: Vrai ou faux Présidentielle 2022 : les vacances scolaires ont-elles un effet sur la participation ?
Marine Le Pen a suggéré sur France Inter que l'organisation du prochain scrutin présidentiel durant une période de congés pour les établissements scolaires allait favoriser l'abstention. Mais cet effet est tout au plus marginal, d'après le politologue Bruno Cautrès.
Moins de dix mois avant l'élection présidentielle. Les Français décideront du nom du prochain chef de l'Etat les dimanches 10 et 24 avril 2022, a appris France Télévisions auprès de plusieurs membres de l'exécutif. Soit en plein pendant les congés de printemps, qui s'étaleront entre le 9 avril et le 9 mai, selon les zones. Cette décision devrait être officialisée prochainement en Conseil des ministres.
Mais ce calendrier a d'ores et déjà été dénoncé par la présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen, sur France Inter, moins d'une semaine après une abstention record au premier tour des élections régionales. "Est-ce que vous croyez, très honnêtement, que c'est susceptible de mobiliser les électeurs, que de positionner un second tour de l'élection présidentielle au moment où la France entière est en vacances ? a relevé la candidate déclarée face à Léa Salamé. Je pense qu'il faut changer ces dates, je pense que ces dates ont été choisies (...) pour détourner les Français d'une élection essentielle."
Mais qu'en est-il réellement de l'influence des congés sur la participation électorale ?
Des dates tout sauf inhabituelles
En France, le calendrier des scrutins présidentiels est encadré par la Constitution de la Ve République. Plus précisément par son article 7 qui dispose que "l'élection du nouveau président a lieu vingt jours au moins et trente-cinq jours au plus avant l'expiration des pouvoirs du président en exercice". Cette contrainte temporelle explique pourquoi, depuis la mort en exercice du président Georges Pompidou le 2 avril 1974, les scrutins présidentiels ont tous eu lieu en avril ou en mai. Une époque parfois investie par les vacances de printemps des établissements scolaires, arrêtées chaque année par le ministère de l'Education nationale.
L'exécutif agit-il de manière inhabituelle en prévoyant le prochain scrutin présidentiel pendant les congés de printemps ? Un coup d'œil aux précédentes élections invalide cette hypothèse.
Depuis 1995, au moins un tour de chaque élection présidentielle s'est déroulé durant les vacances scolaires d'une voire plusieurs des trois zones métropolitaines. Et à l'image du scrutin prévu en 2022, les deux tours des élections de Jacques Chirac en 1995 et de François Hollande en 2012 ont eu lieu pendant les congés des établissements scolaires. Les dates choisies par l'exécutif pour décider de l'identité du prochain chef de l'Etat n'ont donc rien d'inhabituelles.
Aucun lien entre participation et vacances
La tenue de l'élection présidentielle pendant les vacances scolaires a-t-elle toutefois une influence sur la participation ? Là encore, jetons un œil aux données des derniers scrutins.
Difficile d'observer un impact flagrant des congés scolaires sur la participation électorale. Depuis 1995, les taux d'abstention se situent généralement entre 16 et 25%. En 2007, la victoire de Nicolas Sarkozy s'est accompagnée d'un taux d'abstention de 16,03% quasiment identique au premier tour, qui lui s'était déroulé durant les congés scolaires de deux zones. Et en 2017, le second tour a donné lieu à une participation plus faible qu'au premier, pourtant placé lors d'un week-end de congés pour les zones A et B. A l'inverse, le premier tour de l'élection présidentielle de 2002, positionné durant les vacances, a donné lieu à une très forte abstention de 28,4%. Un scrutin qui, pour la première fois de l'histoire de la Ve République, avait propulsé un candidat d'extrême droite, Jean-Marie Le Pen, au second tour.
Une comparaison interrégionale pour le premier tour de scrutin en 2017 ne permet pas non plus d'identifier un effet des vacances scolaires sur l'abstention : les taux de participation des régions en congés étaient soit inférieurs soit supérieurs à ceux de l'Ile-de-France et de l'Occitanie, montrent les données de l'Insee. Pour Bruno Cautrès, chercheur au CNRS et membre du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cévipof), les vacances scolaires ne pourraient avoir tout au plus qu'un effet "très marginal" sur la participation. Cet impact sur le taux d'abstention a été évalué, en 2006, à 1,7 point par les chercheurs Christian Ben Lakhdar et Eric Dubois, selon Libération. Ce qui n'est pas sans rappeler l'effet du Covid-19, lui aussi à la marge, lors des élections régionales de 2021.
Et qu'en est-il de l'inégalité que pourrait créer entres les candidats la conjonction de l'élection avec les congés d'une zone en particulier ? Des candidats seraient-ils favorisés ? Là aussi, Bruno Cautrès réfute cette idée : "Les principaux concurrents sont des candidats qui ont des électorats nationaux. Les régions où ils sont forts vont continuer à leur apporter leur soutien quoi qu'il arrive." Le chercheur du Cévipof rappelle d'ailleurs qu'il est possible de voter par procuration. Une procédure simplifiée en 2003 et en partie numérisée en 2021 que 2,7 millions de Français ont privilégié lors de la dernière élection présidentielle, rapporte l'Insee.
Une abstention liée à d'autres causes
La polémique n'est donc pas nouvelle. En 2016, le sénateur centriste Claude Kern avait ainsi interpellé le ministère de l'Intérieur, arguant que le déroulement du scrutin présidentiel de 2017 durant les vacances scolaires allait "affaiblir la participation" des citoyens.
L'abstention s'explique plutôt de deux autres façons, avance Bruno Cautrès. Tout d'abord, il existe une "abstention circonstancielle" : "C'est l'abstention des gens dont le petit dernier est malade ou de la personne qui remplace un collègue de nuit au dernier moment", explique trivialement le politologue. Une abstention qui peut être combattue en "offrant une palette de moyens techniques plus élargie", défend Bruno Cautrès, tels que le vote par correspondance ou le vote par internet. "On pourrait faire beaucoup plus et mieux encore", martèle le chercheur du Cévipof.
Il existe enfin une "abstention structurelle", liée à "une mauvaise intégration sociale", à un "faible intérêt" pour la politique ou, plus marginalement, à une "abstention vraiment motivée" de la part de citoyens très politisés mais défiants à l'égard du monde politique. Une abstention structurelle observée de plein fouet lors du premier tour des élections régionales de 2021, auquel près de 87% des 18-24 ans n'ont pas pris part, par choix ou par désintérêt.
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