Présidentielle 2022 : ce que l'élection de Marine Le Pen changerait pour la France à l'international
Si elle est élue, la candidate du Rassemblement national compte proposer une diplomatie en rupture complète avec celle d'Emmanuel Macron. En rupture aussi avec une certaine tradition française.
Marine Le Pen sait déjà où elle effectuera son premier déplacement si elle est élue à l'Elysée, dimanche 24 avril, à l'issue du second tour de la présidentielle. Quelque part en France ? Non, c'est à Bruxelles que la candidate du Rassemblement national compte se rendre au plus vite, elle qui entend "réformer l'Union européenne de l'intérieur" pour se libérer "du carcan bruxellois".
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Dans son programme, Marine Le Pen déroule en effet une ambition double : offrir à la France une plus grande liberté d'action extérieure, afin d'assouvir son "besoin de projection" international, comme cela est écrit en page 18 de son manifeste de campagne. Quitte à proposer une diplomatie qui romprait avec une certaine tradition française. Franceinfo vous explique comment une présidence de la candidate d'extrême droite changerait la place de la France en Europe et dans le monde.
Une France isolée au sein de l'Europe
Si elle ne milite plus pour la sortie de l'euro, comme en 2017, Marine Le Pen affiche toujours une forte défiance vis-à-vis de l'UE. Sous son impulsion, la France pourrait revoir drastiquement sa participation au budget européen : "Nous allons continuer à payer une contribution à l'UE, mais lorsque nous lui donnons 23 milliards, nous en recevons 14. Nous ferons en sorte que cet écart de 9 milliards ne soit plus que de 4 milliards", détaille Laurent Jacobelli, son porte-parole.
En 2017, Marine Le Pen voulait aussi un référendum pour faire sortir la France de l'UE. Cinq ans plus tard, elle entend plutôt œuvrer pour "la création d'une Alliance européenne des nations qui a vocation à se substituer progressivement à l'UE". Pour mener à bien ce projet, l'ancienne eurodéputée, qui a siégé douze ans au Parlement européen, entre 2004 et 2017, veut intensifier les négociations bilatérales.
Une campagne qu'elle mènerait "auprès des contacts noués au sein des droites radicales européennes, explique Frédéric Charillon, professeur en sciences politiques et spécialiste de la politique étrangère française. Notamment le président hongrois, Viktor Orban, qui se sentirait moins seul en Europe."
"Marine Le Pen propose un Frexit à demi-mot, mais cela reste très compliqué à organiser."
Frédéric Charillon, spécialiste de la politique étrangère françaiseà franceinfo
Une fois à l'Elysée, la candidate d'extrême droite pourrait surtout tenter de "négocier plus sèchement la participation de la France, comme l'avait fait [l'ancienne Première ministre britannique] Margaret Thatcher dans les années 1980, avec son slogan 'I want my money back'", avance le spécialiste. Mais avec cette attitude, "la France se retrouverait isolée, sans pouvoir sortir de l'UE pour autant".
Un couple franco-allemand faché
Pour Marine Le Pen, le couple franco-allemand est une "quasi-fiction". Selon la candidate RN, ce partenariat n'a rien apporté sauf "désillusion, trahison". Lors de la présentation de sa politique internationale, le 13 avril, elle a même dénoncé "l'aveuglement français à l'égard de Berlin".
Dans son programme, Marine Le Pen promet donc de "mettre un terme aux coopérations industrielles engagées avec l'Allemagne en matière d'armement", évoquant des "divergences stratégiques irréconciliables". Une prise de distance qui se poursuivrait jusqu'au siège des Nations unies. La candidate RN refuse en effet de soutenir l'accession de l'Allemagne à un siège permanent au Conseil de sécurité de l'ONU, dont la France fait partie depuis 1945.
"Marine Le Pen propose finalement d'isoler la France", résume à franceinfo le diplomate Michel Duclos, conseiller spécial à l'Institut Montaigne. "Ce serait un extraordinaire affaiblissement. Cela signifierait descendre de trois ou quatre marches dans l'échelle des puissances."
Un droit international à sa guise
A la page 6 de son manifeste, Marine Le Pen promet d'opter "pour une politique des mains libres" en matière de défense. Cela suppose, écrit-elle, que "la France se retire du commandement intégré de l'Otan". En revanche, pas question de renoncer "à l'application de l'article 5", celui qui oblige les militaires de l'Otan à intervenir lorsqu'un de ses membres est agressé.
"C'est tout à fait faisable, il suffit d'en informer le président américain et le secrétaire de l'Otan", explique Amélie Zima, docteure en science politique à l'université Paris-Nanterre. Mais cette démarche risque "de donner l'impression que le pays est une girouette, après notre retour dans le commandement intégré en 2009", analyse l'auteure de L'Otan (éd. Que sais-je ?).
