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Présidentielle : le "parcours du combattant" des sourds et des aveugles pour suivre la campagne

Connaître les programmes des candidats, écouter les meetings, regarder un clip de campagne... Autant d'actions a priori banales, pas si simples pour les personnes en situation de handicap.

Article rédigé par Vincent Daniel
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Un homme regarde les affiches des onze candidats à la présidentielle, à Saint-André-de-la-Roche (Alpes-Maritimes), le 10 avril 2017. (ERIC GAILLARD / REUTERS)

Le débat revient à chaque campagne : à quel âge faut-il fixer l'âge de départ à la retraite ? Chacun des 11 candidats à la présidentielle a sa petite idée sur la question. A priori, connaître leur position sur le sujet n'est donc pas une épreuve insurmontable. A moins d'être aveugle, sourd, malentendant ou malvoyant. Dans ce cas, obtenir une réponse à cette simple question – et suivre la campagne électorale en général – "relève du parcours du combattant", témoigne Manuel Pereira, aveugle et responsable du pôle accessibilité numérique de l'association Valentin Haüy.

L'organisation a demandé à 21 personnes non-voyantes, malvoyantes ou seniors de faire le test en cherchant cette information précise sur les sites officiels des 11 prétendants à l'Elysée. Un quart d'entre eux ont abandonné leurs recherches. Pour les autres, il a fallu en moyenne sept minutes pour trouver la réponse à cette question de fond. Environ 30% des participants à ce test ne se considèrent pas autonomes dans leur navigation, ils estiment qu'ils ont besoin d'aide pour consulter les sites des candidats.

"L'information est très complexe à trouver"

"Le programme est téléchargeable en PDF non-accessible [aux malvoyants et non-voyants], peut-être que l'âge de départ à la retraite est mentionné dans les 44 pages ?" s'interroge ainsi Philippe, non-voyant de 44 ans, cité par l'association Valentin Haüy. "Le gros problème sur ces sites est qu'il n'existe pas de moteur de recherche ou de plan du site, constate Pierre, non-voyant de 56 ans. L'information semble présente, mais très complexe à trouver." "Les politiques ne se sont pas emparés de la question de l'accessibilité numérique pour une personne en situation de handicap ou un senior, se désole Manuel Pereira. On constate qu'ils ne maîtrisent pas du tout le sujet et c'est grave."

Pour voter en toute connaissance de cause, il faut quand même savoir ce que propose chaque candidat.

Manuel Pereira

à franceinfo

"Aucun des 11 sites officiels ne respecte les standards internationaux en terme d'accessibilité pour les personnes en situation de handicap", explique le responsable associatif. Navigation, alternatives textuelles aux images, audiodescription... La situation ne s'est pas arrangée par rapport à la dernière présidentielle, en 2012, au cours de laquelle l'association avait déjà noté les sites des candidats : "Ils sont globalement tous mauvais." Seul Philippe Poutou tire son épingle du jeu et décroche un peu plus de la moyenne grâce à un système de vocalisation des pages quand les sites d'Emmanuel Macon et de Marine Le Pen font figure de bons derniers.

L'association Valentin Haüy a mesuré le niveau d’accessibilité numérique des sites des onze candidats à la présidentielle.  (FRANCEINFO)

Mounir Mahjoubi, responsable du pôle numérique d'En marche !, reconnaît que le site de son candidat est "largement améliorable". "Malheureusement, dans une campagne, on a peu de temps et peu d'argent, explique-t-il. On a amélioré le site par rapport à sa première version mais bien sûr, ce n'est toujours pas satisfaisant." Pour lui, ces "questions complexes" se règlent plus tard, après l'élection, "une fois qu'on est au pouvoir". Contactée par franceinfo, l'équipe de campagne de Marine Le Pen n'a pas donné suite à nos appels.

Une accessibilité de façade

Les personnes sourdes et malentendantes se mobilisent aussi pour faire entendre leur voix dans ce scrutin. Pour interpeller les candidats, la Fédération nationale des sourds de France leur a adressé un manifeste pour l'accessibilité des campagnes présidentielles. Un mouvement, Accès-Cible, a été créé pour alerter sur les difficultés d'accès aux difficulté d'accès aux discours politiques et aux débats télévisés. "C'est un droit à l'information", explique Emilie Coignon, interprète en langue des signes française et membre du mouvement.

Si Accès-Cible constate "des avancées", "cela reste disparate en fonction des candidats". "Trop souvent, ce sont les interprètes qui rentrent en contact avec les équipes de campagne et non le contraire", déplore Emilie Coignon. L'interprètre dénonce également l'"accessibilité ornementale". Des candidats qui, visiblement, font des efforts pour rendre leur campagne audible pour tous. Mais en apparence seulement.

On met un interprète sur scène sans retransmission vidéo, mais les sourds n'ont pas accès aux premiers rangs du meeting. Donc ils ne voient rien. Lors d'un récent meeting de Fillon, l'interprète était caché à chaque fois que les militants levaient les drapeaux.

Emilie Coignon

à franceinfo

Des débats télévisés incompréhensibles

Et lorsque le meeting est diffusé sur internet et traduit en langue des signes, les conditions techniques ne sont pas toujours optimales : l'interprète apparaît dans un médaillon trop petit en bas de l'écran, voire dissimulé par un logo... Des difficultés pointées par le mouvement Accès-Cible, également attentif à l'accessibilité des débats et des émissions politiques à la télévision. 

Pour le "Grand débat" des onze candidats sur BFMTV et CNews, l'équipe de Benoît Hamon a fait traduire l'événement par cinq interprètes, à l'Elysée Montmartre, à Paris. "Ce n'était pas un coup unique, assure l'équipe du candidat PS. Cela doit devenir la norme, notamment sur le service public." Un "effort notable" pour Emilie Coignon : "Ce type de débat est seulement sous-titré mais avec le décalage, les échanges sont incompréhensibles." D'autant que le système n'est pas toujours au point. Ainsi lors du débat entre les candidats à la primaire de la gauche, le 25 janvier, sur France 2, des "problèmes techniques" ont rendu certaines parties du débat incompréhensibles.

"Nous sommes des électeurs comme les autres"

A la suite de ces bugs, France Télévisions a assuré avoir "tenu compte" des plaintes et des remarques et annoncé que le débat d'entre-deux tours sera traduit en langue des signes. Par ailleurs, le groupe met en avant son service de replay pour lequel les sous-titres sont synchronisés avec l'image. Et depuis le 10 avril, les clips de campagne des candidats sont diffusés à la télévision, tous sous-titrés, même audiodécrits sur France 2.

Mais en attendant le premier tour, sourds, aveugles, malvoyants ou malentendants usent souvent du "système D" pour déterminer leur choix. A l'image de Laurence de Saint-Denis, présidente de l'Union nationale des aveugles et déficients visuels (Unadev). "Lorsqu'on arrive à copier-coller un texte ou un discours dans Word, il est plus facile à faire lire par le lecteur vocal. Mais ce n'est pas du satisfaisant...", raconte-t-elle.

"Pour les gens, le handicap, c'est souvent un fauteuil roulant. La déficience visuelle ne se voit pas, on ne nous voit pas", regrette la présidente de l'Unadev. Laurence de Saint-Denis dénonce une "situation blessante". "Il y a 1,7 million d'aveugles en France, nous sommes des électeurs comme les autres et pourtant nous ne sommes toujours pas des citoyens à part entière." Et elle rappelle l'intitulé de la loi de 2005 "pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées" : "Nous sommes loin du compte." 

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