Attentat dans un lycée d'Arras : Mohamed M. "était un bon élève" mais présentait "des signes de radicalisation", selon un professeur, témoin de l'attaque
Mohamed M. "était un bon élève", déclare Martin Doussau, dimanche sur franceinfo. Ce professeur de philosophie à la cité scolaire Gambetta, à Arras, s'est retrouvé face à lui, vendredi, lors de l'attaque terroriste d'Arras. Le principal suspect de cet attentat a toutefois présenté "des signes de radicalisation, petit à petit" et "ça avait été repéré dans des cours", explique celui qui participera à 11h à un hommage à Dominique Bernard, le professeur de français poignardé à mort.
franceinfo : Deux jours après l'attaque, comment allez-vous ?
Martin Dousseau : On reste bouleversés et pleins de questions. On a encore beaucoup de mal à réaliser, mais voilà, on est face à cette situation-là et on va devoir vivre avec ça. Les collègues qui sont venus hier [samedi, pour donner cours] étaient dans l'état d'esprit de pouvoir très rapidement retrouver leur mission, retrouver leurs élèves et continuer leur travail d'enseignant.
Vous vous êtes retrouvé face à Mohammed M., pendant l'attentat. Comment l'avez-vous vécu ?
Je n'ai pas beaucoup réalisé. Ce que je regrette, c'est de ne pas avoir été plus actif et plus à même de l'arrêter. C'est dans ces moments-là qu'on se rend compte qu'on est très impuissant, c'est surtout ça, et qu'on est mal préparé à ça, aussi.
Quel souvenir garderez-vous de Dominique Bernard ?
C'est un enseignant que je connaissais assez mal. On est un très gros lycée, avec plus de 200 professeurs. J'ai pu voir quelqu'un qui avait exactement mon âge et avec qui je sais que je partageais beaucoup de valeurs. Il y a beaucoup de choses que nous avions en commun, comme un très grand amour de la culture. C'était un ami de beaucoup d'amis, aussi. Je ne pourrais pas m'étendre beaucoup sur Dominique, mais c'est quelqu'un que je pleure et que je regrette.
Le rectorat a indiqué qu'il n'y aurait pas de cours à la cité scolaire Gambetta lundi, mais que les élèves sont "attendus" à partir de 10h pour échanger et discuter après une réunion des équipes éducatives. Vous savez déjà les mots que vous allez employer devant eux ?
Je me pose beaucoup ces questions-là. Vous savez, on a beaucoup parlé en salle des professeurs de Mohamed, qui était finalement un bon élève, qui était quelqu'un de sympathique, qui était quelqu'un qui avait été apprécié par les professeurs. Je pense que c'est important aussi de retrouver avec nos élèves la capacité de comprendre et d'essayer de voir avec eux ce qui peut, à un moment donné, déraper. Moi je ne l'ai pas eu [en cours], mais j'en ai beaucoup parlé avec les collègues qui étaient là en salle des profs et qui en ont gardé plutôt un bon souvenir.
Il était autrefois un bon élève, dites-vous. Aujourd'hui, il est le principal suspect de cette attaque. Comment cette "double réalité" peut être appréhendée ?
On est effectivement assaillis de beaucoup de questions. On est obligés de devoir reprendre tout le film de ces événements, mais aussi, en amont, tout ce qu'il s'est passé. Il y a eu des signes de radicalisation qui sont arrivés, petit à petit. Il y a quand même quelques lumières rouges qui s'étaient allumées avant. Ça avait été repéré dans des cours. La question qu'on se pose, c'est aussi celle d'une plus grande vigilance.
Est-il possible de mettre des mots sur une telle épreuve ?
C'est notre devoir de le faire. Je pense qu'il faut parler. C'est ce que nous nous sommes efforcés de faire hier matin, avec tous les collègues qui étaient là, les élèves qui sont venus. On a fait un effort de parole, d'échange autour de ce qui s'était passé. Effectivement, c'est très important de pouvoir le faire.
Vous êtes professeur de philosophie. Allez-vous vous appuyer sur des œuvres, pour évoquer ce drame avec vos élèves ?
Bien entendu. C'est mon métier de lire Platon, de lire Kant, de lire Descartes, de lire Pascal, de transmettre ces auteurs et de faire sentir qu'ils continuent de nous parler à travers ce qu'ils ont cherché à vivre, à leur époque. Ce sont des auteurs qui ont une immense capacité à relier les hommes entre eux. Je pense que c'est cela qu'il faut continuer à porter. La France a été particulièrement à même de donner naissance à ces auteurs et aller à l'universel. Je crois à la puissance de l'universel de notre culture.
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