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Sondages pour la présidentielle 2022 : panel, méthodologie, marge d'erreur... Tout ce qu'il faut savoir pour les décrypter

Les enquêtes d'intentions de vote se multiplient à l'approche de la présidentielle. Panel, méthodologie, marge d'erreur... Franceinfo vous explique comment bien les lire.

Article rédigé par Benoît Jourdain
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 16min
Les sondages, qui se multiplient à l'approche de chaque échéance électorale, peuvent parfois nous plonger dans l'incompréhension. (PIERRE-ALBERT JOSSERAND / FRANCEINFO)

Pas une semaine ne s'écoule sans qu'un sondage vienne mettre son grain de sel dans la campagne présidentielle. Un jour, c'est Eric Zemmour, toujours pas officiellement candidat, qui accéderait au second tour selon une enquête réalisée pour le magazine Challenges. Quelques jours avant, c'était Marine Le Pen, selon un sondage pour franceinfo. Et à droite, Xavier Bertrand serait le mieux placé pour battre ses concurrents. A six mois du scrutin, ces intentions de vote sont reprises par les médias, commentées... et s'invitent au cœur des débats.

>> Qui sont les 12 candidats à l'élection présidentielle 2022 Découvrez leurs portraits et leur position dans les sondages.

Mais comment les sondages sont-ils conçus ? Comment les interpréter ? Quelle importance leur accorder ? Faut-il y déceler un futur probable ? Franceinfo vous aide à vous y retrouver dans cette jungle des chiffres.

1Echantillon, méthode… C'est quoi un "sondage" selon la loi ?

Attention, le sondage a une définition légale précise. Il s'agit d'une "enquête statistique visant à donner une indication quantitative, à une date déterminée, des opinions, souhaits, attitudes ou comportements d'une population par l'interrogation d'un échantillon". Ainsi, la fameuse "question du jour" posée par un média à son public n'est pas une véritable enquête d'opinion. Sa fiabilité peut être mise en cause, par exemple si elle propose aux participants de voter plusieurs fois.

Un sondage doit en effet être représentatif de la population française. Pour y arriver, deux méthodes sont possibles : le tirage aléatoire ou la méthode des quotas. La première "est la méthode la plus pure", comme le tirage du loto, assure Bruno Cautrès, chercheur CNRS au Cevipof-Sciences Po. "Pour transposer ce système à un sondage pour une élection, il faudrait avoir une liste de toutes les personnes éligibles à être tirées au sort" pour faire partie de l'échantillon. "Mais cette liste n'existe pas car la législation interdit d'avoir accès à toutes les personnes éligibles", note le politologue.

Reste alors la seconde méthode, celle des quotas, basée sur les données de l'Insee sur la répartition de la population (âge, sexe, catégorie socioprofessionnelle, géographie, type d'habitat...). "On va chercher à répliquer les proportions de [différentes catégories de] personnes dans la société. Il faut donc parfaitement choisir les variables (âge, sexe, catégorie socioprofessionnelle…) qui permettent de constituer les quotas", explique Bruno Cautrès à franceinfo.

"La méthode des quotas construit un modèle réduit de la population."

Bruno Cautrès, chercheur CNRS au Cevipof-Sciences Po

à franceinfo

Autre règle : lorsqu'un sondage paraît dans un média, il doit être accompagné d'une fiche méthodologique récapitulant la manière dont il a été conçu. "Quand on découvre un sondage, il faut prendre garde au nombre de personnes interrogées, à la façon dont elles sont interrogées..." rappelle Loïc Blondiaux, professeur de science politique à l'université Panthéon-Sorbonne et directeur de Participations, revue de sciences sociales sur la citoyenneté et la démocratie. Ces éléments permettent "d'avoir une connaissance minimale des règles de fabrication de ces enquêtes", et donc du recul sur leurs résultats.

Cette notice doit comporter certains critères : identité de l'organisme qui a commandé le sondage, nombre de personnes interrogées, dates de l'enquête, etc. Depuis 2016, tous les instituts ont l'obligation de publier ces informations sur le site de la Commission des sondages.

2Comment le processus d'un sondage est-il contrôlé ?

