Reportage "On peut revivre tranquillement maintenant ?" : à Mazan, le verdict de l'affaire Pelicot est vécu comme un soulagement

Les peines énoncées jeudi à l'encontre des 51 accusés mettent un point final à une très longue procédure judiciaire. La commune du Vaucluse, sur laquelle les caméras du monde entier se sont braquées, voudrait désormais se faire oublier.
Article rédigé par Raphaël Godet - envoyé spécial à Mazan (Vaucluse)
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
L'entrée de la commune de Mazan (Vaucluse), le 18 décembre 2024. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

La dizaine de clients se sont tus pour écouter la télé. "Vingt ans. Il prend vingt ans", annonce la serveuse de la brasserie "Le Siècle", dans le centre-ville de Mazan. Il est 10h20, jeudi 19 décembre. La cour criminelle du Vaucluse vient de condamner Dominique Pelicot à la peine maximale pour avoir drogué, violé et fait violer son épouse. Sur le trottoir en face, Bastien Benotmane a sorti son smartphone de sa poche. L'agent immobilier cherche des noms. "Je connais deux personnes qui sont sur la liste des coupables", murmure-t-il. Gêné, il précise : "Il y en a un qui m'avait confié l'estimation de sa maison, un autre qui a refait le carrelage de ma salle de bains." Tous les deux, comme les 51 accusés, ont été reconnus coupables. 

Les 6 300 Mazanais connaissent enfin la fin. Pour une bonne partie d'entre eux, ce verdict met un terme à une séquence particulièrement mal vécue. "C'est bon, on peut revivre tranquillement maintenant ?", râle Henri, en trempant ses lèvres dans sa tasse de café. Quatre mois que sa commune est "le centre du monde", quatre mois que le retraité de 71 ans ne comprend pas pourquoi. "Dominique Pelicot, il s'était installé chez nous pour sa retraite, ce n'était pas quelqu'un d'ici, ça n'a rien à voir. Pourquoi à la télé ils parlaient d'affaire Mazan ? Ça aurait dû juste être l'affaire Pelicot !"

Des clients suivent à la télé le verdict de l'affaire Pelicot, le 19 décembre 2024, depuis une brasserie du centre-ville de Mazan (Vaucluse). (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

Mazan veut retrouver sa tranquillité. Depuis l'ouverture du procès, le 2 septembre, ce n'est plus pour ses vins, ses asperges et ses fraises que l'on emprunte la route départementale 974. Pratiquement tous les commerçants du centre-ville ont eu droit à la visite de journalistes ou de curieux. La boulangerie ? Sollicitée. L'auto-école ? Sollicitée. Le bar ? Sollicité. Le snack "Le Ventoux" a même vu un média américain débarquer dans sa minuscule échoppe, avec caméra, micro-perche et matériel de lumière.

Fiona faisait la toilette de deux golden retrievers, dans sa boutique avenue de l'Europe, quand une dame se présentant comme une universitaire est venue lui présenter "un sondage". "Elle m'a dit : 'C'est par rapport à l'affaire, je peux vous poser des questions ?' Je lui ai répondu : "Mais madame, moi je suis toiletteuse pour animaux !'" Un gérant d'entreprise, qui tient à garder l'anonymat, raconte avoir reçu un coup de téléphone, "un soir à 21 heures", "d'un connard qui voulait l'adresse de la maison des Pelicot". "Du grand n'importe quoi..."

"Du tourisme sordide"

Même les policiers municipaux ont été alpagués en plein service. Ils ont aussi dû revoir l'itinéraire de leurs rondes, au fur et à mesure que des éléments d'enquête filtraient du procès. Le parking du gymnase, près du collège, a été évoqué par presque tous les accusés. C'est là qu'ils stationnaient leur véhicule en attendant le feu vert de Dominique Pelicot pour venir au domicile du couple : "Quand elle dormira bien, tu pourras venir." Cette très proche voisine des Pelicot n'en revient toujours pas : "L'autre jour, j'ai vu un couple marcher les yeux collés au GPS de leur téléphone. Ils m'ont expliqué qu'ils avaient cherché 'adresse maison pelicot mazan' sur Google."

Le gymnase du collège à Mazan (Vaucluse), le 18 décembre 2024, l'un des lieux souvent évoqués au procès de l'affaire Pelicot. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

Un véhicule qui n'est pas immatriculé "84" est un premier indice. S'il roule au pas, c'en est un deuxième. "A part du tourisme sordide, c'est quoi en fait ?, s'agace un artisan qui vit dans le quartier. C'est comme si on était devenus des bêtes curieuses. On est des humains, hein, avec deux bras, deux jambes."

Les Mazanais doivent ruser pour se faire oublier. Ils se dépêtrent de ces sollicitations comme on coupe court à un démarchage téléphoniqueUn riverain, qui habite à 80 mètres du domicile des Pelicot, confie avoir retiré la localisation géographique sur son compte Facebook. Quand il part en vacances, Jean-François Clapaud ne veut plus dire qu'il vient de Mazan. "Je réponds que j'habite en Provence. Au mieux, je précise que c'est une commune qui est au pied du Ventoux, pas plus", soupire-t-il. Le conseiller municipal d'opposition rappelle le cas de Carpentras, à 15 minutes de là. "Plus de trente ans après, à quoi pensent les gens dans leur tête ? Eh bien toujours à la profanation de sépultures juives..."

