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Vrai ou faux Présidentielle 2022 : les sondages se sont-ils "plantés à toutes les dernières élections", comme l’affirme Yannick Jadot ?

Lors des quatre dernières élections présidentielles, le vainqueur se trouvait parmi les favoris dans les sondages à 100 jours du scrutin. En revanche, le score, l'ordre d'arrivée des candidats au premier tour et la composition du second tour ont parfois provoqué des surprises.

Article rédigé par Pauline Lecouvé, franceinfo
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Yannick Jadot, le candidat d'Europe Ecologie-Les Verts, durant un meeting de campagne à Laon (Aisne), le 11 décembre 2021. (CHRISTOPHE MICHEL / HANS LUCAS / AFP)

Franceinfo tient à rappeler qu'un sondage n'est pas une prédiction, mais une photographie de l'opinion à un instant donné. Un sondage est nécessairement assorti d'une marge d’erreur, dite aussi "marge d’incertitude" ou "intervalle de confiance". Plus l'échantillon est faible, plus la marge d'erreur progresse. Pour plus de détails, voici tout ce qu'il faut savoir pour décrypter les sondages.


Il ne veut pas en entendre parler. Invité à réagir, le 17 décembre lors d'une conférence de presse, à l'annonce de pré-candidature de Christiane Taubira, Yannick Jadot a martelé son intention de se présenter à l'élection présidentielle. Et ce même si les dernières estimations ne le créditaient alors que de 5 à 8% des intentions de vote au premier tour. "Les sondages se sont plantés à toutes les dernières élections", a lancé le candidat désigné par la primaire écologiste pour justifier son souhait de maintenir sa candidature.

Comme le rappellent régulièrement les sondeurs, les débats, les alliances, les affaires et autres faits de campagne peuvent renverser les dynamiques de vote. Sans oublier que les instituts rappellent que leurs études réalisées à 100 jours d'une élection n'ont pas vocation à anticiper le résultat final. Cependant, les sondages se trompent-ils systématiquement ? A trois mois du premier tour de l’élection présidentielle, franceinfo a analysé les sondages des quatre derniers scrutins.

Un précédent lié à l’affaire Fillon en 2017

En ce qui concerne la dernière présidentielle (23 avril-7 mai 2017), au début du mois de janvier 2017, c’est François Fillon qui apparaissait comme le favori si l'on fait la moyenne des intentions de vote mesurées par les sondages*. Le candidat LR était estimé comme potentiel deuxième du premier tour dernière Marine Le Pen, et vainqueur du second. Mais la publication dans Le Canard enchaîné d’un article révélant l’affaire Penelope Fillon, le 25 janvier 2017, a rebattu les cartes. C’est finalement Emmanuel Macron qui a été élu président de la République avec 66,10% des suffrages au second tour face à Marine Le Pen.

Peut-on donc dire que les sondages se sont trompés sur ce scrutin ? Pour Emmanuel Rivière, directeur des études internationales de l’institut Kantar Public, "Yannick Jadot a raison sur le fond. On ne peut pas considérer les sondages du mois de décembre et janvier comme prédictifs". En effet, ces derniers n’ont pas vocation à prédire le vainqueur, rappelle-t-il, mais à donner une estimation des intentions de vote à un instant donné. Il est donc attendu que les intentions de vote changent si un fait majeur survient lors de la campagne, comme cela a été le cas en 2017.

De plus, bien qu’Emmanuel Macron n’était pas le favori des sondages pour accéder au second tour, il était déjà pressenti comme le troisième homme du scrutin, avec 16 à 24% des intentions de vote au premier tour. Selon Brice Teinturier, directeur général délégué de l'institut de sondages Ipsos, il faut arrêter d’alimenter le mythe de la victoire d’Emmanuel Macron comme étant celle d’un outsider. "En décembre, il était estimé à 17% par notre institut de sondage, il était ministre de l’Economie, connu des Français, ça n’a rien à voir avec la situation de Yannick Jadot. Et les circonstances étaient très particulières. On était dans une phase de dégagisme et il y a eu l'affaire Penelope Fillon..."

Le coup de tonnerre de 2002

Si l'on remonte dans le temps, d'autres surprises ont eu lieu. Comme le coup de tonnerre de la présidentielle de 2002 (21 avril-5 mai 2002). Jacques Chirac, favori des sondages au coude-à-coude avec Lionel Jospin, l'a certes emporté, mais la composition du second tour est bien différente de ce qui avait été envisagé par les instituts. En janvier, Chirac et Jospin sont en tête des intentions de vote au premier tour et, au second, les sondages annoncent un scrutin très indécis, avec une légère avance pour Jacques Chirac (51%) sur Lionel Jospin (49%). Or ce second tour n'aura jamais lieu. C’est Jean-Marie Le Pen, crédité entre 6,5 et 10% des intentions de vote dans les sondages, qui arrive en deuxième position du premier tour, avec 16,86% des suffrages. Le président sortant l'emportera avec 82,21% des voix devant le candidat FN.

