Etats-Unis–Europe : l'accord de libre-échange, idée salutaire ou plan galère ?
Des négociations vont s'ouvrir pour un accord commercial global entre l'Union européenne et les Etats-Unis. Mais cette union entre deux puissances en crise peut-elle être une réussite ?
L'annonce, faite par le président Barack Obama, est passée presque inaperçue au milieu de son traditionnel discours sur l'état de l'Union : les Etats-Unis et l'Europe vont ouvrir des négociations en vue d'un accord global de libre-échange. La Commission européenne l'a confirmé dans un communiqué (en anglais), mercredi 13 février.
A froid, la nouvelle peut désarçonner. Après toutes ces années passées à analyser l'essor foudroyant des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), l'élargissement inévitable de l'espace Shengen à l'Est ou encore l"émergence de la "colocalisation" (un mot pudique pour dire qu'on délocalise, mais juste de l'autre côté de la Méditerranée), parler d'un partenariat entre les Etats-Unis et l'Europe a quelque chose d'anachronique.
Sans compter que les deux zones ne sont pas vraiment des moteurs de croissance à l'heure actuelle. On peut donc se demander si unir ces deux malades va vraiment donner naissance à un ensemble bien portant. Francetv info vous donne les raisons d'y croire... et celles de ne pas s'emballer.
Pourquoi un tel accord a du sens
Parce que l'Europe et les Etats-Unis sont déjà des partenaires privilégiés. Les échanges commerciaux entre les deux zones se sont élevés à 454,6 milliards d'euros en 2011, selon les statistiques de la Commission européenne : l'Union européenne est le premier partenaire commercial des Etats-Unis, et vice-versa.
Les deux zones bénéficient déjà de barrières douanières relativement basses pour les échanges transatlantiques, mais l'accord a pour ambition d'aller plus loin : en particulier, il s'agit d'harmoniser leurs réglementations, notamment en matière environnementale et sanitaire, et d'ouvrir davantage de marchés aux entreprises implantées de l'autre côté de l'Atlantique, par exemple dans le secteur des transports.
Parce que l'idée plaît à tout le monde. Alors que les gouvernements américains et européens cherchent désespérément des leviers de croissance, les efforts en ce sens sont parfois freinés par l'affrontement entre deux camps : ceux qui veulent davantage de rigueur budgétaire, à l'instar des Allemands et des conservateurs américains, et ceux qui défendent une forme de relance, à l'instar de la France et de Barack Obama.
L'idée de faciliter les échanges commerciaux a le mérite de mettre tout le monde d'accord, en Europe comme au sein de la classe politique américaine. "Il y a un consensus sur le fait que cette [union] dopera les économies des deux côtés de l'Atlantique", assure Andràs Simonyi, expert au Centre pour les relations transatlantiques de Washington, interrogé par l'AFP.
La Commission européenne estime ainsi que les mesures envisagées pourraient permettre, à terme, d'augmenter de 0,5% le PIB européen, et de 0,4% le PIB américain.
Parce qu'il faut se serrer les coudes face à la Chine. Comme le souligne une chronique du Washington Post (en anglais), un partenariat entre l'Europe et les Etats-Unis ne suscite pas les mêmes craintes qu'un renforcement des échanges avec des pays comme la Chine, accusée de saper les acquis sociaux des travailleurs américains et européens.
Pour certains, la montée en puissance de la Chine est même une raison supplémentaire de travailler à des liens commerciaux plus forts. "Nous sommes tous les deux confrontés au même défi et ce défi, c'est la Chine", explique ainsi Bill Reinsch, président du National Foreing Trade Council, un lobby américain qui œuvre à la libéralisation des échanges, cité par le Financial Times. "Une manière d'affronter ce défi concurrentiel (...) est de se mettre d'accord sur nos propres standards."
Parce que c'est le bon moment. L'idée d'un accord de libre-échange n'est pas nouvelle, mais elle était jusqu'ici restée dans les cartons. Le projet bénéficie aujourd'hui de plusieurs circonstances favorables. Les difficultés que connaissent les négociations lancées à l'échelle de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), dans le cadre du cycle de Doha, en sont une : un accord bilatéral serait un moyen d'avancer en contournant l'impasse.
