Le discours de Valérie Pécresse sème la zizanie chez Les Républicains : "C'est une erreur de choisir les mots de ses adversaires"
Si la candidate de la droite à la présidentielle assure ne pas "se résigner aux théories d'Eric Zemmour", les propos tenus lors de son grand meeting à Paris ont suscité l'inquiétude au sein de son camp.
Valérie Pécresse avait annoncé un grand meeting de la relance, mais la candidate des Républicains a surtout récolté une polémique. Au-delà de la forme du discours, elle-même critiquée, son meeting au Zénith de Paris, dimanche 13 février, a suscité des questions de fond en raison de l'emploi de certaines expressions issues de la rhétorique de l'extrême droite telles que "Français de papier", "zones de non-France" ou encore "grand remplacement".
La théorie du "grand remplacement", popularisée par l'écrivain Renaud Camus, imagine un complot piloté par des élites qui viserait à remplacer "le peuple" français par un autre peuple. Ce concept aux relents racistes et xénophobes est défendu depuis le début de la campagne par le candidat d'extrême droite Eric Zemmour. L'emploi de cette expression dans le discours de Valérie Pécresse a donc concentré l'attention, mais la candidate de la droite s'est étonnée de la polémique en rappelant qu'elle avait déjà utilisé les mêmes mots à plusieurs reprises lors de la campagne pour l'investiture des Républicains.
"Ça veut dire que je ne me résigne pas justement aux théories d'Eric Zemmour et aux théories de l'extrême droite, parce que je sais qu'une autre voie est possible."
Valérie Pécressesur RTL
Relancée sur la réalité de ce "grand remplacement", la candidate des Républicains ne réfute pas pour autant l'existence de ce phénomène : "Il y a aujourd'hui en France des zones de non-France, mais je ne me résigne pas à ce grand remplacement."
"Il faut clarifier"
L'entourage de la candidate a passé une partie de la journée de lundi à déminer la polémique. "On n'est pas obligé de choisir entre les excès d'Eric Zemmour et la faillite migratoire d'Emmanuel Macron. Oui, il y a une faillite migratoire, mais non nous ne cédons pas à la théorie du complot", assure à franceinfo Othman Nasrou, l'un des porte-parole de la candidate. "Elle a réfuté cette théorie", complète l'eurodéputée Agnès Evren sur RFI. Mais les explications de texte n'ont pas empêché une partie de la droite modérée de s'inquiéter.
"Je n'ai aucun doute qu'elle soit parfaitement dans les valeurs républicaines, mais je pense que c'est toujours une erreur d'employer les mots de ses adversaires, même si c'est pour condamner ces mots", confie à franceinfo Jean-Christophe Lagarde, président de l'UDI et député de Seine-Saint-Denis. "Je pense que c'est une erreur de prendre toujours le vocabulaire de l'adversaire, c'est quelque chose qu'elle n'aurait pas dû faire", abonde l'ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin sur franceinfo.
"Valérie Pécresse vaut mieux que ce discours. Je crois qu'elle a été mal conseillée sur la rhétorique."
Jean-Pierre Raffarinsur franceinfo
Des doutes également exprimés en interne par plusieurs ténors LR lors de la réunion stratégique hebdomadaire du lundi matin au siège de campagne de Valérie Pécresse. "Il faut clarifier, dire que le 'grand remplacement', ce n'est pas nous", aurait lancé Xavier Bertrand, selon les informations du service politique de France Télévisions. "Ce n'est pas une candidate de synthèse qui peut gagner, c'est une candidate de convictions ! Je veux retrouver la Pécresse du congrès !"
"Bertrand dézingue à tout va"
L'ancien candidat à la primaire, Philippe Juvin, présent à la réunion, confirme l'échange sur l'expression "grand remplacement", mais assure qu'il s'agit d'une simple discussion afin de faire le point sur la campagne. "C'est rapporté dans la presse comme étant une opposition, un ultimatum de Copé et Bertrand, mais ce n'est pas ce qu'il s'est passé. C'était juste une présentation par Bertrand et Copé sur la manière de présenter les choses dans la campagne."
"Je pense vraiment qu'on lui fait un mauvais procès. On ne fera jamais d'alliance avec Zemmour et on n'est pas d'accord sur le fond."
