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"Il pourrait y avoir des tentatives de revenir sur des acquis" : comment le programme de Marine Le Pen affecterait la vie des minorités

Article rédigé par Elise Lambert, Robin Prudent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Marine Le Pen en meeting à Arras le 21 avril 2022. (MUSTAFA YALCIN / ANADOLU AGENCY / AFP)

Si la candidate d'extrême droite était élue, les droits et libertés des minorités seraient réduits ou menacés. Les étrangers et les musulmans sont particulièrement visés. 

Des droits pour les uns, des discriminations pour les autres. Si elle accède à l'Elysée, Marine Le Pen a pour grand projet de modifier la Constitution pour y inscrire la "priorité nationale". Dans son programme, clairement ancré à l'extrême droite, elle prévoit d'"arrêter l'immigration incontrôlée", d'"éradiquer les idéologies islamistes" ou encore de promouvoir "la sécurité partout".

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L'application d'un tel projet en France, même si certains de ses contours restent flous et pourraient se heurter à la loi, aurait des conséquences inédites pour certaines populations : les étrangers et les musulmans en premier lieu. Les droits des femmes et des LGBT+ seraient également menacés. Voici à quoi pourrait ressembler la société sous la présidence de Marine Le Pen.

Des étrangers privés de logement social…

Si elle est élue, Marine Le Pen compte soumettre à référendum un projet de loi sur l'immigration et l'identité afin d'inscrire dans la Constitution la "priorité nationale". Il s'agit de rendre légale la discrimination entre les Français et les étrangers pour l'accès au logement social, au travail, à l'hôpital et aux aides sociales. "La mise en place de la priorité nationale pour les foyers dont au moins l'un des parents est français permettra de remettre rapidement sur le marché les 620 000 logements sociaux occupés par des étrangers", affirme Marine Le Pen dans son programme (lien en PDF).

Concrètement, cela signifie que si deux familles candidatent pour un logement dans un HLM, celle dont au moins l'un des parents a la nationalité française sera prioritaire. A ce jour passible d'une peine de trois ans de prison et d'une amende de 45 000 euros, cette discrimination deviendrait donc la règle. "La loi ne sera pas rétroactive, on ne demandera pas aux gens de partir", assure à franceinfo Sébastien Chenu, porte-parole du RN.

… et restreints dans l'accès à l'emploi

Même situation concernant le travail : un employeur pourra favoriser un candidat français face à un candidat de nationalité étrangère. Cette rupture d'égalité aurait des conséquences de taille sur le marché de l'emploi. Par exemple, en 2017, 11,8% des médecins en activité régulière étaient titulaires d'un diplôme obtenu à l'étranger, rappelle Le Monde. Seraient-ils contraints d'arrêter de travailler ? "Quand on peut embaucher des Français qui ont les diplômes, l'expérience, ils seront prioritaires. Mais on ne va pas se priver d'un médecin s'il est là", nuance Sébastien Chenu.

"Ce n'est pas l'exclusivité, sinon cela serait discriminatoire ; c'est la priorité."

Sébastien Chenu, porte-parole du RN

à franceinfo

Selon l'Insee, en 2017, 6,6% des actifs en France étaient étrangers. Ils étaient surreprésentés parmi les ouvriers (11,1%) et les artisans, commerçants et chefs d'entreprises de 10 salariés ou plus (8%). "Beaucoup d'étrangers sont employés dans la restauration, le bâtiment. Ces secteurs ne fonctionneraient pas sans eux", décrit Romain Prunier, de l'association United Migrants.

"Restreindre l'accès à l'emploi des étrangers ne ferait qu'aggraver leur précarité et les empêcherait de constituer un dossier pour être régularisés."

Romain Prunier, membre de l'association United Migrants

à franceinfo

Actuellement, il faut un contrat de travail ou une promesse d'embauche pour être régularisé. Sur ce dernier point, Marine Le Pen a tranché : les étrangers en situation irrégulière ne pourront pas être régularisés "sauf cas exceptionnels". De plus, "les étrangers venus pour travailler devront rentrer chez eux au bout d'un an de chômage", écrit-elle dans son programme.

"Encore plus de personnes à la rue"

Toujours dans le but de "faire passer les nôtres avant les autres", Marine Le Pen veut stopper les regroupements familiaux, abroger la naturalisation par le mariage et supprimer le droit du sol. Les demandes de droit d'asile seront traitées uniquement depuis l'étranger. "Ces personnes vont rester sur le territoire car elles n'ont pas le choix, projette Romain Prunier. Elles vont subir de la répression, les centres de rétention ne seront pas assez nombreux pour gérer la situationIl risque d'y avoir encore plus de personnes à la rue."

La loi permettra d'ailleurs de poursuivre les personnes qui apportent une aide aux étrangers en situation irrégulière. Un projet qui inquiète Fanélie Carrey-Conte, secrétaire générale de la Cimade. "On basculerait dans un monde où faire vivre de manière élémentaire notre humanité commune pourrait être passible de condamnation", déplore-t-elle. Ces associations, "à partir du moment où il n'y a pas franchissement de la loi", n'ont rien à craindre, rétorque Sébastien Chenu. Mais "elles ne seront probablement pas financées par l'Etat", précise-t-il.

