: Témoignage Affaire Joël Le Scouarnec : "Les enfants parlaient, mais les adultes n'étaient pas prêts à entendre", confie la nièce du pédocriminel
La nièce du chirurgien pédocriminel, accusé d'avoir fait au moins 349 victimes, témoigne pour la première fois. Elle confie à franceinfo les violences sexuelles, mais aussi l'omerta au sein de sa famille.
Aurélia* a longtemps réfléchi avant de parler publiquement. Elle voulait laisser passer le premier procès de son oncle, Joël Le Scouarnec, qui s'est tenu en décembre 2020, laisser aussi s'apaiser la douleur et la colère. Après sept ans de psychothérapie et la déferlante de témoignages sous le hashtag #metooinceste, elle est maintenant bien décidée à briser ce silence familial, cette chape de plomb qui l'a tant fait souffrir.
Aurélia est l'une des premières personnes à subir les violences sexuelles du chirurgien pédocriminel, accusé désormais d'avoir fait au moins 349 victimes, dans sa famille, mais aussi dans une dizaine d'hôpitaux où il a exercé. Plus de 30 années d'impunité et d'omerta familiale sur lesquelles sa nièce lève aujourd'hui le voile.
Une omerta "complexe et insidieuse", raconte la jeune femme. "On ne m'a pas empêchée de parler, on ne m'a pas dit 'surtout ne dit rien'. Ce n'était pas tabou. On en a souvent parlé, en fait la parole des enfants était libérée. C'est juste que les parents ne sont pas toujours prêts à entendre."
"Il ne fallait surtout pas déranger un équilibre fragile, bousculer toute une image familiale."
Auréliaà franceinfo
Ces enfants qui parlent, ce sont elle, sa sœur et une cousine, toutes les trois victimes des violences sexuelles du chirurgien, dans les années 1980-90. Lui est à l'époque la fierté de la famille : médecin, brillant, au statut social que personne n'osait espérer dans ce milieu plutôt modeste. "C'est celui qui a le mieux réussi, qui vivait le mieux, explique Aurélia. Il était mis forcément sur un piédestal, notamment par ses propres parents. Il était intouchable au final." Mais en 1999, la petite sœur d'Aurélia est la première à raconter les agressions, à sa sœur d'abord, puis les deux petites filles en parlent à leur mère. Dès ce moment-là, tout le monde dans la famille sait que Joël Le Scouarnec est un pédocriminel. Mais le secret ne sort pas du cercle familial.
Pendant plusieurs années, Aurélia n'a pas conscience d'être aussi victime. Elle n'a qu'un souvenir qui la dérange, une impression un peu floue, qui remonte à ses 4 ans : "Je me souviens d'une nuit, où je sens une présence et des flashs. Je n'ai pas pu me réveiller, alors que je me disais 'réveille-toi !' Je n'ai pas réussi et je me suis dit 'c'est peut-être des éclairs'. Le lendemain, j'ai demandé à ma mère s'il y avait de l'orage cette nuit-là. Elle m'a dit que non", se souvient-elle.
Ces flashs, c'est en fait la lumière de l'appareil photo de Joël Le Scouarnec. Des clichés insoutenables qu'Aurélia ne découvre que des dizaines d'années plus tard, à l'été 2019, dans le bureau de son avocate. À l'époque, Aurélia est enceinte : "Je me souviens juste que mon avocate me demande de m'asseoir, elle me prépare et me montre des photos pour m'assurer que c'est bien moi. Et c'est bien moi. Après, c'est le grand flou." Avec ces photos, Aurélia comprend qu'elle aussi a été victime de son oncle. Le combat qu'elle menait jusqu'ici pour sa sœur devient alors aussi le sien.
D'une affaire d'inceste à un dossier de pédocriminalité inédit
Aurélia découvre alors que son oncle a aussi agressé des centaines d'autres enfants dans les hôpitaux où il exerçait. Elle l'apprend quand les gendarmes l'appellent en 2017, après l'arrestation de Joël Le Scouarnec et après la découverte de ces fameux carnets, où il a noté méticuleusement pendant plus de 30 ans toutes les agressions commises sur des enfants.
Ce qui était une affaire d'inceste devient alors la plus grave affaire de pédocriminalité de l'histoire judiciaire française avec, à ce jour, près de 350 victimes identifiées par la justice. "Je ne m'attendais pas du tout à une telle ampleur, raconte Aurélia. Au départ, on n'y croit pas trop. Et à un moment si on y croit, on veut juste que ça ne nous appartienne pas, qu'on ne fasse pas partie de toute cette monstruosité."
"On veut juste que cette famille ne soit pas la nôtre."
Auréliaà franceinfo
Après le choc vient la colère, contre son oncle mais aussi contre sa femme. "Elle savait", assure Aurélia. "Mais elle a clairement protégé cet homme. On a d'ailleurs les aveux de mon oncle qui a dit pendant le procès 'elle ne savait peut-être pas tout, mais elle savait énormément de choses'. Rien ne devait bouger, pour sa situation, pour son image, pour des raisons financières sûrement aussi. Ils se protègent mutuellement. Elle a menti, alors qu'elle aurait pu protéger beaucoup d'enfants", regrette la jeune femme. Une omerta, qui, pour Aurélia, a aussi permis d'étouffer l'affaire "dans d'autres institutions. On n'agit pas pendant 30 ans seul de toute façon, c'est une évidence. Notamment quand on travaille en milieu hospitalier".
Un sentiment de rancœur contre l'institution judiciaire
L'autre coupable, selon Aurélia, c'est la justice. En 2005, son oncle est condamné à quatre mois de prison avec sursis pour détention d'images pédopornographiques, mais les enquêteurs ne vont pas plus loin et passent à côté des dizaines d'agressions qu'il a déjà commises. Pourtant, dit Aurélia, "toutes les preuves étaient déjà là".
La jeune femme se bat aussi pour faire reconnaître les viols commis sur elle quand elle était petite. Le 3 décembre dernier, la cour d'Assises de Saintes (Charente-Maritime) a condamné Joël le Scouarnec pour "atteintes sexuelles" sur Aurélia. Pourtant, les photos et les écrits saisis chez le chirurgien caractérisent un viol, selon l'avocate de la jeune femme, Me Delphine Driguez. Avec sa cliente, elle souhaite que la justice requalifie les faits et reconnaisse enfin la réalité de ce qu'a subi Aurélia.
Joël Le Scouarnec, lui, a fait appel de sa condamnation en décembre 2020 à 15 ans de prison pour viols et agressions sexuelles sur quatre victimes, dont Aurélia. Il est également mis en examen depuis le mois d'octobre 2020 pour viols et agressions sexuelles sur 312 autres enfants, tous d'anciens petits patients des hôpitaux dans lesquels il a exercé pendant plus de 30 ans.
* Le prénom a été modifié
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.