Plus globalement, Marine Le Pen prônera le "retour du dialogue bilatéral" sur le mode du "donnant-donnant". Si elle accède à l'Elysée, la candidate RN veut donc s'affranchir de tout "multilatéralisme". Elle envisage aussi de faire primer le droit national sur le droit européen et les traités internationaux comme l'accord de Paris sur le climat. Si elle assure ne pas vouloir en sortir, elle plaide toutefois pour que ce texte ne dicte pas à la France son rythme de réformes. Une vision particulière de l'engagement, qui équivaut pour ses détracteurs à un non-respect du protocole signé.
Une défiance envers les superpuissances
Les coopérations économiques, diplomatiques, militaires ou culturelles avec les Etats-Unis auraient aussi du plomb dans l'aile. Marine Le Pen estime que "la relation de fond" avec la première puissance mondiale "ne fonctionne pas dans l'intérêt de la France". Selon elle, "les Etats-Unis ne se comportent pas toujours comme un allié de la France". Elle envisage donc de "remettre à plat" cette relation franco-américaine.
"Nous nous garderons de tout suivisme de l'administration Biden, qui a besoin d'ennemis pour souder ses alliés sous sa domination."
Marine Le Penle 13 avril, en conférence de presse
En Asie aussi, les habitudes changeraient. "Nous contribuerons à faire respecter le droit international, le droit maritime, y compris par la Chine dans les régions du globe où la puissance française est présente. Nous sommes une puissance d'Asie-Pacifique et d'Asie-Océanie", a affirmé la dirigeante d'extrême droite, qui veut développer un "partenariat avec le Japon, la Corée et plusieurs autres pays".
Des dirigeants controversés à l'Elysée
Un mois après son élection en 2017, Emmanuel Macron avait reçu le président russe, Vladimir Poutine, à Versailles, dans une atmosphère tendue. L'air devrait être plus respirable en cas de rencontre avec Marine Le Pen, qui a noué des liens particuliers avec l'autocrate russe depuis leur première poignée de main en 2017. Alors que la Russie poursuit son offensive en Ukraine, la candidate RN a vertement critiqué l'embargo occidental sur le charbon, avant de se déclarer pour la reprise des liaisons diplomatiques avec le régime de Vladimir Poutine, "dès que la guerre (...) sera achevée et aura été réglée par un traité de paix".
Marine Le Pen désire par ailleurs rétablir des relations diplomatiques avec la Syrie de Bachar Al Assad, coupées sous François Hollande. Interrogé sur franceinfo, jeudi 14 avril, Philippe Olivier, son conseiller spécial, l'avait timidement confirmé : "Vraisemblablement, on parlera. Dans quelles conditions ? Je n'en sais rien. (...) Nous pensons qu'il faut parler à tout le monde, y compris à des gens dont on condamne les actions." Jusqu'à rouvrir l'ambassade de France en Syrie ? "C'est une décision qui appartient au président de la République quand il est élu président de la République."
Pour Frédéric Charillon, Marine Le Pen pourrait tout à fait recevoir en visite officielle "les membres du camp national et autoritaire, auquel elle appartient". Comme le président brésilien Jair Bolsonaro ou le Hongrois Viktor Orban, "des émules de Donald Trump, qu'elle considère en partie comme un modèle". Le doute plane cependant sur ses relations avec Recep Tayyip Erdogan, l'homme fort de la Turquie. "Ils sont compatibles sur de nombreux points, mais le RN a beaucoup critiqué le président turc au sujet de l'islamisme en France", rappelle le professeur en sciences politiques.
Une nouvelle donne pour les diplomates
Si elle est élue, Marine Le Pen pourrait – si elle le souhaite – nommer, muter et déplacer les 182 ambassadeurs et 89 consuls et consuls généraux actuellement en poste à travers le monde.
"Elle peut tout à fait remplacer quelques ambassadeurs, mais cela sentirait la reprise en main autoritaire si elle le fait sur trop de postes."
Frédéric Charillon, spécialiste de la politique étrangère françaiseà franceinfo
"Il y a beaucoup d'inconnues : pourra-t-elle trouver des remplaçants ? A-t-elle suffisamment de contacts dans la sphère diplomatique française ?", s'interroge le spécialiste en relations internationales. "Il y a certainement des hauts fonctionnaires qui feront jouer la clause de conscience, imagine le diplomate Michel Duclos. Des personnes qui diraient : 'Je ne souhaite pas poursuivre'."
En mars 2017, un mois avant que Marine Le Pen n'accède pour la première fois au second tour de la présidentielle, Thierry Dana, alors ambassadeur de France au Japon, avait par exemple donné l'alerte dans une tribune au Monde. "Si les éléments de la tragédie française qui se mettent en place devaient conduire à son élection, je me placerais en réserve de toute fonction diplomatique", écrivait celui qui est aujourd'hui conseiller diplomatique de Valérie Pécresse.
Par ailleurs, l'opacité devrait caractériser les futurs échanges entre ambassadeurs sous l'ère Le Pen. Lors de la présentation de son programme de politique internationale, le 13 avril, l'intéressée disait aussi vouloir mettre en place une "diplomatie secrète", "la seule qui soit efficace à la diplomatie bavarde et ouverte d'Emmanuel Macron", selon elle.
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