Pour renforcer l'autorité de l'Etat, Marine Le Pen veut instituer une "présomption de légitime défense" pour les forces de l'ordreCela signifie qu'en cas de poursuites pénales, par exemple pour des violences policières, les agents n'auraient plus à apporter la preuve de la légalité de leur tir. "Dans les quartiers populaires, on vit déjà des situations compliquées avec les forces de l'ordre. J'ai peur qu'on retombe dans les ratonnades du passé, et que ça soit légitime", commente Mohamed Mechmache, du collectif Pas sans nous, qui milite pour l'égalité des droits des habitants de ces quartiers. 

Les musulmans encore plus stigmatisés

Autre population particulièrement ciblée par Marine Le Pen : les musulmans. Afin de "lutter contre l'islamisme", la candidate a confirmé lors du débat d'entre-deux-tours face à Emmanuel Macron qu'elle souhaitait interdire le port du voile dans l'espace public. "Le voile est un uniforme imposé par les islamistes", a-t-elle déclaré. 

"Il faut faire reculer les islamistes et pour cela, je le crois, il faut interdire le voile dans l'espace public."

Marine Le Pen

lors du débat d'entre-deux-tours

Si une telle interdiction était mise en place, la France deviendrait la première démocratie au monde à interdire un signe religieux dans l'espace public. "Avec Marine Le Pen, le climat anxiogène sera décuplé, ça sera pire", craint Laura, membre de l'association féministe et antiraciste Lallab, qui raconte avoir "déjà subi des remarques dans la rue" au sujet de son voile.

"On sera restreintes sur nos activités, notre mobilité. Je suis sceptique sur notre avenir et nos libertés. La question de quitter la France se posera forcément."

Laura, membre de l'association Lallab

à franceinfo

Marine Le Pen entend également encadrer l'abattage rituel religieux "au nom de la dignité animale", ciblant ainsi les traditions des musulmans et des juifs. "Les possibilités d'importation de viande casher ou halal ne sont pas réduites", pondère Sébastien Chenu.

Les droits des femmes et des LGBT+ menacés

Les associations féministes et LGBT+ craignent aussi de voir leurs droits rognés. A ce sujet, le programme de Marine Le Pen entretient le flou. "C'est une manière de ne pas trancher. Une stratégie pensée pour ne pas bousculer l'opinion publique et ne pas heurter son camp politique", analyse Ugo Palheta, sociologue à l'université de Lille.

La candidate a gommé ses anciennes propositions de 2017, lorsqu'elle promettait d'abroger le mariage pour tous et d'empêcher l'ouverture de la PMA aux couples lesbiens. "Je ne retirerai aucun droit aux Français", a-t-elle affirmé, le 15 avril, à Avignon. "C'est notre grand principe", confirme Sébastien Chenu. Mais les inquiétudes sont toujours bien réelles.

"Nous avons une épée de Damoclès au-dessus de la tête", ressent Matthieu Gatipon-Bachette, porte-parole de l'Inter-LGBT. En cause, "le moratoire de trois ans sur les sujets sociétaux" (lien en PDF) voulu par Marine Le Pen, qui exclura toute évolution législative sur ces sujets, sauf via un référendum d'initiative citoyenne"Il pourrait y avoir des tentatives populistes de revenir sur des acquis comme la PMA ou le mariage pour tous", redoute-t-il.

La crainte du modèle hongrois

Ces inquiétudes sont renforcées par les mesures déjà prises par certains dirigeants européens, proches du RN, comme le Premier ministre hongrois Viktor Orban. En juin 2021, le Parlement hongrois a adopté un texte interdisant la "promotion" de l'homosexualité auprès des mineursUne loi "homophobe et transphobe", selon Amnesty International. Or, "on sait que Marine Le Pen regarde avec des yeux énamourés ce que fait Viktor Orban", note Matthieu Gatipon-Bachette.

La présidente du RN a d'ailleurs repris la rhétorique utilisée en Hongrie en affirmant être "contre tout prosélytisme sexuel à l'égard des enfants". Les eurodéputés du RN ont, de leur côté, voté contre une résolution condamnant cette loi. "On ne va pas du tout se mêler de ces sujets", balaie Sébastien Chenu.

Pourtant, en 2020, les élus d'extrême droite se sont distingués par leur vote contre une résolution européenne condamnant l'interdiction quasi-totale de l'avortement en Pologne. "Il s'agit d'un pays européen qui recule sur les droits des femmes à cause d'une politique d'extrême droite", rappelle Maëlle Noir, membre du collectif féministe #NousToutes. "On sait que ces droits sont très fragiles et on a vraiment peur pour la France", martèle la militante.

Des associations privées de financements

Avec le RN au pouvoir, les associations s'alarment aussi de possibles reculs en matière de lutte contre les violences. Matthieu Gatipon-Bachette, qui milite dans le Grand Est, note que dans sa région, les élus du RN votent "systématiquement" contre les financements aux associations de prévention contre le sexisme et les haines anti-LGBT.

"Ce n'est pas du tout une peur fantasmée. Le RN est déjà en opposition avec nos associations."

Matthieu Gatipon-Bachette, porte-parole de l'Inter-LGBT

à franceinfo

C'est aussi le cas à Nice, où le RN a regretté que la ville ait donné une subvention au Centre LGBT de la Côte d'Azur, rapporte le magazine Têtu. "Au Parlement européen, les élus RN ont presque toujours refusé de voter des mesures en faveur de l'égalité de genre et des droits des minorités sexuelles", ajoute Ugo Palheta, qui prévient : "L'extrême droite [en campagne] n'exprime jamais complètement son projet fondamental (…) car tout cela suppose de leur part des initiatives profondément antidémocratiques."

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