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POINT DE VUE. Comment expliquer la fin de l'état de grâce d'Emmanuel Macron

Après quinze mois de mandat, seuls 19% des Français estiment que le bilan du chef de l'Etat est positif, selon un sondage Kantar Sofres Onepoint pour RTL, publié lundi. Les explications d'Elie Cohen, directeur de recherche au CNRS et invité régulier de "C dans l'air" sur France 5.

Article rédigé par Telos
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Emmanuel Macron lors d'une conférence de presse à Alger (Algérie), le 6 décembre 2017. (LUDOVIC MARIN / AFP)

Elie Cohen est directeur de recherche au CNRS. La version originale de cet article a été publiée sur le site Telos, dont franceinfo est partenaire.


Sale temps pour Macron en cette rentrée 2018 : un concert de critiques accompagne chacune des initiatives gouvernementales comme si après la lune de miel avait sonné l’heure de l’hallali. Une désindexation partielle des retraites est décidée, et certains journaux titrent : "Les retraités trinquent" ou "Pourquoi tant de haine ?"

Les minima sociaux sont timidement relevés à l’inverse des APL ou des allocations familiales qui vont connaître une érosion en termes de pouvoir d’achat et c’est à nouveau le "président des riches" qui est dénoncé et son absence supposée de fibre sociale. La désocialisation des heures supplémentaires est annoncée et c’est un procès en sarkozysme qui est instruit : la mesure serait de droite et signe la conversion au " travailler plus pour gagner plus".

La suppression d’un nombre limité de postes dans la fonction publique est dénoncée comme le signe d’une faible ardeur réformatrice après le lancement en fanfare de Cap22.

Un triple procès

L’ouverture d’un chantier de négociations sociales sur la dégressivité des allocations chômage est présentée comme une manifestation supplémentaire de la défiance et de la stigmatisation des chômeurs. Quant à l’annonce de la volonté de respecter nos engagements européens en matière de réduction des déficits, elle est dénoncée comme le respect inutile d’un totem, ou comme la marque d’une insincérité car le déficit sera plus important qu’initialement prévu.

Au total un triple procès est fait en insincérité budgétaire, en trahison du programme, en insensibilité sociale.

Au delà de la logique des médias et de la faiblesse de l’effort de pédagogie qui pourraient expliquer cet hallali, ces critiques soulèvent d’abord trois problèmes : en quoi l’évolution de la conjoncture expliquerait-elle les orientations prises ? Et à l’inverse quelle responsabilité peut-on attribuer à l’action gouvernementale dans la piètre performance d’ensemble ? Enfin, en quoi l’action déployée rompt-elle ou pas avec les lignes de force du projet macronien ?

La faute à la conjoncture ?

L’observation des évolutions conjoncturelles récentes livre trois conclusions.

1/ Il y a certes un ralentissement conjoncturel auquel n’échappe pas la France mais la trajectoire de la croissance reste dans la ligne des 2% si on raisonne sur 2017/2018.

2/ Les raisons de ce ralentissement observable en Europe sont liées à un désalignement des planètes : hausse du pétrole, appréciation du dollar par rapport à l’euro, dégradation du climat des affaires lié aux ruades de Trump en matière de commerce international.

3/ La piètre performance relative de la France s’apprécie au regard de ces fondamentaux mais surtout des attentes excessives nées de l’arrivée de Macron au pouvoir.

Dans le détail, on constate que si la France fait plus mal que ses voisins en matière de croissance (0,3% en S1 contre 0,7% pour l’Eurozone) notamment après un S2 2017 brillant à 1,4% elle le doit certes à un désalignement des planètes qu’elle partage avec les pays de l’Eurozone mais aussi à des mesures de politique économique mal inspirées qui lui sont propres. La décision de réaliser un transfert de pouvoir d’achat des retraités vers les actifs par des mesures portant sur la CSG et les charges sociales salariales devait être partiellement compensée par la baisse de la taxe d’habitation mais le calendrier des mesures a abouti de fait à une baisse de 0,6% du pouvoir d’achat ce qui a eu un impact négatif sur la consommation et la croissance. En effet si la hausse de la CSG a été d’effet immédiat, la baisse des charges sociales a été différée. Elle a donc eu un effet négatif sur le revenu disponible des retraités notamment. Le rebond du pouvoir d’achat fin 2018, attendu de la mise en œuvre des promesses fiscales, sera quant à lui remis en cause en 2019 avec la reprise de l’inflation, la désindexation des retraites et la hausse des prélèvements fiscaux sur l’essence et le tabac.

