Vis ma vie de candidat aux sénatoriales : "Je ne parle surtout pas de politique nationale !"
Francetv info a suivi Claude Nougein, candidat UMP aux sénatoriales en Corrèze. Comment compte-t-il ravir un siège à l'une des sénatrices PS du département ? Reportage.
- "C'est qui ça, déjà, le barbu qui est à gauche ?"
- "19 grands électeurs pour nous ? C'est un bon canton !"
- "Inutile, lui, il est coco !"
- "Rendez-vous annulé, problème familial."
- "Une maire en dépression, tragique..."
- "Samedi, avant-dernier comice agricole."
- "Qui t'a dit qu'il ne voterait pas pour nous ? Il faut qu'on aille le voir quand même."
Attablé à un café près de la gare d'Ussel (Corrèze), Claude Nougein a les yeux rivés sur sa boussole électorale, deux feuilles A4 classant les maires du département selon leur sensibilité politique. Candidat UMP aux sénatoriales en Corrèze, il écume depuis près de trois mois les 286 communes du département avec son assistant, à la rencontre des grands électeurs (députés, conseillers généraux, délégués des conseils municipaux...)
Une campagne sénatoriale ne ressemble à aucune autre. Pas de porte-à-porte, ni de serrages de mains sur les marchés : les candidats s'adressent directement à des élus. Et la voix d'un maire de village compte autant que celle d'un député. "La moindre des choses, quand on sollicite le suffrage d'une personne, c'est d'aller à sa rencontre, justifie Claude Nougein, 67 ans, conseiller général du canton de Brive-Nord depuis 14 ans, par ailleurs PDG d'une entreprise basée à Paris. Le premier parti de Corrèze, ce sont les sans étiquette. Comme dirait Jacques Chirac, il faut aller chercher les voix avec les dents !"
La réforme territoriale en ligne de mire
La voix de Philippe Jenty, par exemple. En jean-polo-baskets, le maire de Saint-Hilaire-les-Courbes (nord de la Corrèze) reçoit le candidat aux sénatoriales dans son bureau, 10 m² de paperasses éclairés par une étroite fenêtre. Elu sans étiquette de ce village de 160 habitants, Jenty tapote sur le bottin posé sur la table. "Alors, vous vous êtes rabibochés, à l'UMP ?", taquine le grand électeur. "On a tout fait pour trouver une solution. Finalement, c'est le destin qui a tranché...", souffle Claude Nougein. L'investiture à droite n'a en effet pas été de tout repos, en Corrèze. Nougein devait faire équipe avec Michel Paillassou, pour tenter de reconquérir les deux sièges de sénateur, actuellement socialistes. Mais ce dernier est mort accidentellement au mois d'août. En catastrophe, l'UMP a finalement décidé de soutenir Daniel Chasseing, élu centriste qui avait d'abord présenté une candidature dissidente. "C'est un drame, cette disparition. On était chagriné, dans le coin", s'attendrit Philippe Jenty.
Sans transition, Claude Nougein embraie sur son speech de présentation - nombre de candidats, quelques phrases sur sa suppléante et engagement en trois points : "Défendre les petites communes, appliquer le mandat unique et rencontrer chaque maire tous les ans." A chaque fois, le discours est le même. Le maire tique sur le mandat unique, "qui prive les sénateurs d'une attache locale", mais abonde sur la réforme territoriale. Plus d'un élu corrézien la voit d'un mauvais œil, elle qui pourrait marier l'Aquitaine, le Limousin et Poitou-Charentes. "Qu'est-ce qu'on a en commun avec les Landes ?, s'emporte Philippe Jenty. Les pins ? Même pas." Le candidat acquiesce : "Ici, on est déjà dans l'arrière-pays corrézien. Avec cette super-région, on serait dans l'arrière-arrière-arrière pays."
François Hollande doit donner le lendemain une longue conférence de presse à Paris. Sur ce point aussi, ils s'accordent : aucun des deux hommes ne la regardera. "On ne va pas tirer sur une ambulance !", rigole Philippe Jenty, coupant court à un éventuel débat sur la politique du gouvernement. "On fait tout pour ne pas parler de politique nationale avec les élus, explique Claude Nougein, une fois quitté le bureau du maire. Ou alors, il faut évoquer ce qui les concerne directement, comme la ruralité ou le financement des projets." Le pacte de responsabilité, le mariage pour tous ou la lutte contre les déficits sont autant de points aveugles d'une campagne qui est pourtant censée aboutir à l'élection d'un élu de la nation. "C'est paradoxal, je vous l'accorde", concède-t-il.
