Election présidentielle 2022 : les obsessions d'Eric Zemmour, polémiste devenu candidat à l'Elysée
Il n'a pas encore de programme précis, mais entre la théorie complotiste du "grand remplacement" et sa critique constante du progressisme, Eric Zemmour distille ses thèses extrémistes dans les médias depuis plusieurs années.
Eric Zemmour a franchi le pas. Après des semaines de faux suspense, l'ancien journaliste, auteur à succès et polémiste télévisuel a annoncé sa candidature à la présidence de la République, mardi 30 novembre. Il doit maintenant présenter un programme aux Français, mais ses principales idées sont déjà connues. L'essayiste d'extrême droite (une étiquette qu'il conteste) défile depuis des années sur les plateaux de télévision, où il défend ses thèses controversées.
Certaines de ses déclarations lui ont valu d'être condamné plusieurs fois par la justice française pour "provocation à la haine raciale" et "diffamation à caractère racial". Au moins Eric Zemmour a-t-il le mérite de la constance et, bien avant l'annonce de sa candidature, il avait posé les jalons de sa future campagne. Franceinfo a parcouru son dernier livre, regardé ses interventions télévisées et ses récents discours en Corse, à Lille, à Nîmes ou encore à Béziers, pour décrypter les idées développées par le candidat Zemmour.
La théorie complotiste du "grand remplacement"
Dans l'analyse d'Eric Zemmour sur les difficultés françaises, tout part de là. "Il y a un phénomène de grand remplacement qui est en cours et qui provoque tous les troubles", rabâche-t-il, le 18 octobre, lors d'un débat sur le plateau de BFMTV. Une thèse loin d'être nouvelle, qui prend naissance au début du XXe siècle, avant d'être popularisée au début des années 2000 avec l'écrivain d'extrême droite Renaud Camus. Comme le détaille Le Monde, elle s'est ensuite diffusée petit à petit dans la classe politique française.
La formule s'accompagne de l'idée complotiste selon laquelle les élites mondiales tentent d'organiser, via l'immigration, le remplacement de la population occidentale. Les élites "n'ont pas hésité, au nom de la liberté individuelle, à favoriser encore et encore l'islamisation des pays occidentaux et en particulier de la France", assume Eric Zemmour dans son livre La France n'a pas dit son dernier mot (éd. Rubempré, 2021). Il estime qu'il s'agit du problème principal de la France. "Cette question identitaire vitale rend subalternes toutes les autres, même les plus essentielles comme l'école, l'industrie, la protection sociale, la place de la France dans le monde", tranche-t-il dans son dernier essai.
"Le 'grand remplacement' n'est ni un mythe ni un complot, mais un processus implacable."
Eric ZemmourDans son livre "La France n'a pas dit son dernier mot"
Selon lui, la nouvelle population de "remplaçants" se distingue par sa religion : l'islam. "Il y a un peuple qui en remplace un autre dans d'innombrables endroits, qui tiers-mondise le pays avec une civilisation différente, une civilisation islamique qui n'a pas les mêmes valeurs", affirme-t-il début octobre sur CNews. L'essayiste estime que "l'islam est tout à fait aux antipodes de la France", "incompatible" même avec la République et sa devise "liberté, égalité, fraternité".
"Nous vivons une guerre de civilisation sur notre sol" et dans le cadre de celle-ci, "il n'y a plus de lutte des classes, il y a des classes populaires qui veulent se défendre contre le grand remplacement", ajoute-t-il encore lors d'un discours à Lille (Nord), le 3 octobre. Une référence claire à la thèse contestée du chercheur américain Samuel Huntington, exposée dans son livre Le Choc des civilisations, paru en 1996.
Pour de nombreux chercheurs, la théorie du grand remplacement est fallacieuse, car elle oublie notamment de prendre en compte la mixité des origines. "De plus en plus de Français ont un lien avec l'immigration, sans forcément être immigrés : par exemple, quand votre enfant se marie avec un immigré ou un enfant d'immigré, vous ne devenez pas immigré mais votre famille a désormais un lien avec l'immigration, explique à La Croix le démographe Patrick Simon. En réalité, il n'y a pas eux ou nous, mais une diversification de la population comme il y en a à chaque vague d'immigration : eux, c'est nous."
Le chiffon rouge d'une immigration "massive"
Pour donner corps à ce "grand remplacement", Eric Zemmour brandit les chiffres d'une immigration qu'il considère "massive". "Pas un jour sans qu'entre en France un des 270 000 étrangers par an. Pas un jour sans que demeurent sur notre territoire les déboutés du droit d'asile (80% des 170 000 demandes) et les innombrables clandestins", assène-t-il dans son dernier livre. "Au bout du mandat d'Emmanuel Macron, il y aura deux millions d'immigrés de plus", affirme-t-il lors du débat face à Jean-Luc Mélenchon organisé fin septembre sur BFMTV. Mais dans ses calculs, l'essayiste compte plusieurs fois les mêmes personnes et oublie de soustraire les immigrés qui sont sortis du territoire.
