"Même maintenant, je ne sais pas pourquoi j'y suis allé" : au procès des viols de Mazan, deux accusés reconnaissent les faits mais sans expliquer leurs actes

Venus deux fois au domicile des Pelicot, Abdelali D. et Jean-Luc L. font partie des rares à reconnaître avoir su dès le départ que la victime serait inconsciente au moment de leur venue.
Article rédigé par Juliette Campion
France Télévisions
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Temps de lecture : 10min
Gisèle Pelicot, au tribunal judiciaire d'Avignon (Vaucluse), le 23 octobre 2024. (CHRISTOPHE SIMON / AFP)

"Je reconnais les actes, mais aucune intention de violer." A la barre, jeudi 24 octobre, ces quelques mots de Patrice N. sonnent comme une rengaine familière, répétée des dizaines de fois depuis le début du procès des viols de Mazan, à quelques nuances près. "Dans mon esprit, elle va se réveiller après les actes", assure cet électricien de 55 ans, qui peine à reconnaître une pénétration buccale imposée à Gisèle Pelicot, malgré une vidéo sans équivoque, filmée en gros plan, et diffusée à l'audience.

"Je reconnais les faits, mais pas l'intention", a déclaré Florian R. une heure avant, au même micro, face à la cour criminelle du Vaucluse. Sur les vidéos diffusées à la demande de la partie civile et du ministère public, ce chauffeur-livreur de 32 ans utilise une feuille d'essuie-tout après les pénétrations infligées à la femme inconsciente, le corps en partie recouvert par une couette. "Je m'essuie, mais je n'ai pas éjaculé", assure-t-il. "Vous savez que pénétrer un corps sans consentement, c'est un viol par surprise ?", lui demande Antoine Camus, avocat de la victime. "Non, je ne savais pas. Moi, je suis venu pour un jeu consenti de trois personnes", répond l'accusé.

Gisèle Pelicot "n'attend rien de ces individus", a fait savoir le matin même Stéphane Babonneau, son autre avocat, devant la presse. "La plupart ne peuvent même pas prononcer le mot de viol", a-t-il pointé, rappelant toutefois que plusieurs accusés (15 sur 51) doivent encore être entendus à l'issue de cette huitième semaine d'audience. "Peut-être que l'on peut avoir une lueur d'espoir", a-t-il avancé.

"Prends-la, tu risques rien je te dis"

Cette "lueur" apparaît en début d'après-midi, lorsqu'Abdelali D. s'avance à la barre, reconnaissant d'emblée les faits reprochés, contrairement à l'écrasante majorité de ses prédécesseurs. "Est-ce que monsieur Pelicot vous avait précisé qu'il chargeait la dose [d'anxiolytiques] ?", l'interroge le président. "Oui, il m'a dit qu'elle n'allait pas se réveiller", reconnaît timidement l'accusé de 47 ans, assis sur une chaise. Lourdement handicapé, à la suite d'un AVC en 2019 qui a paralysé la partie gauche de son corps, il est pour cette raison le seul accusé étant allé plus d'une fois à Mazan à comparaître libre, après un an de détention provisoire. 

Les faits le concernant ont eu lieu en janvier et mars 2018 : il est poursuivi pour être venu deux fois à Mazan et atteste avoir su dès les premiers échanges sur le site Coco que la victime serait endormie. Sur les vidéos, on le voit tenter de pénétrer la victime, mais n'y parvient pas, en l'absence d'érection. Dominique Pelicot insiste lourdement. "Prends-la, tu risques rien je te dis", lui certifie le retraité à voix basse. Son acolyte y parviendra lors de sa deuxième venue. 

Stéphane Babonneau pense pouvoir lui soutirer quelques explications. "Vous avez reconnu les faits de viol, ce qui permet d'avoir avec vous une discussion qui peut être différente de celles que nous avons eues un certain nombre de fois, sur le banc des accusés", souligne l'avocat. 

Un accusé "introverti et pudique" 

"En fait, le dilemme pour moi, il est là : même maintenant, je ne sais pas pourquoi j'y suis allé. Ce n'est pas un contexte que j'ai l'habitude de faire. Je n'ai pas de réponse à vous donner", explique Abdelali D. "Vous ne savez pas ce qui vous a attiré dans ces relations sexuelles avec une femme endormie, après toutes ces années ?", relance Stéphane Babonneau. "Je ne sais pas", rétorque l'accusé, lapidaire. Les espoirs de la partie civile s'envolent. 

"Est-ce que dans vos fantasmes sexuels, il y a une attirance pour les corps de femmes endormies ?", tente l'avocate générale à son tour. "Non, pas du tout, clairement pas", se défend-il. L'homme, décrit comme dans son enquête de personnalité comme "introverti et pudique", souffre d'un alcoolisme chronique et n'a plus d'activité professionnelle depuis 2015. Sa compagne estime qu'il présente "un complexe d'infériorité", lié notamment, selon elle, à cette perte d'emploi. Au total, son interrogatoire a duré moins d'une heure, sans qu'Abdelali D. ne semble disposé à livrer une quelconque analyse de ses agissements. 