Pour autant il ne faut pas surinterpréter les évolutions trimestrielles, les différentiels instantanés de croissance par rapport à nos voisins et les décalages dans le temps des mesures prises, et ce pour trois raisons. Si nos partenaires de la zone euro font mieux que la France en termes de croissance depuis 2013, la France faisait mieux qu’eux en 2008-2013. De plus lorsqu’on embrasse une perspective longue on constate qu’un même phénomène est à l’œuvre : la piètre compétitivité française transforme toute accélération de la demande extérieure ou toute reprise de la demande intérieure en explosion du déficit commercial. La question qui se pose donc aux gouvernants est de savoir s’ils ont fait le bon diagnostic et s’ils ont mis en place les bonnes politiques dont on n’appréciera les résultats que sur la durée.

Une ligne assumée

De ce point de vue, à tort ou à raison, force est de constater que le président Macron agit avec constance selon une feuille de route qui n’a guère été modifiée, malgré les rappels à l’ordre des compagnons de route et les impatiences des Français. Cette ligne Macron se déploie selon cinq axes.

1/ Poursuivre l’œuvre de restauration de la compétitivité initiée par Hollande avec le CICE en pérennisant les baisses de charge patronales et en abaissant l’impôt sur les sociétés.
2/ Lever les blocages à l’embauche et à l’emploi en réformant le marché de l’emploi (loi Pénicaud + loi Pacte).
3/ Traiter le chômage structurel à la racine en misant sur la formation (mieux équiper les individus, requalifier, rénover l’apprentissage), le traitement et l’indemnisation du chômage (projet de dégressivité des indemnisations), les incitations de retour à l’emploi (réguler la recherche d’emploi).
4/ Faire que le travail paie en transférant des revenus des inactifs vers les actifs par la hausse de la CSG et la désindexation des retraites et des prestations sociales.
5/ Accroître l’attractivité en éliminant la surtaxation du capital sous toutes ses formes car le capital c’est aussi l’investissement.

Si la ligne est cohérente et "assumée" selon l’expression consacrée, et s’il n’est pas sérieux de la critiquer au nom de l’absence de résultats immédiats, on peut critiquer la priorité donnée à la réforme de l’ISF ou le caractère hémiplégique de la flexisécurité à la française avec la faiblesse du volet sécurité ou encore l’absence d’initiative en matière de réforme de l’État dans la foulée du rapport Cap22.

Mais plus fondamentalement on peut s’interroger sur les effets à longue portée des réformes lancées et l’adéquation des outils mobilisés au diagnostic fait sur l’état de la France.

Des réformes incomplètes, absentes ou mal assumées

La désindexation des retraites qui intervient après le gel des années Hollande conduit à s’interroger sur le caractère assurantiel de cette prestation. De même la réforme de l’indemnisation chômage, l’élargissement des publics concernés, la dégressivité envisagée, la fin de la gestion paritaire annoncée signent là aussi la fin d’une logique assurantielle. Enfin la volonté de voir plus clair dans les situations individuelles en matière d’aides et de minima sociaux en regroupant les prestations ou en unifiant leur administration contribue aussi à cette révision de la protection sociale. Sommes-nous en train de sortir du régime bismarckien pour nous convertir au régime beveridgien, et d’une logique universelle à une logique individualisée ? Si tel devait être le cas alors l’effort pédagogique est notoirement insuffisant et peut expliquer la montée de la défiance.

L’audace observée en matière de prestations sociales est curieusement absente en matière de réforme de l’État. Que signifie l’absence de tout débouché de la mission Cap22 ? On sait que différents scénarios de reconfiguration de l’État ont été envisagés, les méthodes canadiennes ou suédoises ont été étudiées, l’impératif du numérique a été évoqué… et pourtant au terme d’un an de travaux rien n’a abouti. Faut-il incriminer l’absence de volonté politique de la part de dirigeants issus de la technocratie et ayant la nostalgie de la réforme gaulliste ? Faut-il croire aux promesses sur des annonces à venir ? Ce qui frappe est l’absence d’un mouvement porteur pour ce type de réformes, l’incapacité à émerger d’élites sectorielles qui pourraient porter telle ou telle réforme et au total la séduction, quoiqu’on en dise, des mesures de rabot. Là aussi la gestion de la communication a été contre-productive : multiplier les annonces sur la réforme de l’Etat, commander un rapport, en distiller les bonnes pages pour finalement ne rien faire ne grandit pas les auteurs de cette stratégie.

La critique est donc bien mal assurée quand elle pointe la manque de résultats, la purge infligée aux retraités ou la levée des tabous sur le contrôle des chômeurs. Mais elle manque ce faisant les problèmes récurrents du pays qui sont insuffisamment traités ou les évolutions structurelles dont on n’a peut être pas suffisamment mesuré la portée pour ne rien dire des problèmes de communication.

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