Eric Zemmour est devenu un maître dans l'art de l'extrapolation. "Aujourd'hui, avec la démographie, cela veut dire qu'en 2050 nous serons un pays à moitié islamique et en 2100 une République islamique", avance-t-il également lors d'un débat, fin août, à l'occasion de la rentrée du micro-parti Objectif France. Difficile de trouver des données pour étayer une telle affirmation. Des projections du think tank américain Pew Research Center estiment que, selon les scénarios, la part des musulmans en France atteindra entre 12 et 18% en 2050. "L'avalanche de chiffres que donne monsieur Zemmour pour créer une ambiance de cauchemar en France ne tient pas debout", lui a également répondu Jean-Luc Mélenchon sur BFMTV.
Selon la thèse d'Eric Zemmour, la mondialisation favorise la disparition des frontières et l'immigration, afin de peser à la baisse sur les salaires. Les immigrants sont "l'armée de réserve du capitalisme", répète-t-il à l'envi. Il reproche aux élites et aux médias français d'être les porte-voix d'une "mondialisation heureuse" et de ne parler de l'immigration qu'en termes positifs.
Au sujet du modèle républicain, il assure dans son livre vouloir "rétablir les lois dures de l'assimilation" et obliger les parents à "donner des prénoms français" aux enfants. Pour lutter contre les coûts supposés de l'immigration, il propose aussi la suppression de l'Aide médicale d'Etat (AME) pour les étrangers et le retrait des allocations familiales pour les parents d'enfants condamnés. Pour mettre en œuvre sa politique migratoire, il souhaite "sortir de la Cour européenne des droits de l'homme". Il plaide aussi la fin des "flux migratoires" et la fermeture des frontières, estimant que l'espace "Schengen est une folie".
L'auteur du Suicide français n'évoque jamais, en revanche, les aspects positifs de l'immigration, notamment économiques ou culturels. Dans Les Echos, Jacques Attali a tenu à répondre au polémiste identitaire en dressant une longue liste de Français nés à l'étranger, de Pablo Picasso à Marie Curie en passant par Enki Bilal et Jamel Debbouze. Mais aussi de personnalités nées en France d'un parent venu de l'étranger, comme Emile Zola, Isabelle Adjani, Charles Aznavour, Coluche, Edgar Morin ou Françoise Dolto.
Un lien assumé entre immigration et insécurité
Les statistiques ethniques sont interdites en France, mais Eric Zemmour établit un lien direct entre immigration et insécurité. "Pas un jour sans qu'un 'mineur isolé' qui n'est, le plus souvent, ni mineur, ni isolé, et qui vient par exemple du Maroc ou d'Afghanistan, ne commette un larcin, une agression sexuelle, un trafic de drogue, voire un crime", écrit-il dans son livre. Il faut rappeler que l'ancien chroniqueur du Figaro est poursuivi pour "provocation à la haine raciale" et "insultes racistes" en raison de propos similaires.
Eric Zemmour est ainsi coutumier des déclarations racistes ou discriminantes. "Mais pourquoi on est contrôlé 17 fois ? Pourquoi ? Parce que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes !", déclare-t-il en 2010 sur Canal+. Un propos qui lui vaudra une condamnation à 2 000 euros d'amende avec sursis pour provocation à la haine raciale, en 2011, mais qui ne l'arrêtera pas pour autant. "Aucune petite bourgade, aucun petit village de France n'est plus à l'abri d'une équipée sauvage de bandes de Tchétchènes, ou de Kosovars, ou de Maghrébins ou d'Africains qui volent, violent, pillent, torturent, tuent", insiste-t-il dans son dernier livre.
"Pour moi, la délinquance que nous vivons n'est pas une délinquance, c'est un jihad", ose-t-il enfin sur BFMTV face à Jean-Luc Mélenchon. "Ce n'est pas le sujet. Le sujet, c'est l'analyse des causes et la manière d'y répondre", lui a répondu le candidat de La France insoumise. Votre disque est rayé, on part de n'importe quel endroit de la chanson pour finir sur l'immigration."
Le "roman national" face au déclin français
Lors de sa pré-campagne, Eric Zemmour a commencé un petit tour de France, au cours duquel ses discours se suivent et se ressemblent. Il évoque d'abord une histoire personnelle liée au lieu qu'il visite puis la rattache assez vite à la grande Histoire de France. Citant volontiers Jeanne d'Arc, Napoléon ou le général de Gaulle, il recourt alors au "roman national" glorieux de la nation française.
Dans cette entreprise, il n'hésite pas à tordre aussi quelques faits historiques, comme lorsqu'il affirme que le régime de Vichy a protégé les Français de confession juive pendant la Seconde Guerre mondiale. "La politique de Vichy consiste à collaborer et à mener une politique antisémite propre qui vise à se débarrasser du maximum de juifs indésirables. Et c'est une politique qui, de fait, n'a absolument pas été protectrice des juifs français puisque, dès la rafle du Vel' d'Hiv', 3 000 enfants français ont été arrêtés", rappelle sur franceinfo Laurent Joly, historien de la Shoah et directeur de recherche au CNRS.
