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Présidentielle 2022 : la primaire est-elle devenue une "machine à perdre" ?

Article rédigé par Anne Brigaudeau
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Trois futurs candidats à la primaire de droite de 2016, Alain Juppé, Nicolas Sarkozy et François Fillon, à l'université d'été des Républicains, à La Baule (Loire-Atlantique), le 5 septembre 2015. (JEAN-SEBASTIEN EVRARD / AFP)

Les primaires ouvertes permettent aux sympathisants d'une sensibilité politique de désigner leur candidat à l'élection présidentielle. Cette méthode légitime le vainqueur, mais s'accompagne du risque de la division.

Seuls les écologistes s'y sont jetés hardiment. Pour sélectionner leur candidat à la présidentielle de 2022, ils tiennent une primaire ouverte à laquelle 72 000 sympathisants étaient inscrits jeudi 9 septembre, selon les organisateurs. Ce sera peut-être le seul vote du genre avant l'élection présidentielle prévue les 10 et 24 avril prochains.

A droite, les Républicains (LR) hésitent, craignant de fracturer leur électorat. Le président des Hauts-de-France, Xavier Bertrand, qui a quitté LR en 2017, a déjà annoncé qu'il se présenterait quoi qu'il arrive. De son côté, le Parti socialiste devrait simplement soumettre aux militants la candidature de la maire de Paris, Anne Hidalgo. Pourquoi la primaire fait-elle peur ? Serait-elle devenue, comme le disent ses contempteurs, "une machine à perdre" ?

"Un très mauvais procès"

"Je suis critique sur le principe des primaires parce qu'elles renforcent la présidentialisation, l'hyperpersonnalisation, le poids des sondages, au détriment des idées et des militants, qui ne choisissent plus leur candidat", attaque, bille en tête, Rémi Lefebvre, professeur de sciences politiques à Lille et auteur d'un essai sur le sujet (Les primaires, de l'engouement au désenchantement, paru en 2020). Cependant, "c'est un très mauvais procès qu'on leur fait en ce moment". "Avant, on les considérait comme géniales. Aujourd'hui, la détestation est excessive", selon le politologue.

A droite, par exemple, "tout le monde en a peur, mais en 2016, ça s'était bien passé pour départager les candidats en lice", rappelle le spécialiste. A l'époque, le scrutin mobilise plus de 4 millions de votants, un engouement "phénoménal".

"Bien sûr, la primaire de 2016 a été très discutée, un peu rugueuse, mais elle a produit un candidat incontesté, François Fillon, auquel les juppéistes se sont ralliés."

Rémi Lefebvre, professeur de sciences politiques à Lille

à franceinfo

"C'est sûr, les primaires fragmentent toujours, mais à droite, en 2016, le problème est arrivé après, retrace-t-il. Ce sont les révélations de la presse sur les costumes offerts à François Fillon et les soupçons d'emploi fictif de son épouse qui ont nui au candidat."

Une pratique ancrée à gauche

L'histoire des primaires dans la vie politique française remonte à quelques décennies, si l'on prend en compte les primaires fermées, réservées aux seuls adhérents d'un parti. "Le principe de la primaire est inscrit dans les statuts du parti socialiste depuis 1971", soulignait un rapport du cercle de réflexion Terra Nova en 2008. "Ces primaires fermées sont liées à la gauche", confirme Frédéric Sawicki, professeur de science politique à Paris 1-Panthéon-Sorbonne.

En 1995, la primaire interne au Parti socialiste oppose Lionel Jospin, finalement désigné, et Henri Emmanuelli. La primaire de 2006, toujours réservée aux militants socialistes, consacre le triomphe de Ségolène Royal qui élimine dès le premier tour ses deux adversaires, Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn. Cette élection interne marque un tournant par rapport à 1995, soulignent à l'époque Bernard Dolez et Annie Laurent dans La Revue française de sciences politique. "Cette fois, la campagne est intensément médiatisée, écrivent-ils. La compétition, qui concerne a priori exclusivement les socialistes, se déroule en fait devant l'ensemble des Français, appelés ainsi à trancher, par voie d'enquête d'opinion, une question à laquelle ils sont pourtant formellement étrangers."

Des "primaires ouvertes" qui légitiment

Il faut attendre 2011 pour que le PS organise une primaire largement ouverte, qui semble ensuite s'imposer comme le modèle à suivre. "En 2012, pourquoi ça a si bien marché ? Parce qu'il y a eu un alignement du candidat et du parti socialiste", analyse Martial Foucault, le directeur du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof).

