En Egypte, ces manifestants qui "ne veulent pas d'une nouvelle dictature"
Des opposants occupent depuis dix jours la place Tahrir pour protester contre les dérives autoritaires du président islamiste Mohamed Morsi et son projet de Constitution controversé.
EGYPTE - L'Egypte est plus que jamais divisée. L'élargissement des pouvoirs du président islamiste Mohamed Morsi, le 22 novembre, avait déjà entraîné une levée de boucliers. L'adoption du projet de Constitution, une semaine plus tard, a fait redoubler d'ardeur les opposants au chef de l'Etat.
La place Tahrir, au Caire, est occupée depuis dix jours et les manifestants se sont attaqués, mardi 4 et mercredi 5 décembre, au palais présidentiel. Les heurts entre pro et anti-Morsi ayant fait plus de 200 blessés. Un air de déjà-vu pour des Egyptiens plus que jamais résolus à ne pas subir une nouvelle ère Moubarak.
Morsi "divise la communauté égyptienne"
"On n'a pas fait une révolution pour avoir une autre dictature !" Comme cette manifestante, citée par RFI, les Egyptiens descendus dans la rue gardent tous à l'esprit le soulèvement qui a mené à la chute de Moubarak, en février 2011. Et la peur d'avoir élu un nouveau "pharaon" à la tête du pays. Le décret du 22 novembre avait déjà remis le feu à la place Tahrir. Le camp Morsi assurait que cela donnerait un coup d'accélérateur à la rédaction d'une nouvelle Constitution. Et effectivement, le 30, un projet de loi fondamentale a été adopté, mais sur fond de polémique.
"Je suis en colère parce qu'il divise la communauté égyptienne. Nous étions un groupe. Maintenant nous serons deux groupes", confie à RFI un ingénieur. Ce texte, qui doit faire l'objet d'un référendum le 15 décembre, est soutenu par les islamistes d'un côté, et rejeté par les libéraux, les laïques et les chrétiens de l'autre.
Un autre ingénieur rappelle sur le blog Nouvelles du Caire que les "deux semaines de concertation avec les autres partis politiques" n'ont pas eu lieu, et que "le projet a été rédigé vers la fin, et voté, par une assemblée constituante dont avaient démissionné, en signe de protestation, la plupart des libéraux, pro-révolution et défenseurs des droits de l'homme".
La Constitution "donne trop d'importance à la religion"
"Cette Constitution viole les principes de liberté et n'a été élaborée par les Frères musulmans et les salafistes qu'à leur seul avantage", affirme Hanan Sabri, qui manifeste place Tahrir, au quotidien égyptien Ahram (en anglais). "Elle donne beaucoup trop d'importance à la religion et aux traditions dans l'éducation et pour entraver la liberté d'expression", résume une femme au foyer de 45 ans sur Nouvelles du Caire.
"L'Egypte est un pays où toutes les religions devraient vivre ensemble. J'aime la loi de Dieu et la charia, mais je voterai contre la Constitution parce qu'elle a divisé les gens", confiait à l'AFP Bassam Ali Mohammed, qui enseigne cette loi.
"Le peuple veut (encore) la chute du régime"
Depuis dix jours, des dizaines de milliers de manifestants sont résolus à ne pas laisser le "coup de force" de Morsi sans conséquence. Mardi soir, après la "journée du dernier avertissement", ils étaient encore 2 000 autour du palais présidentiel, situé dans la banlieue du Caire, et dont le mur d'enceinte est couvert de graffitis appelant à la démission du président.
Certains ont réussi à couper les barbelés pour se rapprocher du bâtiment, déserté par Morsi, et tenté de l'escalader. "Dégage !", "le peuple veut la chute du régime" : les slogans sont les mêmes qu'en 2011, lorsque c'était Moubarak qu'il fallait chasser. La police a tenté en vain de les disperser à l'aide de gaz lacrymogènes puis a fini par battre en retraite. Place Tahrir, une vingtaine de tentes ont été dressées pour la nuit.
A la différence qu'aujourd'hui la majorité silencieuse, autobaptisée "parti du canapé", sort de son inertie. "Pendant la révolution je n'ai rien fait, aux élections je ne suis pas allée voter… Mais nous sommes le peuple. Et nous ne voulons pas du règne des Frères musulmans", dit cette musulmane de 40 ans à Slate Afrique.
Etre le président de tous les Egyptiens
Accusé d'avoir "vendu la révolution", Mohamed Morsi doit maintenant rassembler le peuple qui l'a élu. "Il doit désormais prouver qu'il peut être le président de tous les Egyptiens, plutôt que de s'adresser à une certaine catégorie de gens", peut-on lire dans une tribune publiée dans le quotidien panarabe Asharq al-Awsat (en anglais). "Si Morsi choisit de rester sur sa ligne radicale, s'il ne répond pas à nos demandes, non seulement on va continuer à occuper la place, mais en plus on va lancer un mouvement de désobéissance civile", assène Ragab al-Feizir, vice-secrétaire général du Parti libéral (opposition), interrogé par RFI.
Certains nostalgiques imaginent faire appel à l'armée, comme au temps de Moubarak. "Il faut que l'armée reprenne franchement les choses en main et rétablisse les lois d'urgence, pour que le pays recommence à tourner et qu'on sache reprendre le travail", explique à Libération le gérant d'une société de fret maritime à Alexandrie. Mais pour Ataf, jeune révolutionnaire, militaires et Frères musulmans "sont de mèche et veulent tous empêcher la vraie démocratie". "En fait, l'ancien régime n'est pas tombé et la révolution n'a pas encore abouti. Elle viendra quand l'armée véritable, celle du peuple, réagira !", affirme-t-il au quotidien.
Pour Ragab al-Feizir aussi, il revient aux Egyptiens de défendre eux-mêmes leurs intérêts. "La légitimité du peuple, elle est ici, sur la place Tahrir. C'est elle qui a dégagé Moubarak, c'est elle qui a été la première étincelle de la révolution. Et c'est elle qui va résister et combattre jusqu'à ce qu'on dégage Morsi !"
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.