Depuis la loi du 19 juillet 1977, les sondages sont régulés par une commission, composée de six hauts magistrats et de trois experts assistés par des statisticiens. "Notre mission est d'assurer l'honnêteté et la régularité de la confection des sondages en lien direct ou indirect avec une élection", explique la présidente de l'institution, Marie-Eve Aubin, dans Marianne (article abonnés).

Selon l'hebdomadaire, la Commission des sondages a "peu de pouvoir de sanction". Elle peut agir par voie de "mise au point", c'est-à-dire la publication d'une rectification dans le média qui a diffusé un sondage erroné. En cas de faute, cela pourrait entraîner un préjudice commercial pour l'institut, qui risquerait de perdre son contrat avec le média qui lui a passé commande. "Les moyens d'action de la Commission sont d'une force certaine", assure l'institution à franceinfo.

L'univers des sondages "n'est pas totalement dérégulé", confirme Brice Teinturier, directeur général délégué d'Ipsos, qui réalise les enquêtes d'opinion pour franceinfo. "Nous donnons absolument tout à la Commission des sondages : l'intégralité des questionnaires, les résultats bruts, les redressements que nous aurions faits..." énumère-t-il.

3Comment sont choisies les personnes interrogées ?

Chaque institut dispose d'un panel, dans lequel il pioche pour créer des échantillons et réaliser ses sondages. "Kantar s'est constitué un panel composé de plusieurs centaines de milliers de personnes en France", éclaire Emmanuel Rivière, directeur international pour les études politiques de Kantar Public, contacté par franceinfo. Ipsos a également le sien, "qui permet d'avoir énormément de personnes qui acceptent un jour d'être interrogées", assure Brice Teinturier.

Selon le dirigeant d'Ipsos, avoir un panel permet une plus grande fiabilité. "On peut suivre les itinéraires car les gens changent d'avis, alors qu'il y a quinze ans c'était très figé, en fonction des affiliations partisanes", détaille-t-il.

Pour les enquêtes sur les intentions de vote, on estime qu'il faut interroger au moins 1 000 personnes : en dessous de 500, les résultats seraient trop imprécis. Pour des sondages plus fiables encore, il faudrait élargir la taille de l'échantillon mais cette option présente le meilleur rapport qualité/prix. "Un échantillon de 1 000 personnes, c'est moins onéreux qu'un échantillon de 10 000 personnes", reconnaît Brice Teinturier. Les participants aux sondages sont récompensés, souvent en points accumulés qu'ils peuvent convertir en bons d'achat.

4Existe-t-il des différences selon les instituts ?

Il y a neuf principaux instituts de sondage en France : Ifop, Kantar, Ipsos, BVA, CSA, OpinionWay, Viavoice, Elabe et Harris Interactive. "Les instituts travaillent tous bien, voire très bien", juge Brice Teinturier. Mais pas forcément de manière identique. Les tailles d'échantillons peuvent varier. Certains, comme Ipsos ou Kantar, ont leur propre panel. D'autres sous-traitent cette partie "mais ça ne signifie pas que le travail est de mauvaise qualité", précise le dirigeant d'Ipsos à franceinfo.

Chaque média peut solliciter n'importe quel institut de sondage. Mais pour avoir la meilleure enquête possible, "il faut comparer les pourcentages à protocole méthodologique constant, pas avec des échelles différentes", estime Bruno Cautrès. "C'est pour cela que je trouve idéal que les médias travaillent avec un institut en particulier", souligne le chercheur.

Le prix d'une enquête dépend de la longueur du questionnaire et de la taille de l'échantillon. Les sondages sur les intentions de vote pour la présidentielle coûtent en moyenne "plusieurs milliers d'euros" à Kantar, évalue Emmanuel Rivière. Ils ne rapportent en revanche pas grand-chose.

"Les enquêtes d'opinion ne sont pas une aubaine commerciale. Une année électorale n'est pas un jackpot pour un institut d'études."

