Présidentielle : comment Valérie Pécresse suscite la polémique en reprenant la théorie d'extrême droite du "grand remplacement"
Les propos de la candidate des Républicains lors de son grand meeting à Paris ont provoqué un tollé. Dans l'opposition comme dans son propre camp.
"Tout le monde tire" sur Valérie Pécresse. Cette phrase du député Robin Reda a été prononcée avant le grand meeting de la candidate des Républicains au Zénith de Paris mais elle est d'autant plus vraie, lundi 14 février, au lendemain du discours donné par la présidente de la région Ile-de-France devant 7 500 personnes. Car Valérie Pécresse a affirmé qu'il n'y avait "pas de fatalité. Ni au grand déclassement, ni au grand remplacement".
Popularisée par l'écrivain Renaud Camus, la théorie du "grand remplacement" assure qu'un complot piloté par des élites viserait à remplacer "le peuple" français par un autre peuple. Cette théorie infondée, aux relents racistes et xénophobes envers les populations maghrébine et subsaharienne, ou originaires de ces régions, est largement mise en avant par le candidat d'extrême droite Eric Zemmour.
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Dans son livre La France n'a pas dit son dernier mot, l'ancien polémiste écrit même que "le 'grand remplacement' n'est ni un mythe ni un complot, mais un processus implacable". Marine Le Pen, la candidate du Rassemblement national, a pour sa part déjà mentionné cette théorie, tout en la rejetant. Contrairement au numéro 2 de son parti, Jordan Bardella.
Le "grand remplacement" n'avait, jusqu'à ce meeting, jamais été brandie par un représentant des Républicains. Xavier Bertrand et Jean-François Copé ont d'ailleurs appelé la candidate de la droite à la présidentielle à se repositionner après l'emploi de cette expression. Franceinfo revient sur cette polémique en trois actes.
1Valérie Pécresse prononce le terme
Le meeting de dimanche était particulièrement attendu, alors que le parti Les Républicains a essuyé plusieurs défections ces dernières semaines. Notamment Eric Woerth et Christian Estrosi, qui ont affiché leur soutien à Emmanuel Macron. Ou encore Guillaume Peltier, devenu porte-parole d'Eric Zemmour.
>> Valérie Pécresse à l'épreuve de son premier grand meeting
Référendum d'initiative populaire, obligation pour les bénéficiaires du RSA de donner quinze heures d'activité à la société... Quelques annonces ont ponctué l'heure de discours de Valérie Pécresse devant 7 500 personnes au Zénith de Paris. Mais c'est une phrase prononcée au début de son discours qui accapare toute l'attention. Valérie Pécresse a assuré vouloir "rallumer les espoirs d'une nation unique et universelle", saluant les citoyens, "leur travail, leur bravoure, leur génie artistique et scientifique".
"Nous sommes à la croisée des chemins, a-t-elle estimé. Pour la première fois, le sort du monde pourrait s'écrire sans nous. Dans dix ans, serons-nous encore la septième puissance du monde ? Serons-nous encore une nation souveraine (...) ou un auxiliaire des Etats-Unis, un comptoir de la Chine ? Serons-nous une nation unie ou une nation éclatée ?" Et Valérie Pécresse de répondre, solennelle : "Pas de fatalité. Ni au grand déclassement, ni au grand remplacement. Je vous appelle au sursaut."
2La classe politique se dit sidérée
Depuis le meeting, les réactions des opposants politiques s'accumulent. La candidate du Parti socialiste, Anne Hidalgo, estime que "c'est un Rubicon de plus (...) franchi par la droite". Invité sur franceinfo lundi 14 février, le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, s'est dit "sidéré" de voir Valérie Pécresse "reprendre les mots de l'extrême droite" dans un discours mais aussi "tout le registre sémantique et idéologique d'extrême droite. Franchement, on avait déjà deux candidats d'extrême droite, on n'avait pas besoin d'un troisième."
Valérie Pécresse qui parle de “grand remplacement” ➡️ Olivier Faure fait part de sa "sidération de voir une candidate qui se dit républicaine reprendre les mots et les concepts de l’extrême-droite. Je ne comprends pas cette dérive permanente de la droite.” pic.twitter.com/G7ddVWOFCE
— franceinfo (@franceinfo) February 14, 2022
La députée La France Insoumise Clémentine Autain a repris le terme de "grand remplacement" afin de désigner "de la droite par l'extrême droite",. Pour SOS Racisme, ces propos ne sont "pas dignes d'une prétendante majeure à la présidence de la République".
Aurélien Pradié, secrétaire général des Républicains et porte-parole de Valérie Pécresse, dénonce une "mauvaise foi terrible", dans une interview à franceinfo lundi. Selon lui, "Valérie Pécresse a dit depuis plusieurs mois qu'elle ne croyait pas à cette théorie, ni à celle du grand déclassement".
Mais la polémique fait grincer des dents en interne. Selon les informations du service politique de France Télévisions, les ténors de la droite ont averti la candidate lors d'une réunion qui s'est tenue lundi matin : "Il faut clarifier, dire que le 'grand remplacement', ce n'est pas nous", aurait lancé Xavier Bertrand. Avant que Jean-François Copé ajoute : "Il faut que tu marques la barrière avec les extrêmes."
INFO FTV. Polémique « grand remplacement » : coup de gueule de Xavier Bertrand et JF Copé ce matin en réunion stratégique. « Il faut clarifier, dire que le grand remplacement c’est pas nous » a lancé XB. « Il faut que tu marques la barrière avec les extrêmes » a ajouté JFC (1/3)
— Julien Nény (@JulienNeny) February 14, 2022
3La candidate tente de se justifier
Invitée dans la matinale de RTL, Valérie Pécresse s'est étonnée que la polémique enfle autant, pointant la "mémoire de bigorneau" de certains. "A chaque conclusion des débats de primaire, je disais qu'il n'y a pas de fatalité au 'grand remplacement', ni au grand déplacement", a-t-elle justifié.
"Quand vous écoutez Eric Zemmour ou Marine Le Pen, ils vous disent : 'C'est fait, c'est inéluctable'. Moi non."
Valérie Pécresse, candidate LR à la présidentiellesur RTL
La présidente de la région Ile-de-France refuse ainsi de se "résigner", citant sa proposition de loi migratoire "avec des quotas", le principe du "zéro visa avec les pays qui ne reprennent pas leurs clandestins", l'arrêt du regroupement familial automatique, la fin du droit du sol automatique.
Mais pense-t-elle que ce prétendu remplacement existe ? "Il y a aujourd'hui, en France, des zones de 'non-France', dans lesquelles on a concentré les difficultés sociales et on a concentré les populations qui venaient d'arriver", a-t-elle jugé sur RTL. Avant d'enchaîner : "Il y a des zones de 'non-France', mais moi je ne me résigne pas à ce 'grand remplacement'. C'est quelque chose que je dis depuis des mois, je ne comprends pas la polémique."
Selon sa porte-parole Agnès Evren, la candidate des Républicains a donc "réfuté cette théorie". "Etre français, c'est partager l'amour de la France, les valeurs, pas de savoir si on est blanc, noir ou métissé. Qu'il y ait une concentration d'immigrés dans certains quartiers est une réalité, ça ne veut pas dire qu'il y ait un grand remplacement ni que la France ait changé de visage", a-t-elle affirmé sur RFI.
Difficile alors d'y voir clair. Pour Brice Teinturier, directeur général délégué d'Ipsos, le problème de ce grand-écart est "qu'elle essaie de tenir les deux tendances de l'électorat de droite", "peut-être incompatibles".
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