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"On ne croit en personne" : dans la Creuse, des étudiants tiraillés entre désillusion et "vote utile"

A quelques jours du premier tour de l'élection présidentielle, les 18-24 ans sont encore très indécis. Franceinfo est allé à la rencontre de lycéens et étudiants d'une commune rurale pour recueillir leurs impressions. 

Article rédigé par Carole Bélingard - Envoyée spéciale à La Souterraine (Creuse),
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
Valentine et Alexandre, étudiants en design et graphisme écoresponsable, devant le lycée Raymond-Loewy de La Souterraine (Creuse), le 13 varil 2017. (CAROLE BELINGARD / FRANCEINFO)

Devant l'ensemble de bâtiments gris, Aurélie détonne. "J'ai les cheveux bleus, je ne vais pas voter pour le Front national !" plaisante cette étudiante en première année de BTS design à La Souterraine (Creuse). Ce jeudi 13 avril, carton à dessins sous le bras, la jeune femme de 19 ans s'apprête à entrer dans la cité scolaire Raymond-Loewy"On ne veut pas de quelqu'un qui veut fermer les frontières et qui a des idées racistes", reprend-elle.

A La Souterraine, 5 000 âmes, les frontières sont bien loin des esprits. Dans cette commune rurale située entre Limoges (Haute-Vienne) et Châteauroux (Indre), dirigée par un maire socialiste, la rhétorique frontiste ne prend pas. Si Marine Le Pen pourrait obtenir un score record parmi les 18-24 ans au premier tour de l'élection présidentielle – comme le relaie Le Monde –, dans ce petit coin de la Creuse, le Front national répugne encore de nombreux jeunes. Mais de là à adhérer au programme d'un autre candidat, il y a un pas que beaucoup ici ne semblent pas prêts à franchir.

On est désabusés, on ne croit en personne. On a l'impression de choisir entre la peste et le choléra. On va aller voter, parce que c'est un devoir moral. Mais on ne vote pas pour quelqu'un, on vote contre.

Louise, étudiante

à franceinfo

Louise et Aurélie, étudiantes en BTS au lycée Raymond-Loewy de La Souterraine (Creuse), le 13 avril 2017. (CAROLE BELINGARD / FRANCEINFO)

"Notre département est mis de côté"

A 500 mètres du lycée, dans le local de la MJC, Raphaël remise la cible de fléchettes et le babyfoot. Il faut faire de la place. "La salle principale va servir de bureau de vote", explique le stagiaire de 20 ans. Etudiant en DUT carrières sociales, il espère commencer à travailler l'an prochain. Et il veut rester dans la Creuse, malgré "les services publics qui ferment".

Dans la région, l'emploi est mis à mal. A La Souterraine, l'entreprise GM&S, sous-traitante pour l'industrie automobile, est menacée de liquidation judiciaire. A deux doigts de mettre les clés sous la porte et d'envoyer ses 283 salariés vers Pôle emploi. La desserte de la ville en train, via la grande ligne Paris-Limoges-Toulouse, est elle aussi remise en cause, rapporte France Bleu. "Dans mon village, à Azérables, à dix kilomètres d'ici, on doit se battre pour conserver le bar", déplore Raphaël.

Notre département est mis de côté. J'attends du futur président qu'il s'occupe aussi des gens qui habitent loin des villes, qu'il s’intéresse à nos préoccupations.

Raphaël, étudiant

à franceinfo

 Raphaël, étudiant en DUT carrières sociales, à la MJC de La Souterraine (Creuse), le 13 avril 2017. (CAROLE BELINGARD / FRANCEINFO)

"Je voterai Mélenchon, par dépit"

A l'heure de la pause-déjeuner à La Souterraine, le jardin public en contrebas de l'église Notre-Dame se remplit peu à peu. Seul espace vert de la ville, c'est le point de rencontre des lycéens. Comme Clara, tout juste 18 ans.

Ça me fait chier que ce soit ma première élection présidentielle. Avant, on pouvait plus voter pour le candidat de son choix. Mais là, il faut que je pense aux conséquences de mon vote.