Brice Teinturier, directeur général délégué d'Ipsos

à franceinfo

Malgré les différences entre les instituts, on remarque que "globalement les enquêtes sont convergentes", se félicite Brice Teinturier. "Il y a peut-être des écarts sur le score d'Eric Zemmour, mais tous les instituts mesurent la dynamique."

5S'il y a une marge d'erreur, ça veut dire que le chiffre affiché est faux ?

Les chiffres des sondages sont à prendre avec des pincettes car il faut intégrer la fameuse marge d'erreur. Ainsi, si un candidat est crédité de 20% d'intentions de vote avec une marge d'erreur de 2 points et un niveau de confiance de 95%, il y a 95% de chances que le pourcentage réel de cette personnalité se situe entre 18 et 22%, explicite le Journal du dimanche. "Il faut rester prudent sur un écart de 2 ou 3 points entre deux candidats. Quand je vois Marine Le Pen à 16% et Eric Zemmour à 17%, pour moi, ils sont à égalité compte tenu de la marge d'erreur", illustre Bruno Cautrès.

"La marge d'erreur dépend de la taille de l'échantillon et de la valeur de l'estimation. Plus l'échantillon sera conséquent, plus la marge d'erreur sera minime."

Bruno Cautrès, chercheur CNRS au Cevipof-Sciences Po

à franceinfo

Farouche opposant aux sondages, le professeur de science politique à l'université Paris-Nanterre Alain Garrigou note que certains instituts prennent uniquement en compte les personnes certaines de se rendre aux urnes. "Cela n’a aucun sens de recueillir les intentions auprès des gens qui ne vont pas aller voter", fait valoir Jean-François Doridot, directeur général d’Ipsos, auprès de Libération. Mais ce critère "réduit encore l'échantillon" et "la marge d'incertitude peut alors être considérable", estime Alain Garrigou.

Depuis 2016, une loi contraint "chaque institut à publier les marges d'erreur générales du sondage", rappelle Bruno Cautrès. "Mais peu le font pour chaque candidat car ils estiment que cela entraînerait de la confusion chez le citoyen, poursuit-il. Au contraire, je pense que cela l'éclairerait."

6C'est pour ça que les sondages se trompent tout le temps ?

Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle en 2002, la victoire de François Fillon à la primaire de la droite en 2017... Les sondages sont souvent critiqués au lendemain des scrutins, dont les résultats sont parfois très éloignés des projections. "La vocation de l'outil n'est pas de prédire, rétorque Brice Teinturier, de l'institut Ispos. Les sondages n'ont jamais prétendu dire quel allait être le vainqueur six mois avant l'élection : la campagne joue son rôle."

Les instituts expliquent ainsi que les intentions de vote sont "une photographie à l'instant T". "On a le sentiment qu'on peut avoir une perception exacte de la réalité [dans les sondages] or on sait que, dans toutes les sciences, l'instrument utilisé a des effets sur la réalité qu'il dévoile", met en garde le politologue Loïc Blondiaux.

"En aucun cas, le sondage n'est capable d'anticiper une réalité qui adviendra. Même à un ou deux jours de l'échéance, il n'y a aucune garantie qu'un mouvement de dernière minute ne viendra pas le contredire."

Loïc Blondiaux, professeur de science politique

à franceinfo

D'autant plus que l'abstention est difficilement prise en compte. "C'est le biais de la désirabilité sociale, éclaire Emmanuel Rivière. Chaque citoyen veut se montrer sous son meilleur jour et assure qu'il va voter aux élections."

Alain Garrigou, lui, se méfie des intentions de vote et y voit plutôt "le moyen de sélectionner les candidats". "Certains savent contre qui ils vont voter, mais ils ne savent pas pour qui. Parfois certaines personnalités testées ne sont même pas encore candidates, donc c'est un mirage. C'est surtout un écho de la notoriété et de la présence médiatique d'une personnalité", juge le fondateur de l'Observatoire des sondages et auteur du livre L'Ivresse des sondages (éditions La Découverte).

7Alors comment les interpréter ?