L'utilisation du "roman national" permet à Eric Zemmour de développer en comparaison un discours sur le déclin français, qu'il soit culturel, économique ou social. "Votre magnifique tissu industriel du Nord s'est liquéfié comme un glaçon en plein soleil, (...) c'est toute la France qui, en vérité, s'appauvrit, c'est toute la France qui s'est désindustrialisée", explique-t-il par exemple à Lille, en octobre. La décadence est aussi une question de valeurs pour Eric Zemmour, qui critique fin 2020 la faiblesse du monde occidental face à la pandémie. "L'Occident, jadis terre de conquérants et de baroudeurs intrépides et cruels, semble transformé en petite chose craintive et oublieuse de son grand passé. Comme un Empire romain décadent et émollient", écrit-il dans une chronique du Figaro (pour abonnés).
La critique de la modernité et du progressisme
Pour illustrer le déclin français, Eric Zemmour s'en prend régulièrement à ce qu'il nomme "modernité", "progressisme", "air du temps" ou parfois "bien-pensance". Ces expressions lui permettent de rejeter tout ce qui n'est selon lui pas conforme à l'image figée qu'il dessine du pays. "La démolition de l'identité française a commencé par le saccage de la beauté. Au nom du progressisme, de la modernité, (...) on a méprisé le culte de la beauté au profit d'une conception de l'art 'conceptuel' qui privilégie avant tout le message et l'intention révolutionnaire", estime-t-il dans son dernier livre.
Sa critique du progressisme l'amène à tirer à vue notamment sur le féminisme et les questions de genre. "Je tiens un discours contre-féministe", explique-t-il sur CNews, en clamant son attachement à la différence entre "masculin et féminin". Son dernier essai est émaillé de propos sexistes, dans la continuité des thèses exposées dans son livre Le Premier Sexe. Il prend notamment la défense de Tariq Ramadan, accusé de viol par deux femmes, et fustige la "notion 'd'emprise', dernière trouvaille des féministes pour criminaliser l'homme, bourreau éternel".
Dans son livre, il critique également le "lobby LGBT", cet allié des féministes, et la loi Taubira ouvrant le mariage et l'adoption aux couples homosexuels : "Le lobby LGBT roule des mécaniques : il a mis l'Etat à ses pieds et a atteint son objectif : ruiner l'hégémonie symbolique du modèle hétérosexuel." Plus récemment, l'essayiste a critiqué la circulaire de l'Education nationale visant à assurer une meilleure prise en charge des élèves transgenres, en comparant les directives du ministère aux méthodes de Josef Mengele, médecin nazi dans le camp d'extermination d'Auschwitz.
L'essayiste dénonce plus largement l'évolution d'une société marquée, selon lui, du sceau de l'individualisme. Il réclame en conséquence le rétablissement d'un "Etat fort" pour contrer les revendications de ces identités multiples. "Je lutte politiquement contre les lobbys gay. En revanche, les homosexuels, ça ne me pose aucun problème", explique-t-il par exemple sur CNews.
Une pensée économique libérale
Concentré sur ses sujets de prédilection, Eric Zemmour délaisse parfois le terrain économique, comme le relèvent Les Echos. "Je ne veux pas rentrer dans la rivalité des mesurettes démagogiques", explique-t-il sur BFMTV quand on l'interroge sur ses propositions pour le pouvoir d'achat. Mais le polémiste laisse quand même filtrer une pensée libérale.
"Globalement, la France ne travaille pas assez, explique-t-il sur BFMTV. Il faut produire plus, réindustrialiser, travailler plus pour gagner plus, comme le disait Nicolas Sarkozy..." Il propose ainsi de repousser encore l'âge de la retraite. Comme le détaille Capital, il souhaite permettre aux entreprises de retrouver de la compétitivité en baissant les impôts et les charges. Tout en réservant les prestations sociales aux Français, et aux étrangers qui paient des impôts.
Au-delà des sujets économiques, Eric Zemmour plaide également pour davantage de libertés sur les routes françaises. A contre-sens de la plupart des autres responsables politiques, il prône la suppression du permis à points, le rétablissement de la limitation à 90 km/h sur les routes secondaires et la suppression de la limitation de vitesse sur autoroute.
Enfin, le polémiste parle peu d'environnement, sauf quand il y est contraint. Lors du débat face à Jean-Luc Mélenchon, il a reconnu l'existence du réchauffement climatique, tout en glissant : "Je ne suis pas spécialiste, je sais qu'il y a débat." Pour le candidat Zemmour, la solution reste l'énergie nucléaire et il critique vivement certaines énergies renouvelables : "Les éoliennes sont une catastrophe, ça abîme nos paysages."
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