Moins de surprises en 2007 et 2012

Pour la présidentielle de 2007 (22 avril-6 mai 2007), si l’ordre d’arrivée exact de tous les candidats ne se retrouve pas dans les sondages publiés quatre mois avant le scrutin, ceux-ci annonçaient déjà la composition du second tour. Dans les sondages, Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal sont placés en tête des intentions de vote au premier tour et ils se retrouvent avec des scores très proches au second. A noter, toutefois, la percée singulière de François Bayrou, qui déjouera les pronostics sans pour autant accéder au second tour. Selon Brice Teinturier, il est difficile pour les sondages d’être précis avant d’avoir la composition exacte de l’offre électorale du premier tour. "A partir du moment où on a l’offre de candidature, les choses commencent vraiment à s’affiner. A six mois, on n’a pas encore toutes les candidatures, c’est évident qu’il y a des écarts. A trois mois, on commence à avoir quelque chose de plus précis, même si cela peut encore changer."

En 2012 également, la composition du second tour se retrouve dans les sondages un peu moins de quatre mois avant le scrutin. Favori, François Hollande arrive en tête du second tour et le remporte face au président sortant, Nicolas Sarkozy. "Il y a bel et bien des cas où la photo du mois de janvier et celle d’avril étaient très proches, notamment en 2012. On avait le tiercé dans l’ordre, quasiment le quinté", rappelle Emmanuel Rivière.

L’abstention comme inconnue

Reste une variable : l’abstention, qui peut fausser les sondages si elle est particulièrement élevée. "Aux régionales et aux européennes surtout, il y a eu un problème de plantage, souligne Emmanuel Rivière. Depuis 2017, sur ces scrutins, on est sur un problème de fiabilité. Les derniers sondages ne reflétaient pas les résultats."

Cependant, selon Brice Teinturier, les sondages qui concernent les élections présidentielles sont moins vulnérables, car l'abstention y est traditionnellement plus faible. "Sur les présidentielles, l’instrument des sondages reste fiable. C'est un scrutin national et moins abstentionniste que les autres", assure-t-il. Selon le directeur général délégué de l'institut de sondages Ipsos, même si l’abstention pourrait s’avérer plus élevée en 2022 qu’en 2017, celle-ci ne dépassera pas les 30%, ce qui reste bien en deçà des scrutins intermédiaires. "A 100 jours du scrutin, l’abstention que l’on mesure semble être plus forte qu’en 2017, mais la campagne peut mobiliser les Français, souligne-t-il. On mesure une abstention potentiellement plus élevée de 6-7% par rapport à il y a cinq ans."

"L’enjeu pour nous est celui de la participation différentielle qui déforme ce que l’on mesure."

Brice Teinturier, institut Ipsos

à franceinfo

Cette participation différentielle, une abstention plus importante que prévue pour une catégorie de population, est la bête noire des sondeurs. Lors des régionales de 2021, elle a faussé les sondages, estime le dirigeant d’Ipsos. Certains instituts ont donc décidé de ne prendre en compte que les intentions de vote de personnes se déclarant "certaines" de leur choix. Une méthode critiquée par plusieurs responsables politiques car elle cache les intentions de vote de certaines catégories d’électeurs, plus indécises.

"L’indécision, un facteur de non-fiabilité"

Au-delà de l'abstention, les sondeurs sont confrontés au problème d'un électorat de plus en plus indécis car de moins en moins partisan. "La volatilité des Français est de plus en plus forte et on observe une mobilité qui transgresse également l’ancien clivage gauche-droite", remarque Brice Teinturier. Or, selon Emmanuel Rivière, "l’indécision est un facteur important de non-fiabilité" des sondages. "On a un problème spécifique en France : il y a une très grande volatilité. On doit prendre nos responsabilités. On pense que ce qui est le plus honnête aujourd’hui, c’est de montrer l’incertitude", explique-t-il.

Ainsi, le directeur des études internationales de Kantar Public préconise de présenter les sondages de manière à faire apparaître le noyau dur, c'est-à-dire les électeurs certains de leur vote, et le halo d'incertitude, soit les électeurs encore incertains, et ce pour chaque candidat. 

"Notre cauchemar, ce n’est pas de se tromper, c’est de tromper les gens. Ce qu’on ne veut surtout pas, c’est donner l’impression d’une fausse garantie sur qui sera au second tour."

Emmanuel Rivière, institut Kantar Public

à franceinfo

Cette forte indécision de la part des électeurs peut-elle favoriser la victoire d'un outsider en 2022 ? Emmanuel Rivière estime que c'est peu probable, mais reste prudent : "Le paysage politique se déstructure de plus en plus, c'est moins impossible qu'avant", avance-t-il.

Reste que pour Brice Teinturier, "aucun candidat qui a été mesuré à 5% à quatre mois du scrutin ne l’a emporté à la présidentielle. En l’état actuel, ça paraît extraordinairement compliqué pour Yannick Jadot d’être élu président de la République", estime-t-il. Il regrette par ailleurs les critiques de la part des candidats lorsque les sondages ne leur conviennent pas. "Quand Yannick Jadot était plus haut, il ne critiquait pas les sondages. Il a commencé récemment parce que sa campagne patine, pointe-t-il. Au contraire, lors de la primaire écologiste, il s’est appuyé sur les sondages pour dire que c’était lui qui avait la dynamique et la faveur des sympathisants EELV."


* La moyenne des intentions de vote à près de quatre mois du second tour du scrutin présidentiel qui apparaît sur les graphiques qui accompagnent cet article a été calculée à partir des données des sondages publiés à la période indiquée sur chaque graphique. 

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