l'eurodéputé veut se montrer pragmatique et responsable : "s'il faut mettre cinq ans de plus, on mettra cinq ans de plus (…) personne ne dit qu'on va fermer les centrales nucléaires demain". Pour compenser la fin du nucléaire, il souhaite investir dans toute la palette des énergies renouvelables (éolien, photovoltaïque, hydraulique, géothermie, biomasse) et dans l'isolation des logements qui permettrait une baisse de la consommation d'électricité.
Anne Hidalgo ne parle pas, quant à elle, de sortir de l'atome. "On ne pourra pas se passer immédiatement et très rapidement du nucléaire, tant sa part est importante", explique-t-elle sur France Inter. Sans donner son calendrier, elle souhaite toutefois "aller beaucoup plus vite" que l'objectif d'Emmanuel Macron de ramener la part du nucléaire à 50% du mix énergétique d'ici à 2035, contre quelque 70% actuellement. Pour cela, elle mise comme Yannick Jadot sur "le développement des énergies renouvelables".
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