Philippe Juvin, conseiller de Valérie Pécresseà franceinfo
Il ne faut pas non plus négliger le positionnement tactique du camp Pécresse qui surveille la menace Zemmour dans les sondages. Pour plusieurs membres de son entourage, si Valérie Pécresse a employé le terme de "grand remplacement" dans son discours, c'est avant tout pour exister dans cette campagne davantage marquée, selon eux, par les petites phrases que les idées. Une stratégie assumée en off par son camp. "Je reconnais qu'elle n'aurait peut-être pas dû employer cette expression, c'est un peu maladroit", analyse un cadre de la campagne.
"Mais en même temps, si vous voulez aujourd'hui accrocher les médias et grimper dans les sondages, il faut malheureusement être outranciers."
Un membre de l'équipe de campagne de Valérie Pécresseà franceinfo
"C'est exactement ce que fait Eric Zemmour à longueur de meeting et même Emmanuel Macron quand il dit qu'il veut 'emmerder les Français' sur la vaccination", ajoute-t-il.
Si les ténors du parti évoquent donc pour la plupart un "non-événement", raillant comme Brice Hortefeux "des élus qui veulent faire parler d'eux" ou ironisant comme le sénateur Gérard Longuet sur "les hypers sensibles de notre famille politique", des voix en profitent en revanche pour dénoncer le comportement de Xavier Bertrand. Selon plusieurs lieutenants de Valérie Pécresse, le président de la région des Hauts-de-France n'aurait toujours pas digéré sa défaite lors du congrès des Républicains. "Xavier Bertrand daube depuis qu'il a perdu, tout le monde le sait. Il a pas mal de façades sympathiques comme ça en public, mais dans le dos, il dézingue en fait à tout va", assure un membre de la garde rapprochée de la candidate à la présidentielle.
"Bertrand passe beaucoup plus de temps à semer des embûches qu'à aider notre candidate."
Un cadre de l'équipe de campagne de Valérie Pécresseà franceinfo
Dans l'entourage de Valérie Pécresse, d'autres fustigent également le manque d'investissement de son ancien rival et de ses équipes dans la campagne. "La team Bertrand est hyper solitaire et joue beaucoup moins le jeu que les équipes d'Eric Ciotti, Michel Barnier et Philippe Juvin", taclent-ils.
"Elle doit assumer"
La polémique sur le "grand remplacement" semble mettre une nouvelle fois en exergue les divisions chez Les Républicains. La présidente de la région Ile-de-France est ainsi contrainte de composer avec une droite modérée et un courant plus radical incarné par Eric Ciotti.
"Le problème est qu'elle essaie de tenir les deux tendances de l'électorat de droite, qui sont peut-être incompatibles."
Brice Teinturier, directeur général délégué d'Ipsosà l'AFP
Pour le sondeur, "c'est un objectif extrêmement compliqué, qui entraîne un grand écart permanent, d'où des situations qui créent une ambiguïté."
Un manque de repères politiques qui inquiète Jean-François Copé. "Je lui ai dit d'être elle-même et de se sortir de la tentation de vouloir faire plaisir à tous les courants politiques qui passent dans son bureau, confie le maire de Meaux à franceinfo. Elle doit assumer sa position de droite décomplexée, qui est une droite étanche avec l'extrême droite, ce qui lui permet d'assumer ses positions dans la lutte contre l'islamisme et l'extrémisme..."
Le sénateur LR de la Manche Philippe Bas tente pour sa part de calmer le jeu. "C'est très sain que les membres de la campagne puissent s'exprimer, car si ce n'était pas le cas, elle n'aurait plus d'utilité. Valérie Pécresse fera la synthèse de tout ce qui lui a été dit et elle continuera d'incarner cette droite républicaine dont notre pays a aujourd'hui tant besoin", assure-t-il. Mais un cadre du parti reconnaît à demi-mots que les divisions sont bien plus profondes et ne sont pas uniquement liées au dernier meeting de sa candidate.
"Le drame de notre famille politique, c'est qu'elle a du mal à se reconstruire depuis le départ de Nicolas Sarkozy et la catastrophe François Fillon en 2017."
Un cadre des Républicainsà franceinfo
Et de fustiger "les egos parfois ingérables de ceux qui restent".
Après un meeting raté et des élus LR bien décidés à ne rien lui laisser passer, la suite de la campagne présidentielle de Valérie Pécresse s'annonce compliquée. Mais certains veulent encore y croire. "Moi, j'ai entendu une grande solidarité et tant pis pour ceux qui tentent de polluer cette campagne", assure un proche de la candidate. "Oui, il y a des Français inquiets par le déclin de leur pays, estime Philippe Bas. On a quand même encore le droit de leur parler sans être accusés de chasser sur les terres de l'extrême droite."
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.