Clara, lycéenne

à franceinfo

L'argument du "vote utile" rencontre un écho chez elle : elle optera pour Jean-Luc Mélenchon, "par dépit". "Par conviction, j'aurais plus voté pour Benoît Hamon, mais je ne veux vraiment pas que ce soit un second tour François Fillon-Marine Le Pen", explique la jeune femme aux lunettes rouges.

A deux rues du jardin, un autre groupe de lycéens prend sa pause au Caféchaud, l'établissement le plus animé de la ville, où se croisent professeurs, élèves et résidents anglais, nombreux dans la région. La bande installée en terrasse est dans la même classe de terminale ES. Autour de la table, Marie-Pierre, Auréli et Lucas n'ont pas encore l'âge de voter. Seul Louis pourra se rendre aux urnes.

Pas de doute pour ce jeune militant socialiste : ce sera Benoît Hamon. "Il est novateur, il a un attrait pour les jeunes et l'écologie, argumente-t-il. Ici, on est une terre rurale, la seule richesse qu'on a, c'est la terre. Les entreprises ferment, il ne reste plus que les paysans." Lucas acquiesce : "Je suis dégoûté de ne pas pouvoir voter. C'est vrai, c'est très important l'écologie."

"Il n'y a que des vieux en politique"

Juste en face du lycée, on entend les caquètements des poules. A deux pas de là, dans les champs alentour, les vaches limousines paissent paisiblement. Le petit centre-ville retrouve sa quiétude avec la reprise des cours à Raymond-Loewy. Maquettes et objets divers à la main, les étudiants affluent vers les grilles du bâtiment F.

C'est ici qu'Alexandre et Valentine suivent un diplôme d'arts appliqués en graphisme et design écoresponsable. Avec un tel cursus, forcément, pour eux aussi, l'écologie est essentielle. Encore plus depuis qu'ils vivent à La Souterraine. "Cela a renforcé ma conscience environnementale", confie Valentine. Comme la grande majorité des étudiants de la ville, aucun d'eux n'est originaire de la région. "Moi, c'est la première fois que je vis à la campagne. Ça me donne envie defaire attention au monde dans lequel on vit", explique Alexandre. Lui penche pour Benoît Hamon, qui est d'ailleurs venu à La Souterraine en février.

Des élèves de BTS design au lycée Raymond-Loewy, à La Souterraine (Creuse), le 13 avril 2017. (CAROLE BELINGARD / FRANCEINFO)

De son côté, Valentine estime que Jean-Luc Mélenchon est le meilleur sur les thématiques écologiques. Chloé, elle, s'est même rendue à Châteauroux, à 70 kilomètres de là, pour voir le tribun de la France insoumise en meeting. Cela n'a pas suffi à la convaincre : "Ça ressemble vachement à un spectacle en fait, c'est hyper mis en scène." A l'image des électeurs de cette génération – seuls 55% des 18-24 ans sont sûrs de leur vote, selon un sondage Ifop paru le 14 avril –, aucun membre du petit groupe n'est franchement convaincu par la campagne.

"Je trouve que la droite, la gauche, c'est la même chose. Il n'y a que les sujets de société qui les différencient. (Alex)

– C'est vrai, quand on voit le passage au pouvoir de Sarkozy et Hollande, il n'y a pas de grandes choses qui ont été faites. Ça n'avance pas. (Marie)

– De toute façon, il n'y a que des vieux en politique. Ils sont déconnectés, ils ont tous fait l'ENA et ils sont de familles riches." (Chloé)

Un seul vote trouverait grâce à leurs yeux : le vote blanc. 

Le vote blanc, c'est un acte citoyen. Cela devrait être pris en compte.

Marie, étudiante

à franceinfo

"Cela montre que les gens veulent aller voter mais que personne ne leur convient", poursuit Marie. Chloé voudrait pouvoir voter autrement. Peut-être en faisant "une liste de préférences" parmi les candidats. Qu'ils votent blanc par conviction ou pour un candidat par dépit, tous promettent de regarder d'un peu plus près les programmes. Avec le début des vacances dans l'académie de Limoges, ils ont une semaine pour étudier la question. Et faire leur choix pour le premier tour.

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