"On se croirait parfois en comparution immédiate" : au procès des viols de Mazan, des audiences express, contraintes par un planning serré
"Sur un dossier de viols non contestés, un procès dure deux à trois jours en moyenne, pour un seul accusé. Là, on passe trois, quatre heures maximum pour chacun : il y a un vrai souci". La récrimination émane de Carine Monzat, une avocate de la défense. Mais au palais de justice d'Avignon (Vaucluse), elle est partagée par plusieurs de ses confrères et consœurs, interrogés par franceinfo, alors que la septième semaine du procès des viols de Mazan s'achève vendredi 18 octobre.
Trente accusés ont été entendus depuis le 2 septembre. Il en reste vingt-et-un. Le planning est jusqu'ici tenu, malgré les absences répétées de Dominique Pelicot pour raisons de santé au début du procès. Contraint à des ajustements, le président de la cour criminelle du Vaucluse, Roger Arata, redoutait "une catastrophe" face à une possible absence prolongée du septuagénaire, accusé d'avoir drogué et livré sa femme Gisèle à des hommes. Mais depuis le 17 septembre ce procès historique à l'écho médiatique international a pu reprendre son cours, à un rythme soutenu. Voire effréné.
Chaque semaine, la cour criminelle, composée de cinq magistrats professionnels, entend une série de coaccusés, répartis en groupes de six ou sept hommes. Tous doivent comparaître d'ici au 18 novembre, date visée pour le début des plaidoiries. Enquêtes de personnalité, expertises psychologiques et psychiatriques, audition des proches, interrogatoires de personnalité et interrogatoires sur les faits… Tout est censé tenir sur quatre jours, du lundi au jeudi, pour chaque groupe. Le vendredi est considéré comme un jour de débord.
Des moyens supplémentaires alloués, selon la Chancellerie
"On se croirait parfois en comparution immédiate", glisse une avocate de la défense qui préfère rester anonyme. "C'est un reproche adressé non pas à la cour, mais au ministère de la Justice, qui n'a pas accordé les moyens nécessaires" , considère son confrère, Paul-Roger Gontard, qui représente un accusé. Contactée par franceinfo, la Chancellerie assure avoir "alloué des ressources budgétaires supplémentaires à la cour d'appel" pour ce procès, sans toutefois en préciser le montant. Le parc des expositions d'Avignon, un temps envisagé pour délocaliser les débats, n'a d'ailleurs pas été retenu. Elle rappelle que "c'est le président de la cour d'assises qui fixe le calendrier en fonction de la complexité de l'affaire et du nombre de parties/témoins/experts" et que cela se fait "en concertation avec le ministère public et les avocats". Les avocats de la défense, consultés par franceinfo, assurent ne pas avoir été consultés pour la mise en place du planning.
Jeudi 3 octobre, en une seule journée, sept accusés ont été entendus sur les faits. Leurs versions peuvent sembler répétitives : chacun revient sur sa rencontre avec Dominique Pelicot sur le site coco.gg, le rendez-vous fixé à son domicile de Mazan, l'entrée dans la chambre conjugale à pas feutrés pour ne pas réveiller la victime… La plupart reconnaissent la matérialité des faits, mais pas l'intention de violer. Des contradictions émergent régulièrement dans leurs versions, d'où l'importance de prendre le temps de creuser leurs propos sur le fond.
Il s'agit aussi de cerner au mieux le profil de chacun des accusés, élément fondamental pour l'individualisation de leurs peines. Mais le temps accordé jusqu'ici à leurs interrogatoires de personnalité n'a pas toujours laissé la place nécessaire pour comprendre réellement qui ils sont, déplorent de nombreuses voix. Mohamed R., 70 ans, a ainsi tenté mardi de revenir sur son parcours de vie, complexe : cet aîné d'une fratrie de six, arrivé en France en 1980, en proie à un cancer, a voulu s'arrêter sur "l'assassinat" d'une de ses filles, avant d'être interrompu par le président. "Essayez de vous canaliser, je sais que vous avez beaucoup de choses à dire", lui demande le magistrat.
S'il fait partie des accusés loquaces dont le portrait se dessine rapidement, d'autres, plus pudiques, ne laissent entrevoir qu'un fragment de leur personnalité dans un interrogatoire au pas de charge. C'est le cas de Mahdi D., entendu lui aussi cette semaine, mais qui n'a pas pu s'épancher sur l'"abandon progressif" de sa mère, vécu plus jeune, après son arrivée en France.
Un exercice "extrêmement intimidant"
Parmi les accusés, beaucoup ont vécu des traumatismes qui remontent souvent à leur enfance : des faits d'inceste, de violences physiques, l'abandon d'un parent, un placement en foyer ou en famille d'accueil… L'immense majorité d'entre eux n'avaient jamais mis le pied chez un psychologue avant d'y être contraints dans le cadre de leur injonction de soins. "Ce sont des gens qui ne sont pas habitués à parler d'eux : l'exercice est extrêmement intimidant, ils stressent plusieurs jours avant, observe une avocate de la défense. Autant dire que quand il s'agit d'aborder les sujets intimes, les blessures, il faut y aller tranquillement, prendre le temps".
Carine Monzat estime, elle, que la levée du huis clos "n'a pas aidé à libérer leur parole, car ils savent que tout ce qu'ils peuvent dire pourra potentiellement se retrouver dans les médias". Pour Paul-Roger Gontard, "l'oralité des débats peut également être affectée par la nature même de la cour" : il ne s'agit pas d'un jury d'assises, mais d'une cour criminelle départementale. Celles-ci ont été généralisées dans toute la France depuis janvier 2023. Les magistrats professionnels siégeant au sein de ces juridictions ont accès au dossier et peuvent le consulter, ce que ne peut pas faire le jury populaire aux assises. Pour les détracteurs des cours criminelles, cette possibilité fragilise considérablement la qualité des débats, qui seraient expédiés au motif que les magistrats ont suffisamment d'éléments en leur possession pour rendre leur décision.
Pour autant, un procès sert aussi à "questionner ceux qui défilent à la barre pour aller chercher la manifestation de la vérité au sein des confrontations des uns aux autres", estime Paul-Roger Gontard. "Cour criminelle ou pas cour criminelle, ce sont des gens qui encourent vingt ans d'incarcération", tranche Carine Monzat.
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