Emeutes à Marseille : ce que l'on sait des quatre enquêtes ouvertes après des accusations de violences policières
C'est la quatrième enquête judiciaire visant des policiers à Marseille après les émeutes urbaines qui ont suivi la mort de Nahel à Nanterre (Hauts-de-Seine), tué par un policier lors d'un contrôle routier fin juin. Un policier a été mis en examen, mercredi 30 août, pour des violences aggravées sur un trentenaire présentant sept fractures au visage, a appris franceinfo auprès du parquet de Marseille. Un de ses collègues, placé en détention provisoire dans l'affaire Hedi, l'un des quatre dossiers, a par ailleurs été remis en liberté vendredi.
C'est dans la deuxième ville de France qu'a été recensé le seul mort lors des événements survenus fin juin et début juillet, alors qu'une trentaine d'enquêtes ont été ouvertes par l'IGPN sur tout le territoire. Franceinfo fait le point sur ce que l'on sait de ces quatre affaires.
Otman, sept fractures au visage après son interpellation
Il est entre 22h30 et 23 heures, dans la nuit du samedi 1er au dimanche 2 juillet. Otman, 36 ans, sort d'un tabac qui vient d'être pillé, dans le quartier de La Plaine, rapporte le site d'information locale Marsactu. C'est alors qu'il est interpellé par des policiers. Un procès-verbal rédigé par un fonctionnaire de police, et cité par Libération, fait état, à 22h36, de "dégradations [au] tabac rue Saint-Savournin / La Plaine" et de "trois interpellations" dix minutes plus tard à cet endroit. "Demande fourgon cellulaire et MP [marins-pompiers] pour l'un des individus interpellés", est-il ensuite noté sur ce PV, à l'heure de 22h45, toujours selon Libération.
Une vidéo TikTok, relayée sur Twitter par le compte Révolution permanente, montre les images d'une personne au sol entourée de policiers à côté du tabac rue Saint-Savournin. "De très nombreux éléments dans le dossier indiquent qu'il a été frappé par plusieurs personnes", entraînant une perte de connaissance et sept fractures au visage, assure auprès de l'AFP son avocat, Nicolas Chambardon. "J'ai senti des coups, puis trou noir", témoigne Otman mercredi 30 août sur franceinfo.
Otman a porté plainte plainte le 19 juillet avant d'être convoqué deux jours plus tard par la police des polices, l'IGPN, chargée de l'enquête. Le trentenaire, qui assume un "long casier judiciaire" de vols à l'arraché et de violences, dont une affaire de violences conjugales, a expliqué à Marsactu qu'il était allé porter plainte pour "la première fois de (s)a vie". Près de deux mois après son interpellation, il se dit encore très choqué. "J'ai du mal à manger, j'ai des maux de tête, je ne sors plus de chez moi, je ne travaille plus", a-t-il confié à franceinfo.
Le fonctionnaire de police a lui été déféré à l'issue de sa garde à vue, mercredi 30 août. Il a été mis en examen des chefs de violences aggravées, menace ou acte d'intimidation pour déterminer une victime à ne pas déposer plainte et abus d'autorité par personne dépositaire de l'ordre public pour faire échec à l'exécution de la loi, a appris franceinfo jeudi auprès du parquet de Marseille. Il a été placé sous contrôle judiciaire.
"Ces faits s'inscrivent dans un contexte exceptionnel d'émeutes, de pillages dans les rues de Marseille, mais aussi de violences commises sur les forces de l'ordre", réagit auprès de franceinfo l'avocate du policier, Julie Mulateri. "Il s'agit d'un fonctionnaire de police expérimenté, avec des états de service exceptionnels et une carrière empreinte de mérite", poursuit la pénaliste, qui représente aussi un des policiers de la BAC mis en examen dans l'affaire Hedi. "Ces policiers ont tenu la ville à bout de bras pendant des nuits entières de chaos", estime-t-elle.
Hedi, amputé d'une partie du crâne après un tir de LBD dans la tempe
La même nuit du 1er au 2 juillet, Hedi, un employé de restauration, alors âgé de 21 ans, reçoit un tir de LBD dans la tempe dans le 6e arrondissement de la ville. L'exploitation de caméras de surveillance, notamment celle d'une synagogue de la rue d'Italie, prouvent, selon le parquet général d'Aix-en-Provence, que le jeune homme est ensuite roué de coups.
"Un balayage" le fait chuter, "deux coups de pied", "un nouveau coup de poing" et "ensuite un troisième [policier] arrive et lui porte une gifle ou coup de poing à la tête", avait énuméré l'avocat général lors de l'audience devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, qui devait se prononcer sur la demande de remise en liberté du policier, le 3 août. Un "épisode navrant", a regretté le procureur. Après un dernier coup, Hedi s'effondre. Il sera conduit à l'hôpital par un commerçant. Une partie de son crâne a dû être amputée, entraînant une incapacité totale de travail de 120 jours.
Quatre policiers de la brigade anticriminalité (BAC) ont été mis en examen pour violences volontaires aggravées. L'un d'eux, placé en détention provisoire, a finalement reconnu, le 4 août devant la justice, avoir fait "usage de LBD", ce qu'il avait nié dans un premier temps. Pour sa défense, le policier affirme qu'Hedi, capuche sur la tête, a "armé son bras, poing fermé pour jeter un objet". Son incarcération avait déclenché fin juillet une fronde au sein de la police marseillaise. "Le savoir en prison m'empêche de dormir", avait déclaré le directeur général de la police nationale (DGPN), Frédéric Veaux, provoquant une vive polémique.
