"J'étais diffusée sur des sites pornos" : au procès des viols de Mazan, le calvaire de trois femmes, dont l'ex-compagnon a voulu imiter Dominique Pelicot

Article rédigé par Juliette Campion
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
L'entrée du palais de justice d'Avignon (Vaucluse), le 23 octobre 2024. (CHRISTOPHE SIMON / AFP)
L'homme avait mis en ligne des photos intimes de ses ex-compagnes sur internet avec leurs coordonnées. Il est allé jusqu'à envisager de livrer l'une d'elles au septuagénaire, mais assure s'être ravisé.

Elles se sont succédé à la barre, lundi 4 novembre, pour raconter l'enfer que leur a fait vivre Cédric G., l'un des 51 accusés du procès des viols de Mazan. Trois témoignages glaçants d'anciennes compagnes encore éprouvées par leur vie aux côtés de cet homme aujourd'hui âgé de 50 ans, qui les écoute attentivement depuis son box. Ce technicien informatique d'Avignon, poursuivi pour des faits remontant à octobre 2017, fait partie des huit hommes dont le profil est étudié cette semaine par la cour criminelle du Vaucluse. 

"En public, il était marrant, gentil, mais très sombre en privé", expose Marion* qui l'a côtoyé de 2013 à 2018, précisant toutefois qu'ils n'ont "jamais vécu ensemble". La jeune femme de 36 ans aux longs cheveux châtains décrit un homme qui "a toujours été infidèle", sans doute à cause d'une "addiction" au sexe. Avant d'entrer dans la salle d'audience, elle avait émis le souhait de déposer à huis clos "par crainte de représailles". Une demande inédite pour un témoin depuis le début du procès.

La jeune femme est traumatisée en raison du harcèlement sexuel que lui ont fait subir de multiples inconnus, et ce, pendant plusieurs années. Celui qui était alors son compagnon a diffusé des photos d'elle sur internet. "Certaines intimes, d'autres plus basiques : des photos professionnelles, des photos de vacances. Il a diffusé ma carte d'identité, mon numéro de téléphone, mon adresse, ma profession...", détaille-t-elle. Marion a dû changer de travail et déménager. 

"Je rêve qu'elle se fasse violer en rentrant chez elle"

La trentenaire dit avoir mis des mois à comprendre pourquoi elle avait été prise pour cible. Finalement, "une personne qui connaît quelqu'un qui connaît quelqu'un a prévenu un de mes proches". "J'étais très sidérée, très choquée. J'ai mis du temps à me rendre compte à quel point j'avais été trahie", relate-t-elle, précisant avoir fait "un burn-out et une dépression assez grave, deux ans plus tard". 

Son récit fait écho à celui de Gisèle Pelicot qui a vécu des décennies avec celui qu'elle décrivait comme "un super mec". Marion a toutes les raisons de penser qu'elle aurait pu subir le même sort. En fouillant dans le portable de Cédric G., elle est tombée sur des échanges avec Dominique Pelicot, dans lesquels son compagnon écrivait : "Je rêve qu'elle se fasse violer en rentrant chez elle". "C'est une phrase qui tourne dans ma tête depuis", commente-t-elle à la barre dans une salle d'audience médusée.  

Face aux enquêteurs, Cédric G. a admis avoir transmis des photos de la jeune femme au retraité et a même reconnu que le septuagénaire lui avait remis une fiole contenant la même substance que celle qu'il donnait à Gisèle Pelicot, afin qu'il l'administre à son tour à Marion. L'homme a aussi montré à Dominique Pelicot où habitait sa compagne à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), et s'est arrangé pour qu'il la croise sur un pont, lors d'un trajet à pied. Cédric G. assure n'avoir jamais franchi le cap et avoir restitué la fiole à Dominique Pelicot, ce que l'intéressé a confirmé.

Pour autant, un mystère perdure : en avril 2018, Marion s'est réveillée "inconsciente dehors, un soir", rapporte-t-elle, déplorant qu'aucune enquête n'ait alors été ouverte. "La mémoire ne m'est pas revenue. Ça fait six ans que je vis avec", souligne-t-elle. 

"La seule chose que je peux espérer, c'est qu'il ne l'ait pas fait."

