Procès des viols de Mazan : quatre questions sur l'absence de Dominique Pelicot à l'audience pour raisons de santé
"C'est un supplice pour nos clients." Antoine Camus, l'un des avocats de Gisèle Pelicot et de ses enfants, ne décolère pas après la nouvelle suspension du procès de Dominique Pelicot et de ses coaccusés, lundi 16 septembre. La santé du principal accusé, au cœur des préoccupations, est toujours mauvaise. Lors d'une audience qui n'aura duré que quelques minutes, Roger Arata, le président de la cour criminelle du Vaucluse, a ordonné qu'une expertise médicale soit réalisée à la mi-journée sur le septuagénaire.
La suite de ce procès-fleuve, où sont jugés 50 autres hommes en plus de Dominique Pelicot, dépendra de cette expertise, dont les résultats seront communiqués mardi matin à l'audience, qui débutera à 9 heures. "Tant que nous n'avons pas les résultats, nous ne pouvons pas nous positionner", a précisé Roger Arata. Béatrice Zavarro, l'avocate de Dominique Pelicot, dénonce "une prise en charge lamentable". Franceinfo fait un point sur les questions qui se posent désormais.
1 Pourquoi Dominique Pelicot est-il absent ?
L'homme de 71 ans, accusé d'avoir violé son épouse pendant dix ans et de l'avoir fait violer par des inconnus alors qu'elle était inconsciente, a passé un scanner dimanche ainsi qu'une prise de sang, indiquant qu'il souffre "d’un caillot dans la vessie, d’une infection du rein et d’une infection de la prostate", a déclaré son avocate. Pour confirmer ce diagnostic, comme c'est l'usage lors d'un procès, le président a fait appel à deux médecins. Ces experts vont devoir dire si Dominique Pelicot peut comparaître dans cet état demain, lors de la reprise de l'audience et, si ce n'est pas le cas, estimer la durée de son absence.
Béatrice Zavarro a dénoncé tout le week-end, dans plusieurs médias, des manquements de l'administration pénitentiaire quant à la prise en charge de son client. "Je crois qu'on a été pris en otage pendant huit jours", a-t-elle lancé à l'audience, lundi matin. Très en colère, elle estime que "ce qu'il se passe aurait pu être largement anticipé si [Dominique Pelicot] avait été pris en charge dès lundi [dernier]".
2 Que reproche précisément son avocate ?
Béatrice Zavarro estime que son client aurait dû être soigné dès les premiers signes d'infection. Lundi 9 septembre, Dominique Pelicot était en effet apparu livide, souffrant apparemment de coliques néphrétiques. Il avait alors été dispensé d'audience. Dès le vendredi précédent, le 6 septembre, il s'était "plaint de douleurs" et avait appelé "à l'aide le personnel pénitentiaire", à la maison d'arrêt du Pontet, près d'Avignon, a relaté son avocate à franceinfo. Sa cellule n'étant pas équipée d'un téléphone, il n'avait pas pu la joindre et a passé le week-end du 7-8 septembre sans aucun soin médical.
De retour à l'audience mercredi 11 septembre, il semblait encore plus mal en point. La veille, un médecin l'avait pourtant examiné et assuré qu’il n’y avait "pas de contre-indication" à sa présence, sans lui donner de traitement. Son avocate ne partageait pas ce constat : elle disait l'avoir trouvé le matin même par terre dans sa cellule, précisant qu'il avait été pris auparavant de vomissements, malaises et douleurs aux reins. Le président avait alors de nouveau autorisé Dominique Pelicot à quitter la salle d'audience et avait ordonné une première expertise. Il avait communiqué les résultats mercredi soir. "Son état de santé s'est aggravé, il est dans l’incapacité de comparaître jeudi et vendredi", avait annoncé Roger Arata.
