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"Si je n'avais pas freiné en urgence, tu serais peut-être mort" : un conducteur du RER A raconte comment il a failli écraser un voyageur

Cédric Gentil, conducteur sur cette ligne de transport en commun très fréquentée en Ile-de-France, a failli écraser un adolescent descendu sur une voie, samedi. Il raconte à francetv info la peur, la procédure et le retour, inquiet, au travail.

Article rédigé par Camille Caldini
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Un RER A arrive à la station Gare de Lyon, à Paris, le 2 avril 2010.  (MAXPPP)

"Frissons", "mains et genoux qui tremblent", "j'ai failli tuer un gamin". Le récit de l'incident est glaçant. Samedi 17 octobre, Cédric Gentil, conducteur de RER sur la ligne A de transport en commun parisien, évite de justesse un adolescent descendu sur une voie, à la station La Défense. Sur Twitter, derrière le pseudonyme @Gentilchanoir, le conducteur, auteur de Mesdames et messieurs, votre attention s'il vous plaît, raconte immédiatement sa frayeur en quelques messages.

Lundi après-midi, Cédric Gentil a repris, prudemment, les commandes de son RER. Pendant une pause, il raconte à francetv info comment il a vécu l'accident et évoque des solutions pour limiter les risques.

francetv info : Que s'est-il passé, samedi, à la station La Défense ?

Cédric Gentil : Je terminais mon premier trajet de la journée, quand j'ai aperçu une masse sombre sur la gauche de la voie. Le quai se trouve à droite. J'ai d'abord cru que c'était une affiche mal collée, parce qu'il y a de grandes publicités à cet endroit. J'ai ralenti. En fait, un garçon était caché dans une niche et à l'approche de mon train, il a tenté de traverser la voie pour rejoindre le quai. J'ai pu effectuer un freinage d'urgence et m'arrêter à temps. Nous sommes tous formés pour ça, mais j'ai quand même eu une grosse frayeur. Cela s'est passé très vite. Avant de repartir je lui ai adressé un petit message au micro : "Si je n'avais pas freiné en urgence, tu serais peut-être mort."

 

Et ensuite ? Comment avez-vous été pris en charge ?

Je suis reparti jusqu'à Nanterre (Hauts-de-Seine) et mon chef m'a relevé. Il y a une procédure prévue dans ce type de cas. D'abord, il est possible d'envoyer quelqu'un pour accompagner le conducteur jusqu'au prochain terminus. Puis de le remplacer très rapidement. Dans mon cas, c'était de toute façon l'heure de la pause.

Je suis rentré à Torcy (Seine-et-Marne), ma gare de rattachement, où tous les documents étaient prêts pour déclencher une procédure d'accident du travail. J'ai passé la soirée avec ma famille, et je suis retourné travailler dimanche, sans conduire. J'ai repris mon service aujourd'hui, mais j'aurais pu être arrêté si je l'avais voulu. Quand les circonstances sont plus éprouvantes, si quelqu'un est blessé ou meurt, les conducteurs ont aussi accès à des psychologues. 

Comment s'est passée la reprise ?

C'est un peu difficile, ça va prendre un peu de temps. Après ce genre d'incident, on se remémore la scène. On se pose 10 000 questions. Et si j'avais été moins attentif ? C'était sur la fin de mon trajet, un moment où l'on risque toujours de se relâcher. Aujourd'hui, en arrivant à La Défense, j'étais à 50 km/h au lieu des 70 km/h habituels. Pendant quelques jours, je vais vivre avec la crainte que cela se reproduise.

Est-ce que vous, et vos collègues, avez quotidiennement en tête ce genre d'incidents ?

Si j'y pensais tous les jours, ce serait compliqué d'aller travailler sereinement. Mais oui, j'y pense depuis que ça m'est arrivé dans le métro, en 2002 ou 2003, quand une femme a fait une tentative de suicide. Je me suis arrêté à un mètre d'elle. Depuis ma cabine, je ne la voyais plus. Une autre fois, sur la ligne A, un homme très alcoolisé marchait sur les voies, dans la nuit, entre Torcy et Lognes (Seine-et-Marne). 

Ce genre de choses arrive très souvent. Mais on sait aussi qu'il y a des périodes plus propices à ce qu'on appelle les "accidents graves de voyageurs". On constate, par exemple, plus de tentatives de suicide à la rentrée et pendant les fêtes de fin d'année. Du coup, l'idée de devoir freiner en urgence est toujours un peu présente. Tous les conducteurs le savent bien, l'ont appris et sont capables de le faire.

Comment pourrait-on limiter les risques d'accidents ? 

Les conducteurs sont déjà très bien formés et font toujours attention. Quand un quai est bondé en raison de problèmes sur une ligne, j'arrive moins vite. Mais il est possible de sensibiliser les voyageurs, surtout les jeunes et très jeunes. La RATP et la SNCF pourraient lancer des campagnes comme pour la fraude ou les incivilités, impliquer les agents, les faire intervenir dans les écoles, les collèges… Parce que je vois des choses hallucinantes dans les stations. Des enfants en bas âge que les parents ne tiennent pas par la main, des adultes qui se penchent au bord du quai. Je comprends que les voyageurs veuillent absolument monter dans le premier train quand ils sont pressés et ont attendu longtemps, mais c'est insensé de mettre sa vie en danger sur un quai de métro pour rentrer chez soi.

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