"Je ne vais pas gagner de voix ce soir, je viens par politesse"
A Ussel, Bernadette Chirac arrive avec une demi-heure de retard à la réunion des grands électeurs de droite du canton. Voiture en panne. "Ça a pété dans tous les sens et ça freinait plus ! Ah, ils vont m'entendre à Paris !" Hilarité de l'assemblée, tout acquise à l'ancienne Première dame, elle-même conseillère générale. Claude Nougein lui dit timidement bonjour. Peu avant, il avait été prié de s'ébaubir devant un télégramme daté de 1972, brandi par une retraitée : "C'est Jacques Chirac qui me félicite pour mon mariage !" "Pas de doute, on est en pleine Chiraquie", s'amuse l'assistant de Claude Nougein.
Ces réunions sont fréquentes durant les sénatoriales, les candidats n'ayant pas le temps de voir tout le monde en face-à-face. "Je ne vais pas gagner de voix ce soir, je viens par politesse", confie Claude Nougein. Le public, venu pour lui, prend place. Bernadette Chirac s'assoit au centre, entourée du maire d'Ussel, des deux candidats et, en bout de table, de leurs suppléantes. Daniel Chasseing fustige la politique du gouvernement, Claude Nougein détaille les modalités de l'élection. Bernadette Chirac évoque des souvenirs qui l'attachent à la Corrèze et son "grand escogriffe" de mari. Elle s'en prend "aux autres" du camp socialiste, "qui écoutent aux portes et sont toujours en train de dire des méchancetés." "A chaque fois, elle nous raconte la même chose, murmure un invité. Mais ça fait plaisir qu'elle soit là." On déballe les petits fours à 22h30. Les aspirants sénateurs adressent à peine la parole à l'épouse de Jacques Chirac.
"Trop vieux pour être député"
Un déjeuner est organisé le lendemain, dans une auberge, avec des grands électeurs du canton de Treignac, eux aussi acquis à la cause du candidat UMP. La discussion, un peu fastidieuse, débouche sur une découverte : une grande électrice supposée être à gauche vote finalement à droite. "C'est une amie de ma belle-sœur ! Aucun doute là-dessus", certifie une invitée. On évoque brièvement les concurrents PS, et "la grosse tête de Bernard Combes [candidat PS], qui répète à longueur de journée qu'il est conseiller du président de la République". Et on soutient qu'à Treignac, "les gens votent Chasseing avant de voter pour un parti". Les voix s'accordent au dessert contre "les normes excessives en matière de construction" et au café, contre la parution "honteuse" du livre de Valérie Trierweiler. Claude Nougein, peu disert, offre le repas avec les deniers de son compte de campagne. "En trois mois, on n'aura pas dépensé plus de 6 000 ou 7 000 euros, essence comprise."
Rendez-vous maintenant à Saint-Hilaire-Foissac. Le maire sans étiquette est nouvellement élu, Claude Nougein ne sait pas trop où il met les pieds. Pour s'assurer une "caution morale", il se présente avec Jean-Louis, un élu du coin qui côtoie Claude Sudour à la "com-com", la communauté de communes. Le candidat UMP passe un énième simili d'entretien d'embauche, le maire prend des notes, pose des questions, déplore "qu'on ne capte qu'à côté de la photocopieuse" et que "le technocrate qu'il a eu au téléphone chez Orange pour s'en plaindre le prenne pour un couillon". Et parle sans ambages : le socialiste Bernard Combes lui a rendu visite quelques jours auparavant : "Il s'est bien démerdé, il est très fort." Aïe. Claude Nougein reste impassible, débite son programme en trois points, rajoute un petit "je serai aussi disponible par téléphone", qui semble plaire à l'édile.
Ici comme ailleurs, le candidat n'argumente pas ou peu. Pense-t-il que l'élection est gagnée d'avance ? Reste-t-il distant par lassitude, par tempérament ? Claude Nougein, qui "n'aime pas le sport, ni les jeux de cartes", fait de la politique depuis 25 ans. "Un peu comme un hobby." S'il s'est présenté aux sénatoriales, "c'est aussi parce qu'il est trop vieux pour être député"... Il promet qu'il ne briguera qu'un seul mandat. "Après, il sera vraiment temps de se mettre à la retraite."
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