Attaques terroristes des 7, 8 et 9 janvier : ce que révèle l'enquête sur leur préparation
Francetv info rassemble les informations révélées par les médias et pointe les dernières zones d'ombre.
Les frères Kouachi et Amedy Coulibaly étaient-ils des loups solitaires ? Non, bien au contraire, selon les derniers éléments de l'enquête sur les auteurs des attaques terroristes des 7, 8 et 9 janvier. Divulguées par plusieurs médias entre le 17 et le 27 février, ces révélations montrent aussi que ces attentats, qui ont coûté la vie à 17 personnes, ont été soigneusement préparés.
Francetv info revient sur ce que l'on sait désormais, et sur ce que l'on ignore encore.
Comment les terroristes se sont-ils entraînés ?
On l'a su peu de temps après les attentats : Saïd et Chérif Kouachi, les deux auteurs de l'attaque contre Charlie Hebdo, ont fait plusieurs voyages au Yémen entre 2009 et 2011. C'est là qu'ils se sont entraînés. Lors de leur dernier voyage, du 25 juillet au 15 août 2011, les deux hommes ont rejoint un camp d'entraînement des islamistes dans le désert de Marib, bastion d'Al-Qaïda dans la péninsule arabique (Aqpa), une organisation qui a revendiqué les attentats, le 14 janvier.
Pourtant, Le Parisien (article payant) et Le Figaro affirment, lundi 2 mars, que les deux hommes qui sont allés au Yémen à cette période ne sont pas les deux frères, mais Saïd Kouachi et Salim Benghalem. Ce dernier est considéré comme l'un des bourreaux du groupe Etat islamique en Syrie. Les noms de ces deux hommes figurent sur le registre des passagers d'un vol à destination du sultanat d'Oman, porte d'entrée vers le Yémen, selon Le Parisien.
Et des frères Kouachi, qui a vraiment fait le voyage ? "Les autorités américaines sont persuadées que c'est en fait Chérif, placé sous contrôle judiciaire à ce moment-là, qui a emprunté ce vol en utilisant le passeport de son grand frère Saïd", révèle le quotidien. Toutefois, c'est l'une des zones d'ombre qui persistent. "En France, la thèse de l'inversion de passeport, même si elle apparaît plausible, n'est pas officiellement confirmée", ajoute Le Parisien.
Comment se sont-ils fournis en armes ?
Deux kalachnikovs, un pistolet Tokarev, un lance-roquettes, des gilets tactiques, des munitions et des grenades : c'est ce que les enquêteurs ont trouvé dans l'imprimerie de Dammartin-en-Goële (Seine-et-Marne) occupée par les frères Kouachi le 9 janvier. D'où viennent ces armes ? Comment les terroristes ont-ils pu se les procurer ? Là encore, l'enquête n'a pas permis d'obtenir des réponses et d'identifier tous les intermédiaires. Interpellé le 1er janvier à la frontière entre la Bulgarie et la Turquie, un homme a été mis en examen et placé en détention provisoire. Il connaissait les frères Kouachi depuis dix-huit ans, mais affirme n'avoir eu qu'une "relation business" avec eux.
Sur l'origine des armes d'Amedy Coulibaly, les policiers ont orienté leurs soupçons vers des trafiquants connus en Belgique. Un Turc de 44 ans, soupçonné de négocier des Tokarev ainsi que des munitions de kalachnikov, s'est présenté le 12 janvier à la police de Charleroi (Belgique) pour confesser qu'il avait été en contact avec Amedy Coulibaly, révèle Le Figaro. En juillet 2014, cet homme a acheté la Mini Cooper de la compagne de Coulibaly, Hayat Boumeddiene. La voiture a été rapatriée en Belgique, mais l'argent n'a jamais été versé. "Coulibaly, ne voyant jamais la couleur de l'argent, s'est rendu plusieurs fois à Charleroi pour exiger, à la fin, 22 000 euros. (...) [Son] ultime voyage outre-Quiévrain a lieu dans la nuit du 5 au 6 janvier, juste avant qu'il ne redescende en région parisienne pour croiser Chérif Kouachi", indique le quotidien. Mais la piste belge n'est pas la seule.
Ont-ils bénéficié de l'aide de complices ?