Sous-estimer le pouvoir des courbes et des chiffres serait une erreur. "Les intentions de vote ont un impact psychologique, car le citoyen a du mal à s'aligner derrière les candidats à la peine dans les sondages", analyse Alain Garrigou. Ils rendent ainsi possible le vote stratégique ou vote utile. "On se détourne de son premier choix pour choisir un autre candidat, mieux placé dans les sondages", poursuit le politologue. A l'inverse, ils peuvent parfois favoriser l'éclatement du vote. Emmanuel Rivière ressort du placard l'exemple du premier tour de l'élection présidentielle de 2002.

"Si on avait dit que Lionel Jospin risquait de ne pas accéder au second tour [et d'être devancé par Jean-Marie Le Pen], on aurait sûrement assisté à un second tour entre Lionel Jospin et Jacques Chirac."

Emmanuel Rivière, directeur international pour les études politiques de Kantar Public

à franceinfo

Enfin, les sondages peuvent également valider ou non des campagnes, et forcer Xavier Bertrand à participer à la primaire de la droite alors qu'il s'y refusait. "Il a pris cette décision parce qu'il n'arrivait pas à creuser un écart plus net avec ses concurrents", décrypte Emmanuel Rivière.

8 Il y a de plus en plus de sondages, ça veut dire que c'est plus fiable ?

Le nombre d'enquêtes d'opinion augmente à chaque élection présidentielle : 111 en 1981, 193 en 2002, 409 en 2012 et 563 il y a cinq ans, selon les chiffres communiqués à franceinfo par la Commission des sondages. Un nouveau record sera-t-il atteint cette année ? Pas sûr. Selon la Commission, l'année 2021 a donné lieu "jusqu'à jeudi 14 octobre" à moins de sondages qu'en 2016 à la même date (44 contre 78). "Cette baisse significative est liée au fait qu'il y a cinq ans, deux primaires ouvertes étaient en cours", explique-t-elle. A droite, François Fillon avait créé la surprise et à gauche, Benoît Hamon avait battu Manuel Valls, Arnaud Montebourg ou encore Vincent Peillon.

Ces chiffres traduisent quand même un appétit pour les sondages. Et tout le monde y gagne, selon Alain Garrigou. Les sondeurs "font parler d'eux", car les intentions de vote sont "une vitrine pour leur institut", relève le politologue. Ces enquêtes aident les hommes et femmes politiques à fédérer les électeurs. Enfin, "cela donne du spectacle aux médias", conclut-il.

L'immense majorité des intentions de vote, 95% selon Brice Teinturier, est réalisée pour les médias. "Les responsables politiques n'ont aucun intérêt à en commander, ils n'ont qu'à acheter un journal pour y accéder", note le dirigeant d'Ipsos. Comme Emmanuel Rivière, il reconnaît que l'outil n'est pas parfait mais estime que son absence serait préjudiciable pour le public. "Si on casse la légitimité des sondages, on autorise tous les commentaires au doigt mouillé. Cet outil est indispensable à la compréhension d'une campagne", observe Brice Teinturier. "Si les sondages n'existaient pas, on chercherait l'oracle dans des indicateurs beaucoup moins fiables", abonde Emmanuel Rivière.

9J'ai eu la flemme de tout lire, vous pouvez me faire un résumé ?

Comme à l'approche de chaque échéance électorale, les sondages fleurissent un peu partout dans les médias. Mais il faut prendre ces chiffres avec des pincettes : ils n'ont pas vocation à prédire un résultat et ne sont qu'une photographie de l'opinion à un instant T, réalisée par un institut qui répond à la commande d'un média.

Pour cela, chaque institut interroge au moins mille personnes (faiblement rémunérées pour leur participation). Cet "échantillon" est sélectionné grâce à la méthode des quotas, qui construit un modèle réduit de la population.

Pour permettre de lire le résultat avec du recul, l'institut doit préciser la méthodologie de chaque enquête et sa marge d'erreur, qui varie selon la taille de l'échantillon interrogé. Chaque sondage publié est par ailleurs contrôlé par une commission, constituée de magistrats et d'experts. En 30 ans, le nombre d'enquêtes n'a cessé de croître. Leur influence est indéniable : en permettant par exemple le vote utile, les sondages ont un impact sur le vote des électeurs, ainsi que sur les campagnes électorales.

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