"Carpentras, Outreau... J'ai peur que ce soit pareil pour Mazan, qu'on associe à vie cette terrible affaire à notre commune."

Jean-François Clapaud, conseiller municipal d'opposition

à franceinfo

"L'image". "La réputation". C'est pour ces raisons que l'agence immobilière Sotheby's a décidé de fermer son bureau de Mazan il y a un mois. Direction Gordes, à 25 kilomètres plus au sud. Pascal Danneau, le directeur de l'agence Provence Luberon Sotheby's International Realty, "assume". "On peut trouver ce choix radical, mais c'est un calcul stratégique de notre part. On ne voulait pas que des clients puissent se dire 'Mazan, Mazan... C'est le Mazan entendu dans les médias ?' Malheureusement, je pense que cette affaire va marquer la commune très longtemps." Bastien Benotmane veut toucher du bois : "Pour l'instant, je n'observe aucun effet sur notre activité, rassure l'agent immobilier. Encore personne n'est venu me dire qu'il ne voulait plus acheter ici."

L'affaire a crispé Mazan. Sidéré dans un premier temps, puis crispé. Des élus d'opposition sont allés jusqu'à demander la démission du maire quand celui-ci a cherché à minimiser l'affaire Pelicot en affirmant à la BBC qu'"après tout, personne n'est mort". Depuis cette sortie, l'élu bénéficie d'une protection renforcée et ne parle plus à la presse. "Cette terrible histoire est une affaire civile qui ne concerne en rien l'administration de cette commune, nous a-t-on poliment répondu par écrit. Le comportement agressif et incontrôlable de nombreux journalistes, plus intéressés à soigner leur audience, nous conforte dans la décision de ne plus accorder la moindre interview." La conclusion est soignée : "Comme tous les élus, l'ensemble de la population mazanaise reste marquée par les sévices insupportables subis par madame Gisèle Pelicot."

"Il faut se dire qu'on entre dans l'histoire"

Pourtant, la marche blanche organisée le 5 octobre dans les rues de la commune en soutien à Gisèle Pelicot a fait grincer des dents, notamment au sein de l'équipe municipale. "Il y a eu des résistances, euphémisent les organisateurs. Certains nous reprochent d'avoir ajouté de la lumière à la lumière. A leurs yeux, le plus important c'est la réputation du village. J'ai entendu des gens de la commune dire 'La Pelicot, elle commence à nous gonfler'." 

Le débat sociétal suscité partout en France par l'affaire Pelicot a forcément atteint Mazan. "Ça a ouvert la parole chez les femmes autour de moi, affirme Viviane, une mère de famille de 39 ans, croisée sur la place du 8-Mai. Hier, je disais à une mère d'élève qu'il fallait que ça se passe chez nous pour qu'on regarde le problème en face. Il faut se dire qu'on entre dans l'histoire." 

Après la journée d'audience, le 18 octobre 2024, Gisèle Pelicot est venue rendre visite à l'association Isofaculté, basée dans la commune de Mazan (Vaucluse). (ISOFACULTE)

A l'entrée de Mazan, au milieu des vignes, une association aide justement les femmes victimes de violences à se reconstruire grâce à l'interaction avec des chevaux. En trois ans, entre 40 et 50 femmes ont poussé la barrière en bois du centre Isofaculté. "Les débats ont contribué à la thérapie des femmes qu'on accompagne, convient Daniel Silvestre, psychothérapeute et fondateur de l'association. Le fait que Gisèle Pelicot demande l'ouverture des débats au public, ça a créé une forme de familiarité, de proximité. Ici, on est à moins de trois kilomètres de la maison dans laquelle les atrocités qu'elle a subies ont eu lieu." 

"Avec ce procès, des femmes sont venues chez nous. Sans ça, elles seraient restées chez elles."

Daniel Silvestre, fondateur de l'association Isofaculté

à franceinfo

Le 18 octobre, vers 16h30, les chevaux effectuaient leurs derniers tours de piste quand une dame, seule, s'est avancée au loin, lunettes de soleil sur les yeux. Une animatrice s'est approchée pour savoir comment l'aider. C'était Gisèle Pelicot. "On ne pensait pas qu'elle allait revenir à Mazan pendant son procès. Eh bien si. Elle nous a expliqué qu'elle se promène souvent par chez nous, et qu'elle voulait nous remercier de nos différentes initiatives en faveur des femmes. C'était un moment aussi inattendu que puissant", raconte Marion Vogel, la directrice de l'association Isofaculté, également à l'initiative de la marche blanche. 

Gisèle Pelicot est restée une trentaine de minutes. Manon, 16 ans, lui a adressé quelques mots. "Je lui ai dit : 'vous êtes forte, madame. Vous êtes remarquable'", se souvient-elle, en tirant sur les manches de son pull à capuche. L'adolescente, déscolarisée, est elle-même victime de violences intrafamiliales. 

Samedi, l'association Isofaculté organise son traditionnel Noël solidaire. Cette année, l'événement se veut en soutien à Gisèle Pelicot et à toutes les femmes victimes de violences. "On est en contact avec sa fille. Oui, Gisèle a été invitée."

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