Déboussolé par l'élimination de Dominique Strauss-Kahn, qui s'est retiré de la course après une plainte pour viol déposée contre lui aux Etats-Unis dans l'affaire du Sofitel de New York, le PS choisit de mettre en place une primaire ouverte aux sympathisants de gauche, en s'inspirant des travaux de Terra Nova. C'est un succès, avec plus de 2,6 millions de votants au premier tour et 2,8 millions au second tour. De quoi "légitimer fortement le candidat", note Martial Foucault, rejoint sur ce point par Rémi Lefebvre.

"Si François Hollande a gagné la présidentielle en 2012, c'est aussi grâce à la mobilisation suscitée par sa victoire à la primaire. A l'arrivée, tous ses opposants lors de la primaire se sont ralliés à lui, même Arnaud Montebourg."

Rémi Lefebvre

à franceinfo

En 2016, l'idée est reprise par la droite. LR croit en ses chances après le quinquennat de François Hollande, mais doit départager pléthore de candidats, dont deux anciens Premiers ministres, François Fillon et Alain Juppé, et un ancien président, Nicolas Sarkozy. Désormais, le chef du parti ne s'impose plus comme le candidat naturel à l'Elysée. La suite est connue : François Fillon remporte une victoire écrasante face à Alain Juppé, avec 66% des voix sur plus de 4 millions d'électeurs. "Si cette primaire a eu tant de succès, observe Rémi Lefebvre, c'est parce que les participants pensaient que la droite allait gagner. Du coup, ils choisissaient par avance leur président."

Des "partis émiettés"

On connaît la fin : en 2017, Emmanuel Macron souffle la victoire aux uns et aux autres à l'aide d'un parti, En marche !, créé uniquement pour lui servir de tremplin. C'est une gifle historique pour LR et le PS : aucun des deux n'est qualifié pour le second tour. Benoît Hamon, candidat socialiste désigné par une ;primaire, recueille à peine plus de 6% des voix.

Est-ce vraiment la faute de ce mode de sélection ? Non, répondent en chœur les spécialistes interrogés. "On inverse la cause et les conséquences quand on attribue l'échec à la présidentielle aux primaires, estime Frédéric Sawicki. Le problème, c'est le fait que les deux partis qui ont structuré la vie politique française à droite et à gauche ont perdu du poids dans leur camp."

"LR et le PS ne sont plus en mesure d'organiser des primaires largement acceptées parce qu'ils sont émiettés, faibles et qu'ils ont du mal à se repositionner. On voit bien qu'Emmanuel Macron a préempté la droite centriste."

Frédéric Sawicki

à franceinfo

Pour Rémi Lefebvre, la "seule solution" à gauche "serait une primaire transpartisane, mais elle est impossible à organiser, car il y a trop de différences entre, par exemple, Jean-Luc Mélenchon et Anne Hidalgo. Il faut un socle minimum." 

Un risque "difficile à prendre"

A l'inverse, Pascal Perrineau, professeur à Sciences Po qui a rédigé une note sur les primaires pour la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol, un cercle de réflexion de droite libérale), estime qu'une primaire de droite avant la présidentielle permettrait d'y voir plus clair. "Il y a la recherche confuse de quelqu'un qui peut déranger le duo Macron-Le Pen en 2022. Il y a une petite fenêtre d'opportunité à droite, à condition d'avoir un seul candidat", analyse-t-il.

"Les primaires sont d'autant plus opportunes que les partis, avec de moins en moins de militants, ne représentent plus rien et qu'il n'y a pas de candidat qui s'impose", plaide encore Pascal Perrineau. Avec 15 à 17% des intentions de vote, "Xavier Bertrand ne décolle pas dans les sondages". Le spécialiste met aussi en garde contre "une primaire trop clivante". Ce risque de la division, "pour des partis affaiblis, est difficile à prendre", abonde Rémi Lefebvre. Pour lui, à droite, les sondages feront office de primaire. Une stratégie moins risquée qu'une primaire "physique", mais "plus discutable".

"Au fond, synthétise Frédéric Sawicki, Emmanuel Macron a fait des émules en faisant croire qu'on pouvait réussir sans parti, avec son entreprise personnelle. Or, il faut aussi des législatives pour gouverner. Les partis ont cette fonction importante de sélectionner des candidats et de faire émerger des leaders. Mais tant qu'ils n'arriveront pas à se reconstruire, ils n'arriveront pas à organiser des primaires." En attendant, si l'on en croit les sondages sur les intentions de vote, le second tour de 2022 verra s'opposer le même duo qu'en 2017 : Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Or, ni l'un ni l'autre n'entend passer par la case primaire.

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