Ce n'est que dimanche 15 septembre que l'accusé a pu passer un scanner et une prise de sang établissant un diagnostic. "Il a fallu que j'aille en détention samedi matin. Il était fiévreux, fébrile et j'ai alerté qui de droit pour dire que ça devait s'arrêter", a relaté Béatrice Zavarro devant la presse lundi matin, estimant que Dominique Pelicot aurait dû être hospitalisé bien avant. "Que personne ne vienne me dire que Monsieur Pelicot se dérobe : un diagnostic a été posé et ce n'est pas le fruit de son imagination", a-t-elle ajouté.
3 Pourquoi doit-il forcément être présent ?
Toute la semaine dernière, les débats se sont poursuivis sans Dominique Pelicot. Sa personnalité a été évoquée et les experts psychologiques et psychiatriques ont également été entendus à son sujet, fait inhabituel dans un procès criminel en l'absence de l'accusé. Le président ne voulait en effet pas prendre trop de retard sur le planning, déjà très serré. Et Béatrice Zavarro a accepté (elle aurait pu exiger que l'on attende le retour du principal accusé). Ses deux fils, David et Florian, n'ont, eux, pas souhaité s'exprimer en l'absence de leur père : leurs témoignages ont donc été reportés. La partie civile ne souhaitait pas non plus que le frère de Dominique Pelicot et son gendre soient entendus en son absence.
Mais c'est surtout le fond du dossier qui pose problème. Car entre les 50 accusés et le septuagénaire, c'est parole contre parole. La plupart nient avoir violé Gisèle Pelicot et estiment avoir été manipulés par son mari : ils disent avoir cru à un "scénario libertin" avec son épouse consentante qui feignait de dormir. Dominique Pelicot, au contraire, a affirmé aux enquêteurs qu'ils étaient au courant que sa femme était droguée et inconsciente.
Ces versions contradictoires doivent s'affronter au cours de l'audience. "Je n'imaginerais pas que nos clients soient entendus sans que lui ait d'abord été entendu", explique Louis-Alain Lemaire, qui représente quatre accusés. "Admettons qu'il n'assiste pas à toutes les auditions... Mais il faut qu'au moins, on connaisse sa position", poursuit-il, interrogé par franceinfo.
4 Quels sont désormais les scénarios possibles ?
Tout va se jouer sur les résultats de l'expertise. Si Dominique Pelicot est rétabli, le procès pourra se poursuivre dès mardi, même si ce scénario est peu probable. S'il est hospitalisé quelques jours, l'audience sera à nouveau suspendue. Mais si son état est plus grave et nécessite une intervention plus longue, le procès, qui devait durer jusqu'à fin décembre, pourrait tout simplement être reporté et se tenir en 2025… au mieux.
Ce serait "une catastrophe", a déclaré le président Roger Arata jeudi dernier, en évoquant cette dernière hypothèse. "Nous serions dans une situation que l'on n'hésiterait pas à qualifier de scandale", a prévenu ce matin à l'audience Stéphane Babonneau, l'un des avocats de Gisèle Pelicot et de sa famille. Il faudrait tout recommencer à zéro et réentendre l'ensemble des enquêteurs, témoins, experts et accusés qui se sont exprimés ces deux dernières semaines. "Ce serait dramatique : vous vous rendez compte de l'organisation qu'il a fallu ?", a réagi l'avocat Louis-Alain Lemaire. Comme ses confrères de la défense, il assure qu'en cas de report, il demandera la remise en liberté de ses clients. Actuellement, 18 des 51 accusés sont en détention provisoire, et 33 comparaissent libres.
En attendant, Antoine Camus, qui représente les parties civiles, rappelle que l'on est dans le cadre d'un label "grand procès", octroyé par le ministère de la Justice. Ce statut a permis au tribunal judiciaire d'Avignon d'obtenir des moyens supplémentaires de la Chancellerie, ainsi que des aménagements spécifiques de la salle d'audience, pour accueillir l'ensemble des accusés. Cette enveloppe permet aussi de recevoir correctement les journalistes et le public, qui peut suivre les débats en salle de retransmission.
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