"Vous n'auriez pas des penchants exhibitionnistes ?" Au procès des viols de Mazan, Gisèle Pelicot confrontée aux questions inquisitrices de la défense
Dans un silence glacial, les photos apparaissent, et défilent, une à une. Au total, 27 clichés intimes de Gisèle Pelicot ont été diffusés, mercredi 18 septembre, devant la cour criminelle d'Avignon, où Dominique Pelicot est jugé pour avoir violé et fait violer son épouse par cinquante autres hommes, jugés à ses côtés. Le public a dû quitter la salle de retransmission, à la demande de la septuagénaire, qui apparaît nue sur une grande partie des images, en sous-vêtements sur d'autres.
Sur certaines, ses parties intimes sont photographiées en gros plan. Il y a plusieurs scènes de sexe, avec son ex-mari, parfois avec d'autres hommes. Elle est aussi montrée dans des poses extrêmement suggestives, avec des sextoys. On ne voit pas toujours son visage. "Comment interprétez-vous la diffusion de ces photos ?", lui demande son avocat, Stéphane Babonneau. "On cherche à me piéger, c'est une évidence, répond la victime de 71 ans. On veut montrer que j'ai appâté ces individus pour venir chez moi et que j'étais consentante."
Deux avocats de la défense - Isabelle Crépin-Dehaene et Philippe Kabore - ont demandé le visionnage de ces photos, "utiles à la manifestation de la vérité", selon eux. L'avocate estime que ces photos "présentent trois intérêts". D'abord, elles contredisent, dit-elle, "les déclarations de Madame Pelicot disant que ces photos ont été faites à son insu", car on la voit "parfaitement éveillée".
Ensuite, "elles ont le caractère d'être très explicites", ce qui veut dire "qu'il y a une demande et une tendance du mari, parfaitement connue de la part de l'épouse". Et, ajoute Isabelle Crépin-Dehaene, "il y avait, au sein du couple Pelicot, un jeu sexuel, même s'il ne s'agit pas de discuter d'une quelconque moralité". Enfin, conclut en préambule l'avocate,"certaines de ces photos ont pu être partagées par Monsieur Pelicot", et ont pu laisser penser à certains que "Madame était consentante et joueuse pour aller partager un moment à trois".
Après visionnage, Gisèle Pelicot dit ne se souvenir d'aucune des scènes diffusées, y compris celle où elle a les yeux ouverts, car elle pense qu'elle était alors sous les effets de la soumission chimique, infligée par son époux à l'époque. Les cachets de Temesta cachés dans sa nourriture lui provoquaient des absences, comme elle l'a maintes fois raconté. "Est-ce qu'il faut le répéter en chinois ?", lance la septuagénaire, plus remontée que jamais. "S'il faut, faites venir des neurologues !", s'emporte-t-elle à la barre. "On cherche quoi dans cette salle ? A ce que je sois coupable ? On se demande qui est la coupable dans cette salle d'audience !", poursuit-elle, passablement énervée.
"Je trouve ça dégradant et humiliant"
Interrogé, Dominique Pelicot apporte une autre explication au fait que son ex-épouse n'ait pas de souvenirs de ces clichés : c'est parce qu'ils ont été pris sans qu'elle ne s'en aperçoive, affirme le principal accusé, depuis son box. Gisèle Pelicot était bien éveillée, mais il la prenait en photo discrètement, avec son téléphone portable. Il précise par ailleurs que sur l'une des photos, montrant une scène de sexe, ce n'est pas elle, mais une femme qui lui ressemble.
Les explications des deux parties ne convainquent pas les avocats de la défense, qui questionnent Gisèle Pelicot tour à tour, avec une grande insistance. Parfois même en haussant le ton, visiblement agacés par ses réponses."Vous êtes sur une position où vous dites : 'Mon mari faisait tout à mon insu'. Mais si vous disiez : 'Je faisais ce que je voulais, je faisais des photos, c'est mon problème. Je prends un godemiché, et ça me fait plaisir', ce serait votre droit", lui dit une avocate, l'incitant à reconnaître qu'elle était partie prenante de ses photos.
Gisèle Pelicot s'inscrit en faux, et maintient qu'elle n'a jamais vu son mari la prendre en photo. "Je ne sais pas comment il se débrouillait ! Le godemiché, tout ce que vous voulez… Je n'ai jamais vu que Monsieur Pelicot faisait de photos là-dessus", assure-t-elle.
"Je comprends que les victimes de viol ne portent pas plainte : on passe par un grand déballage où on nous humilie !"
Gisèle Pelicotrépondant aux questions de la défense
"Vous n'auriez pas des penchants exhibitionnistes que vous n'assumeriez pas ?", questionne un autre avocat. "Je ne vais même pas répondre à cette question, car je la trouve très insultante ! Je trouve ça dégradant et humiliant", rétorque-t-elle, justifiant tout de même, au passage, qu'il lui est arrivé d'être nue chez elle ou dans sa piscine. L'avocat insiste, soulignant que "35 personnes contestent les faits reprochés". "C'est leur problème, pas le mien !", souligne-t-elle. "Je vais arrêter ce débat stérile", souffle-t-elle.
"On voit clairement qu'elle prend la pose"
Mais les questions se poursuivent. Les reproches aussi. "Il y a eu un débat sur la présentation publique de ces photos. Je suis une femme, je suis gênée ! On ne voulait pas que ce soit diffusé devant tout le monde. Vous êtes en colère, mais vous êtes aussi responsable de cette diffusion !", l'invective Nadia El Bouroumi, qui représente deux accusés. Gisèle Pelicot a accepté que les journalistes voient les photos, demandant que les débats restent "publics". Stéphane Babonneau, son conseil, essaye d'intervenir à plusieurs reprises. Sa consœur hausse le ton. "J'aimerais que le confrère n'intervienne pas ! C'est insupportable !", crie-t-elle. Le climat se tend fortement.
Mais l'avocate ne lâche pas : "Est-ce qu'on peut dire, sur ces photos, que c'est une femme qui peut avoir envie de jouer sur le plan sexuel ?" Gisèle Pelicot tente de répondre : "Ça me pose problème, car je ne suis pas le genre de femme…" Nadia El Bouroumi la coupe. "D'accord, mais est-ce que les hommes qui sont dans la procédure et qui reçoivent ces photos, ont pu imaginer que vous étiez quelqu'un qui accepterait de faire un jeu sexuel ?", relance l'avocate. "Quand ils sont arrivés dans la chambre, ils ont bien vu que je n'étais pas la même femme", réplique la septuagénaire.
Dominique Pelicot assure que ces photos n'ont, de toute façon, jamais été envoyées à des tiers. "En aucun cas", insiste-t-il, ce que la défense semble ne pas croire. Tout comme elle ne croit pas que Gisèle Pelicot ait pu être photographiée sans son consentement. "On voit clairement qu'elle prend la pose", estime une avocate côté défense. "C'est vous qui estimez qu'elle prend la pose", répond-il. "On a tous vu qu'elle a pris la pose", insiste l'avocate. "Comme vous dites que vos clients n'étaient pas au courant, alors que je dis le contraire", ironise Dominique Pelicot.
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