Présidentielle 2022 : comment expliquer les bons scores de Marine Le Pen en outre-mer ?
La candidate du Rassemblement national est arrivée en tête du second tour de l'élection dans les Antilles, à La Réunion, en Guyane, à Mayotte et à Saint-Pierre-et-Miquelon.
Une vague bleu marine en outre-mer. La candidate du Rassemblement national (RN) est arrivée en tête du second tour de l'élection présidentielle, dimanche 24 avril, dans les Antilles, à La Réunion, en Guyane, à Mayotte et à Saint-Pierre-et-Miquelon, selon les résultats définitifs communiqués par le ministère de l'Intérieur.
Marine Le Pen a notamment recueilli 69,6% des voix en Guadeloupe et 60,87% en Martinique. Des scores bien plus élevés que les 41,46% des suffrages qu'elle a récoltés à l'échelle nationale. Son rival Emmanuel Macron a dû se contenter d'une victoire en Nouvelle-Calédonie (61,04%), en Polynésie française (51,8%) et à Wallis-et-Futuna (67,44%). Après l'annonce des résultats, la candidate du RN a salué les électeurs d'outre-mer qui l'"ont largement placée en tête du second tour avec une force extraordinaire". Franceinfo décrypte les raisons de cette percée.
L'appel de Jean-Luc Mélenchon ne semble pas avoir été "reçu"
Marine Le Pen se classe en tête du second tour de l'élection dans sept départements qui avaient massivement voté pour Jean-Luc Mélenchon au premier tour. En Guadeloupe, par exemple, le candidat de La France insoumise avait engrangé 56,61% des voix, le 10 avril, loin devant Marine Le Pen (17,92%) et Emmanuel Macron (13,43%). Même succès en Martinique, où il avait été plébiscité par 53,1% des suffrages exprimés.
"L'arrivée massive en tête de Jean-Luc Mélenchon" dans ces territoires ne s'est donc "pas transformée en avance pour Emmanuel Macron", pointe auprès de franceinfo Martial Foucault, directeur du Cevipof et titulaire de la Chaire outre-mer de Sciences Po. Le chef de file des Insoumis avait pourtant appelé ne "pas donner une seule voix à madame Le Pen".
"Cela laisse entendre que la consigne de vote de Jean-Luc Mélenchon, qui pouvait paraître ambiguë, n'a pas été reçue."
Martial Foucault, directeur du Cevipofà franceinfo
"Le vote en faveur de Jean-Luc Mélenchon était déjà l'expression d'une colère et d'un désenchantement", rappelle Justin Daniel, professeur de science politique à l'université des Antilles. Au second tour, il "s'est pour partie transformé en vote contestataire au profit de Marine Le Pen".
Un "vote de rejet" envers Emmanuel Macron
Pour les spécialistes interrogés par franceinfo, les scores de Marine Le Pen en outre-mer sont en grande partie la traduction d'un "vote de rejet envers Emmanuel Macron".
"Emmanuel Macron a cristallisé sur son nom de nombreux mécontentements."
Justin Daniel, professeur de science politique à l'université des Antillesà franceinfo
Le premier d'entre eux : la colère sanitaire des Antillais. Les résultats du Rassemblement national s'inscrivent dans la lignée du vaste mouvement de contestation contre l'obligation vaccinale pour les soignants et le pass sanitaire, en Guadeloupe ainsi qu'en Martinique. "La réponse répressive, par l'envoi des forces de l'ordre, et les scandales sanitaires ont suscité beaucoup de rejet envers une politique obligatoire de vaccination", souligne Martial Foucault. Au sein du gouvernement, Clément Beaune a concédé sur franceinfo que "la question sanitaire a[vait] sans doute joué un rôle très fort" dans ces résultats. "Il y a eu des incompréhensions sans doute entre Paris et les territoires d'outre-mer", selon le secrétaire d'Etat chargé des Affaires européennes.
Marine Le Pen a également su capter la "colère sociale" de certains citoyens ultra-marins. A La Réunion, par exemple, "le ressenti perdure depuis le mouvement des 'gilets jaunes'", lancé en 2018, relève la politologue Christiane Rafidinarivo, chercheuse invitée au Cevipof.
Une "part d'adhésion" au programme de Marine Le Pen
"Mais ne nous voilons pas la face, il y a aussi une part d'adhésion aux idées de Marine Le Pen", estime Justin Daniel. La poussée de la candidate dans les territoires ultra-marins n'est d'ailleurs pas nouvelle. Au premier tour de l'élection présidentielle de 2017, elle était même arrivée en tête, avec 21,9% des voix, devant Jean-Luc Mélenchon, François Fillon et Emmanuel Macron. Aux élections européennes de 2019, son parti avait ensuite enregistré des résultats historiquement élevés. Les scores du Rassemblement national dimanche confirment une progression amorcée depuis plusieurs années.
Entre le second tour de l'élection présidentielle de 2017 et celle de 2022, Marine Le Pen a gagné plus de 38 points en Martinique, environ 44 points en Guadeloupe, plus de 25 points en Guyane ou encore près de 20 points à La Réunion. "Le Rassemblement national a désormais un véritable noyau électoral" en outre-mer, analyse Christiane Rafidinarivo.
Le Rassemblement national tente depuis plusieurs élections de grappiller des voix dans ces territoires. Le parti est d'ailleurs l'un des seuls à avoir consacré une partie de son programme présidentiel à l'outre-mer, avance Christiane Rafidinarivo. Certaines thématiques développées par Marine Le Pen y ont aussi trouvé un écho particulier. A commencer par le pouvoir d'achat, l'axe principal de la campagne de la candidate d'extrême droite.
"La thématique du pouvoir d'achat résonne particulièrement dans l'électorat ultramarin, car ce sont les territoires les plus pauvres de France, où les jeunes sont très fortement touchés par le chômage et où la précarité est importante."
Christiane Rafidinarivo, politologueà franceinfo
A Mayotte, où Marine Le Pen est arrivée en tête aux deux tours, le Rassemblement national a davantage misé sur son discours sur l'immigration et la sécurité. Le département a connu ces dernières années d'importantes arrivées de migrants venus de l'archipel proche des Comores. "Le discours anti-Comoriens est la pierre angulaire de l'implantation du Rassemblement national à Mayotte", expose Christiane Rafidinarivo.
Reste à savoir si ces bons scores se confirmeront lors des élections législatives. Avec une faible implantation locale, la partie "est loin d'être gagnée" pour le RN, estime la politologue. "Or, les ressources locales sont très importantes pour gagner ces élections", confirme Justin Daniel.
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