Armes de poing, gilet pare-balles, couteaux, bombes lacrymogènes... Le 21 janvier, quatre hommes ont été mis en examen puis écroués pour avoir aidé Amedy Coulibaly à se procurer tout cet arsenal en France. A chaque fois, ce dernier leur a donné le liquide nécessaire à ses acquisitions, y compris pour acheter le vieux Scénic (950 euros) retrouvé près de l'Hyper Cacher de Paris, le 9 janvier. Ses fournisseurs assurent ne pas avoir eu connaissance des projets de "Dolly". C'est le surnom – référence à la première brebis clonée – acquis en prison par le musculeux ex-braqueur, qui provoquait la crainte dans son entourage.
Willy, en particulier, aurait été l'homme de main d'Amedy Coulibaly, celui qui a acheté tout l'arsenal pour le terroriste. "'Wilbert' ou 'Boulou', comme on le surnomme dans la cité, est reconnaissable à sa cicatrice sur les lèvres", indique L'Obs. Willy est "un gars sans emploi" qui a grandi dans le quartier de la Grande Borne, à Grigny (Essonne), comme Amedy Coulibaly. Ce dernier sait où le trouver. "Tous les jours après sa grasse matinée, Willy descend sur la place du centre commercial de Fleury-Mérogis (Essonne), où il vit désormais, et y traîne toute la journée", précise Le Monde.
Willy n'était pas seul. Il était entouré de Christophe, qu'on reconnaît "à ses dents en métal doré. Pas de diplôme, pas d'emploi, pas de revenus. Il vit chez sa mère", selon L'Obs. "Quand Willy lui demande s'il peut garder les gilets, les couteaux et les gants, Christophe ne pose donc pas de questions et les range dans sa chambre", précise Le Monde. Pendant les achats de matériel, il y avait aussi un certain Tonino et un autre homme, plus jeune.
Enfin, l'ADN d'un cinquième homme a été retrouvé sur deux armes stockées dans l'appartement loué par Amedy Coulibaly juste avant la tuerie. Tous ces hommes ont affirmé qu'ils ignoraient que Coulibaly préparait des attentats. Ils pensaient à un braquage ou à un go fast (un aller-retour, en Espagne par exemple, pour convoyer de la drogue). Ils n'ont pas posé de questions, car "Dolly" les impressionnait. "J'ai fait les achats sous la pression et les menaces de Coulibaly", a lâché Willy. Ont-ils dit la vérité ? Les enquêteurs n'en ont pas encore la certitude.
Qu'est devenue Hayat Boumeddiene ?
D'autres proches d'Amedy Coulibaly sont partis en Turquie avant les attentats. C'est le cas de sa femme, Hayat Boumeddiene, et des frères Belhoucine, Mohamed et Mehdi. Le 1er janvier, ils étaient tous réunis à Bondy (Seine-Saint-Denis), dans l'appartement de Mohamed Belhoucine, ex-étudiant de l'école des Mines d'Albi (Tarn) condamné à de la prison pour son appartenance à une filière jihadiste. "Les téléphones portables ont tous été détectés ce jour-là sur zone", relève L'Obs.
Le soir même, Mohamed Belhoucine est parti avec le couple Coulibaly-Boumeddiene à Madrid (Espagne). Son frère Mehdi a fait le même trajet dans la nuit du 1er au 2 janvier, mais en bus. Arrivés à Madrid, Mehdi Belhoucine et Hayat Boumeddiene ont ensuite pris un vol pour Istanbul (Turquie). On les voit sur ces images de caméras de vidéosurveillance, prêts à embarquer pour 14h25. En fin d'après-midi, c'est Mohamed Belhoucine et sa famille qui se sont envolés vers la Turquie.
Le 4 janvier, Mehdi Belhoucine a envoyé un SMS à son petit frère : "Salam, c'est moi qui ai caché ce téléphone. Maman/papa, ne vous inquiétez pas, on a rejoint le califat. Ne vous inquiétez pas, on préfère vivre dans un pays régi par la charia et pas les lois inventées par les hommes." A 19 ans, le benjamin des frères Belhoucine dormait encore quand il a été réveillé par le vibreur d'un portable dissimulé dans un placard, affirme Le Monde. Depuis, hormis l'interview qu'Hayat Boumeddiene aurait donnée à un magazine de l'Etat islamique, tout ce petit groupe n'a plus donné de nouvelles.