Marion, ex-compagne d'un des accusés

devant la cour criminelle du Vaucluse

C'est aussi ce qu'espèrent Elodie* et Alyssa*, qui lui succèdent à la barre. Des montages photographiques les mettant en scène ont été retrouvés sur l'ordinateur de celui qui a été leur petit ami après Marion. Ces clichés ont été postés dans le cadre d'annonces en ligne, les présentant comme des "putes du web", avec leurs adresses personnelles, leurs lieux de travail, et leurs coordonnées téléphoniques. 

Dans le cas d'Alyssa, Cédric G. a diffusé des vidéos de leurs ébats sur des sites pornographiques. "Je recevais des messages sur les réseaux sociaux, on me disait : 'T'es belle, t'es sexy'. Je ne comprenais pas", se remémore cette auxiliaire de vie à domicile de 34 ans. "Puis un monsieur m'a contactée, en disant qu'énormément de photos tournaient sur le net. C'est là que j'ai vu que j'étais diffusée sur des sites pornos, sur coco.fr aussi… Encore aujourd'hui, je suis diffusée", déplore-t-elle. 

"Vous conservez un doute ?" 

Sans le savoir, les deux femmes ont côtoyé Cédric G. en même temps. L'homme a entretenu une double vie pendant un an. "On n'était ensemble qu'en fin de semaine. Les autres jours, il était avec son autre compagne", décrit Elodie, qui témoigne en fauteuil roulant, atteinte d'une sclérose en plaques. Elle pensait avoir rencontré l'homme de sa vie, qui l'avait demandée en mariage. C'était quelque temps avant l'arrestation de l'accusé, en septembre 2022. 

Le président tente de savoir si elle a pu être droguée par Cédric G. "Avec ma sclérose, quand j'avais trop mal aux muscles, j'ai eu des médicaments qui relaxaient... Je ne pense pas qu'il ait fait ce que vous insinuez mais je n'en suis pas certaine", répond-elle. "Vous conservez un doute ?", demande-t-il. "Oui", répond Elodie d'une petite voix.

Quant à Alyssa, l'année qu'elle a passée avec Cédric G., s'est avérée un quotidien teinté de violences et d'humiliations. Elle fait état de "demandes inacceptables". Le président l'invite à préciser. "La prostitution… Je l'ai fait, mais je regrette énormément", lâche-t-elle, fondant en larmes. Elle dit avoir accepté une relation sexuelle tarifée avec un autre homme, à la demande de Cédric G. "Il avait tellement de photos de moi, de vidéos... J'avais peur qu'il les montre à quelqu'un." 

"Tu m'as dit que tu aimais les petites filles"

"Vous ne lui avez jamais présenté vos enfants. Pourquoi ?", lui demande une assesseuse. "Parce qu'il m'a avoué qu'il aimait les ados", répond Alyssa, fébrile. Sa déposition prend un autre tournant. "Vous aviez connaissance des images pédopornographiques sur son ordinateur ?", poursuit la magistrate. "Pas du tout", assure la trentenaire en larmes. 

Dans une lettre de rupture retrouvée par Elodie sur le pare-brise de Cédric G. quelques jours avant son arrestation, Alyssa livre un discours troublant. Elle y compare l'homme, de 16 ans son aîné, à son "papa", qu'elle n'a "jamais connu". Le président procède à la lecture de la missive. "Je me posais beaucoup de questions, surtout quand tu m'as avoué que tu aimais l'inceste, et le pire de tout, c'est quand tu m'as dit que tu aimais les petites filles et quand tu m'as parlé de ma fille et de mon fils", écrit-elle.

Cédric G. a affirmé aux enquêteurs et aux psychologues qui l'ont expertisé avoir été violé à plusieurs reprises par son oncle, à l'adolescence. Il a déclaré à Alyssa qu'il avait aimé ces actes sexuels, avant d'assurer aux policiers qu'il avait menti. "Plus le temps passait, plus tu m'as montré ton côté pervers", poursuit la jeune femme dans sa lettre. "J'ai accepté de me prostituer par peur de perdre mon papa", poursuit-elle. Et de conclure : "Même si tu m'as poussée à faire tout ça, tu resteras tout de même une belle rencontre, tu resteras à tout jamais mon papa". Le président termine sa lecture dans une ambiance figée. Alyssa quitte la salle d'audience, effondrée.

*Les prénoms ont été modifiés pour assurer l'anonymat et la sécurité des intéressées.

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