Le contexte politique américain est aussi favorable. La réélection de Barack Obama semble s'accompagner d'un infléchissement de la politique étrangère de Washington en faveur de l'Europe, note le Financial Times. Le quotidien souligne en particulier la nomination de deux personnalités possédant des liens forts avec le Vieux Continent aux postes clés de secrétaire d'Etat et de secrétaire à la Défense : John Kerry et Chuck Hagel, tous deux "grands supporters de l'Otan et de l'Union européenne".
Pourquoi ça risque de coincer
Parce que l'harmonisation s'annonce complexe. Pour les industriels, l'harmonisation des réglementations représenterait un gain de temps et d'argent considérable. L'objectif semble à portée de main pour certains secteurs. Un exemple souvent cité est l'automobile. Actuellement, les standards techniques et les standards de sécurité peuvent varier d'un côté à l'autre de l'Atlantique, obligeant les constructeurs à adapter leurs modèles et leurs procédures selon le lieu de commercialisation. Les harmoniser permettrait de donner un sérieux coup de pouce aux constructeurs.
Mais la tâche s'annonce plus ardue dans d'autres domaines : par exemple, la réglementation européenne Reach, qui encadre l'utilisation des produits chimiques et impose des règles de sécurité environnementale strictes aux industriels, est vue d'un mauvais œil par les entreprises américaines.
Parce que l'Europe n'aime pas les OGM et le bœuf aux hormones. L'agro-alimentaire est une véritable mine de sujets qui fâchent. L'utilisation d'hormones de croissance dans l'élevage bovin est un cas emblématique : il a été un sujet de conflit entre l'UE et les Etats-Unis pendant plus de vingt ans. L'Europe interdisait l'importation de viande de ce type. Les Etats-Unis imposaient, en guise de représailles, des sanctions douanières sur des produits emblématiques, comme le roquefort. La rixe a pris fin en 2012 avec un accord maintenant l'interdit européen, mais augmentant en échange les quotas d'importation.
Autre tabou européen : la culture d'organismes génétiquement modifiés, théoriquement autorisée par l'UE, mais qui fait l'objet d'un moratoire dans certains pays du Vieux Continent. Dans les deux cas, entre en jeu une conception différente du principe de précaution : là où les Américains considèrent qu'aucun risque pour la santé ou l'environnement n'a été scientifiquement prouvé, les Européens estiment qu'il n'est pas à écarter.
Parce que les Etats-Unis n'aiment pas la PAC. Nul doute que les produits agricoles seront au centre des négociations : pour les deux parties, l'agriculture est un secteur clé. Mais tandis que les Etats-Unis constituent le premier débouché des produits agricoles européens, l'Union européenne n'est que le cinquième marché d'exportation pour les Etats-Unis. Les exportations de l'UE vers les Etats-Unis atteignaient ainsi plus de 14 milliards d'euros en 2011, selon les statistiques de la Commission européenne, contre seulement 8 milliards dans l'autre sens.
L'obstacle numéro un que devront franchir les négociateurs s'appelle la PAC, la politique agricole commune de l'Union européenne. Les Etats-Unis, qui soutiennent pourtant eux-mêmes leur agriculture, accusent depuis longtemps la PAC de protectionnisme. Les droits de douane sur les produits agricoles s'élèvent "en moyenne à seulement 12% pour les Etats-Unis, contre 30% en moyenne pour l'Europe", explique ainsi le site du ministère de l'Agriculture américain (en anglais). Le Congrès américain, lui, estime les droits de douanes moyens de 9% pour les Etats-Unis et de 18% pour l'Europe, plus proches des chiffres cités par les experts européens.
Au problème des droits de douane s'ajoutent les mesures de soutien à la production dont bénéficient les agriculteurs. Elles sont contestées outre-Atlantique, mais en Europe, certains Etats membres y sont très attachés... La France au premier rang.
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