La cour d'appel d'Aix-en-Provence avait décidé de maintenir en détention ce policier face au risque de concertation avec les trois autres fonctionnaires mis en cause, dans l'attente d'un nouvel interrogatoire qui a eu lieu mercredi. "Il fait confiance à la justice pour que ses explications sur les circonstances du tir LBD, dans un contexte dégradé de violences urbaines, sur un individu possiblement menaçant, permettent la manifestation de la vérité et sa remise en liberté", a confié à franceinfo son avocat, Pierre Gassend. Une nouvelle demande de remise en liberté a été déposée, a appris franceinfo auprès du parquet de Marseille. Et accordée vendredi, comme l'ont annoncé l'avocat du policier et le parquet de Marseille.
Mohamed, victime d'une crise cardiaque après un tir de LBD mortel
Ce même samedi 1er juillet au soir, alors que le centre de Marseille est en proie à des dégradations et pillages, Mohamed Bendriss, 27 ans, croise la route d'une colonne du Raid, déployée dans la cité phocéenne pour impressionner les émeutiers. Ces policiers d'élite, non formés au maintien de l'ordre mais spécialisés dans les prises d'otages et les interventions antiterroristes, sont informés d'un nouveau pillage du magasin Foot Locker et de sa réserve, situés dans le centre de Marseille.
Selon le parquet, l'exploitation des images de vidéosurveillance montre que Mohamed Bendriss poursuit à scooter un homme ayant pris la fuite avec un sac "contenant des marchandises volées dans ce commerce". Le fuyard à pied, ensuite interpellé, a confirmé lors de son audition qu'un homme à scooter "avait tenté de lui prendre le sac de force et l'avait poursuivi", le forçant à abandonner la marchandise volée.
Toujours selon le parquet, Mohamed Bendriss parvient à s'enfuir à scooter, longeant la colonne du Raid en circulant à contre-sens sur le trottoir. C'est dans ces circonstances qu'il est atteint dans un laps de temps très court par deux tirs de LBD, dont l'un au niveau du thorax "se révélera mortel". Le jeune homme, marié et père d'un enfant, est découvert en arrêt cardio-respiratoire quelques rues plus loin.
Au terme d'une enquête minutieuse, la justice remonte la piste du Raid. Trois policiers de l'unité sont mis en examen pour violences avec arme ayant entraîné la mort sans intention de la donner et placés sous contrôle judiciaire. La veuve de Mohamed Bendriss, qui attend un autre enfant, "sollicite la requalification immédiate des faits en homicide volontaire compte tenu du double tir dont il a été victime", relève son avocat, Arié Alimi, dans un communiqué.
De son côté, l'avocat de l'un des policiers, Dominique Mattei, juge la mise en examen de son client "injustifiée". Selon lui, "le danger était caractérisé par ce scooter qui fonçait sur le convoi" de policiers.
Abdelkarim, a perdu l'usage d'un œil après un tir de LBD
La nuit précédente, celle du vendredi 30 juin au samedi 1er juillet, c'est le cousin de Mohamed Bendriss qui est visé par un tir de LBD alors qu'il marche dans le 1er arrondissement de Marseille. "Les gens qui cassaient des trucs étaient loin. Il n'y avait personne, juste les policiers", explique à Mediapart Abdelkarim, décrivant cinq camionnettes remplies d'agents "habillés en noir, avec des casques noirs" qu'il n'avait "jamais vus dans Marseille". Selon lui, il s'agit des policiers du Raid. "J'ai vu un policier en train de me viser, mais je n'ai pas remarqué qu'il allait me tirer dessus, je n'ai pas caché mon visage. Quand j'ai voulu tourner, ils m'ont tiré dessus", poursuit-il auprès du site d'investigation.
Grièvement blessé à un œil, Abdelkarim est hospitalisé et en perd l'usage, malgré plusieurs opérations. "Abdelkarim, atteint d'un handicap important, a été éborgné probablement par le Raid dans la nuit du 30 juin au 1er juillet alors qu'il se promenait. Le lendemain, son cousin Mohamed est tué par des LBD 40. Une famille détruite par la police", écrit sur Twitter l'avocat Arié Alimi. Il assiste son client pour porter plainte avec constitution de partie civile contre X, contre le directeur du Raid et contre le directeur général de la police nationale pour violences volontaires et tentative d'homicide volontaire.
Contacté par franceinfo, Arié Alimi se dit "étonné qu'à ce jour, les plaintes avec constitution de partie civile" de son client "n'aient pas déclenché d'ouverture d'information judiciaire". Ces deux plaintes "sont en cours d'examen par le doyen des juges d'instruction", répond la procureure de la République de Marseille. Dominique Laurens précise qu'elle a, de son côté, ouvert une information judiciaire le 12 août pour "violences volontaires en réunion ayant entraîné une mutilation ou infirmité permanente par personne dépositaire de l'autorité publique et avec arme". Sollicité, le service de communication de la police nationale n'a quant à lui pas souhaité commenter cette affaire, une procédure judiciaire étant en cours.
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