Comment ont-ils échappé aux autorités ?
Pendant ce temps, Amedy Coulibaly est revenu à Paris. Le 5 janvier, il a fait le plein d'essence à Grigny (Essonne), après avoir rapidement rendu visite à sa famille, raconte L'Obs. Sur les images de la caméra de vidéosurveillance de la station-service, son visage est dissimulé derrière une capuche bleue. Preuve qu'une fois de plus, il a pris des précautions.
C'est ainsi qu'il a échappé aux autorités. L'enquête révèle aussi qu'il a été contrôlé deux fois avant les attentats. Un rapport d'intervention de police, que L'Obs a pu consulter, indique qu'Amedy Coulibaly a été contrôlé, avec les frères Belhoucine, le 30 août 2014 à 0h30 très précisément, par une équipe de cinq policiers en patrouille à Montrouge (Hauts-de-Seine), à quelques rues de l'endroit où il tuera le 8 janvier 2015 la policière municipale Clarissa Jean-Philippe. "La conduite à tenir était de procéder à la recherche de renseignements sans attirer l'attention", ont écrit les policiers dans leur rapport.
La même mention apparaît dans un rapport écrit après un banal contrôle routier, le 30 décembre. Cette fois, Amedy Coulibaly était au volant d'une voiture de location avec, à ses côtés, Hayat Boumeddiene. Les policiers ont constaté qu'il était fiché auprès de l'antiterrorisme, mais n'ont pas réagi. Alors Amedy Coulibaly a poursuivi ses activités. Avant de tuer la policière municipale, il a peut-être tiré sur un joggeur à Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine), le 7 janvier. Mais l'enquête n'a pas révélé avec certitude si c'était bien lui qui était l'auteur des coups de feu.
Comment se sont-ils coordonnés ?
Dans l'Hyper Cacher situé porte de Vincennes, à Paris, Amedy Coulibaly a déclaré qu'il connaissait bien les frères Kouachi et qu'il s'était coordonné avec eux. Désormais, les enquêteurs en ont la certitude. "Les policiers ont la conviction que Chérif Kouachi et Amedy Coulibaly se sont rencontrés dans la nuit du 6 au 7 janvier, la veille des attentats, entre minuit et 1 heure du matin, moment où Chérif Kouachi a expliqué à son épouse qu'il devait sortir de son domicile", écrit Le Monde.
Si les enquêteurs ont cette conviction, c'est grâce à l'analyse des conversations téléphoniques et des SMS. Vingt-quatre heures avant le début des tueries, Amedy Coulibaly et les frères Kouachi ont ouvert une ligne téléphonique qui leur a permis d'échanger discrètement. Au total, ils ont échangé six SMS sur cette ligne. D'habitude, Amedy Coulibaly prend davantage de précautions : l'enquête révèle qu'il a utilisé treize lignes téléphoniques différentes dans les trois mois qui ont précédé les attentats.
Et il y a, surtout, ce dernier échange avant que tout bascule. Le 7 janvier, à 10h19, soit une heure avant la fusillade à Charlie Hebdo, un simple SMS a été envoyé du domicile de Chérif Kouachi, à Gennevilliers (Hauts-de-Seine), à Amedy Coulibaly. Le contenu n'est pas connu, mais c'est le signal du départ.
Lorsque Chérif Kouachi a envoyé ce texto, il était en compagnie de son frère, Saïd. Celui-ci avait quitté son domicile, situé à Reims (Marne), à 7h12. Il est arrivé à la gare de l'Est, à Paris, à 8h32. Le Monde révèle un détail étonnant : le 6 janvier, Saïd Kouachi a passé la journée au lit à cause d'une gastro-entérite. Mais cela ne l'a pas empêché de mettre son plan à exécution le lendemain. En claquant la porte de l'appartement de Gennevilliers, les frères Kouachi ont dit à la femme de Chérif qu'ils allaient "faire les soldes". A 11h20, ils faisaient irruption au siège de Charlie Hebdo, 10 rue Nicolas-Appert à Paris, et ouvraient le feu.
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