"Je pensais que ce n'était pas interdit" 

Le constat s'avère le même pour Jean-Luc L., entendu après lui. Ce père de quatre enfants, âgé de 46 ans, est détenu pour être allé lui aussi deux fois à Mazan, en février 2018 et mars 2019. Les vidéos le concernant étaient classées sous le pseudo "Jean-Lucasiat" sur le disque dur de Dominique Pelicot. 

Il explique y être retourné une seconde fois par "peur" de son interlocuteur. Ce dernier lui aurait envoyé une vidéo des premiers faits de viols le concernant, sur laquelle sa femme serait tombée. "On s'est disputés. J'ai failli la perdre. J'avais peur qu'il poste sur internet ou sur les réseaux", relate-t-il d'une voix hésitante, parfois à peine audible, depuis son box. "C'était une forme de chantage ?", lui demande le président. "Chantage, je ne sais pas, mais c'est la peur que j'ai", répond Jean-Luc L.

Stéphane Babonneau note qu'il a reconnu les faits de viols dès la garde à vue, mais rappelle qu'il a déclaré aux policiers : "Je pensais que ce n'était pas interdit, ni puni par la loi." L'avocat lui demande de commenter cette déclaration. "Je ne sais pas quoi dire", dit simplement l'accusé. 

"C'est un peu le moment où jamais si on veut comprendre"

"Ça fait un long moment que vous êtes en détention et il y a encore beaucoup de questions auxquelles vous n'arrivez pas à répondre", constate l'avocate générale. "J'ai du mal à parler, je ne connais pas les mots", justifie Jean-Luc L. Originaire du Vietnam, cet homme frêle a émigré avec sa mère et sa sœur en Thaïlande, entassés dans un bateau de fortune, quand il était enfant. A leur arrivée, ils restent dans un camp de réfugiés pendant quatre ans. "Un mètre carré par personne. On dormait dans une moustiquaire. Il y avait des rats. C'était dur", se souvient-il. 

Quand il a 9 ans, sa famille émigre en France, dans le Val-de-Marne, à Créteil, puis dans le Vaucluse, à Cavaillon. "J'étais en CM2. Je ne connaissais même pas le français. Je redoublais chaque classe : deux fois la sixième, deux fois la cinquième". "J'ai passé un CAP, je n'ai pas réussi. Mais mon patron m'a embauché. Je suis resté vingt-et-un ans dans l'entreprise", raconte cet ouvrier en miroiterie. 

"C'est un peu le moment ou jamais si on veut comprendre ce qu'il s'est passé", persévère l'avocate générale. Quelques secondes s'écoulent dans le silence. Et l'audience se poursuit, sans lui. On interroge Dominique Pelicot à son sujet : il valide sa version. Puis on entend un autre accusé. Le rythme est effréné, il n'y a pas le temps pour les taiseux.  

"Vous êtes désarmant de sincérité" 

Avant Abdelali D. et Jean-Luc L., un autre accusé avait admis être venu en connaissance de cause : Jérôme V., qui s'est rendu pas moins de six fois au domicile des Pelicot, entre mars et juin 2020. Très prolixe lors de son interrogatoire le 3 octobre, cet homme de 46 ans a ainsi élaboré une véritable analyse autour de ses actes, assurant en avoir saisi "le caractère immoral et illégal".

Cet homme chez qui l'experte psychiatre n'a décelé "aucune empathie pour la victime", a avancé cette explication, glaçante :"Je n'y retournais pas parce que le 'mode viol' me correspondait, mais parce que je ne pouvais pas contrôler ma sexualité", expliquant avoir été en proie à "une addiction sexuelle qui [l']a rendu détestable". "Pourquoi ne pas y être allé une septième, une huitième fois ?", lui a demandé une assesseure. "Plus on avançait, plus ça se passait mal en termes de sédation. Et j'essayais de m'extraire [de l'emprise] de Dominique Pelicot. Heureusement qu'il ne m'a pas recontacté, car je ne sais pas si j'aurais été en capacité de lui dire non", a-t-il reconnu. 

"Vous êtes assez désarmant de sincérité dans vos explications très détaillées", a souligné Antoine Camus. Celui qui était employé chez un primeur au moment de son interpellation a même tenté d'apporter des précisions sur le mode de fonctionnement de Dominique Pelicot, déclarant que le septuagénaire avait, à plusieurs reprises, proposé à des hommes de venir voir son épouse discrètement, chez lui ou dans des lieux publics, avant de passer à l'acte.

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