Ce que l'on sait de l'attaque terroriste dans un lycée d'Arras
Un homme armé de couteaux a tué un enseignant et fait trois blessés dans la cité scolaire Gambetta-Carnot d'Arras (Pas-de-Calais) vendredi 13 octobre au matin. Dominique Bernard, professeur de lettres de 57 ans, est mort. Le pronostic vital des trois autres personnes blessées n'est plus engagé à ce jour
Le principal suspect Mohammed Mogouchkov a été mis en examen, dans la soirée du mardi 17 octobre, par un juge d'instruction antiterroriste pour "assassinat" et "tentatives d'assassinat en relation avec une entreprise terroriste", ainsi que pour "association de malfaiteurs terroriste criminelle". Son frère de 16 ans, suspecté d'avoir "apporté un certain soutien dans son projet mortifère", a également été mis en examen. Depuis vendredi, une centaine de témoins ont été entendus et 13 personnes ont été placées en garde à vue.
Cette attaque est intervenue presque trois ans jour pour jour après l'assassinat de Samuel Paty, un enseignant de 47 ans décapité le 16 octobre 2020 près de son collège des Yvelines, après avoir montré à ses élèves des caricatures de Mahomet lors de cours sur la liberté d'expression.
Une attaque aux alentours de 11 heures
Il était environ 11 heures quand Mohammed Mogouchkov, armé de couteaux, a fait irruption à la cité scolaire Gambetta-Carnot, qui compte un collège et un lycée, située avenue Carnot, à Arras (Pas-de-Calais). Il a poignardé deux professeurs et deux agents techniques. Une des victimes, enseignant de français du collège, est morte. L'attaque a été partagée sur plusieurs vidéos sur les réseaux sociaux. On y voit le principal suspect, pantalon noir et veste grise, dans la cour de l'établissement menacer puis frapper au sol des hommes qui tentent de le maîtriser, certains en se protégeant avec une chaise pour le maintenir à distance. Le principal suspect a crié "Allah Akbar".
Jean-François Ricard, procureur du parquet national antiterroriste, a précisé le déroulement des faits. Mohammed Mogouchkov s'est d'abord "présenté devant le lycée [...] Il a frappé avec un couteau un enseignant qui se trouvait devant cet établissement. Un second enseignant est venu prêter main-forte à son collègue ; il a été frappé à son tour avec un couteau." L'homme est ensuite entré dans le lycée où il a entamé "un périple" dans la cour. C'est là qu'il a blessé "un agent technique" et "un agent d'entretien", a précisé Jean-François Ricard. Il a ensuite rebroussé chemin et s'est dirigé vers le fond de la cour. C'est là qu'il a été interpellé par la police, qui a utilisé "à deux reprises" leur pistolet Taser.
Un enseignant du lycée, Martin Dousseau, professeur de philosophie, a décrit un mouvement de panique au moment de l'intercours, quand les élèves de la cité scolaire se sont retrouvés face à un homme armé, selon son témoignage, de deux couteaux. "Il a agressé un personnel de la cantine, il le poursuivait et il le menaçait avec un couteau. Il l'avait déjà apparemment frappé parce que ce chef cuisinier avait du sang sur les mains et semblait effectivement blessé. J'ai voulu descendre pour intervenir, il s'est tourné vers moi, m'a poursuivi et m'a demandé si j'étais professeur d'histoire-géographie. On s'est barricadés, puis la police est arrivée et l'a immobilisé".
Un professeur de français tué et trois blessés
Dominique Bernard, un professeur de français âgé de 57 ans, a été tué lors de cet attentat. Il était père de trois filles, détaille France Inter. Il était agrégé de lettres modernes et enseignait le français à la cité scolaire Gambetta-Carnot depuis les années 1980. Sa compagne est également enseignante dans le département du Pas-de-Calais. Ses collègues le présentent comme un "amoureux de la littérature", très présent pour les autres et très courageux. Les obsèques de Dominique Bernard auront lieu jeudi à la cathédrale d'Arras, en présence d'Emmanuel Macron.
Les trois autres personnes blessées sont un professeur d'EPS, un agent technique et un agent d'entretien du lycée Gambetta d'Arras. Leur pronostic vital n'est plus engagé à ce jour, selon le procureur de la République antiterrorriste, Jean-François Ricard, lors d'une conférence de presse mardi. Lors de l'hommage rendu à Dominique Bernard lundi 16 octobre, le président de la région Xavier Bertrand (LR) avait indiqué que le plus grièvement touché, un agent technique, est "sorti d'affaire" et "devrait sortir de réanimation" dans "les jours qui viennent", et le professeur d'EPS blessé "mettra du temps à s'en remettre" mais "ses jours ne sont pas en danger". Le troisième, un agent, a repris le travail.
Le principal suspect, Mohammed Mogouchkov, était fiché S et a "prêté allégeance" à l'organisation Etat islamique
Mohammed Mogouchkov, principal suspect de l'attentat, a été interpellé le jour-même de l'attaque. Il s'agit d'un ancien élève de l'établissement, fiché S, né en Russie, âgé de 20 ans. Il était surveillé depuis cet été par la DGSI, a appris France Télévisions auprès d'une source proche du renseignement.
Placé sous écoute et surveillance physique, il avait été contrôlé la veille de l'attaque. Rien n'a pu lui être reproché lors de ce contrôle, affirme cette même source, et les écoutes de ses conversations téléphoniques récentes n'ont pas permis de laisser penser qu'il allait passer à l'acte. Selon Julie Duhamel, secrétaire départementale du Pas-de-Calais du syndicat enseignant Unsa interrogée sur franceinfo, "il y avait eu un dossier de monté par l'équipe enseignante par rapport à sa radicalisation il y a maintenant quelques années".
D'après les informations de franceinfo, le suspect a réalisé une vidéo et un audio de revendication et d'allégeance à l'Etat islamique avant l'attaque. D'après le procureur de la République antiterroriste, dans cet audio le suspect "développe sa haine de la France, des Français, de la démocratie et de l'enseignement dont il avait bénéficié dans notre pays". Autre point détaillé par le procureur, le fait que dans ce message Mohammed Mogouchkov mentionne "son soutien aux musulmans en Irak, en Asie, en Palestine" mais ne relie pas "son acte directement aux événements récemment réalisés en Israël". Concernant la vidéo, on y voit le suspect en train de se filmer devant un monument aux morts à Arras. D'après Jean-François Ricard, elle dure 30 secondes et a été tournée 20 minutes avant les faits.
Mohammed Mogouchkov et son frère mis en examen
Le jour de l'attaque, le Parquet national antiterroriste (Pnat) s'est saisi et a ouvert une enquête notamment pour "assassinat en relation avec une entreprise terroriste". Les investigations ont été confiées à la sous-direction antiterroriste de la direction nationale de la police judiciaire, à la direction nationale de la police judiciaire et à la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Depuis vendredi, cent témoins ont été entendus et treize personnes ont été placées en garde à vue. La mère et la sœur de Mohammed Mogouchkov ont notamment été entendues par les enquêteurs, puis remises en liberté. Sa sœur a décrit son frère aux enquêteurs comme le plus violent et le plus radicalisé de la famille.
Mohammed Mogouchkov a été mis en examen mardi par un juge d'instruction antiterroriste pour "assassinat" et "tentatives d'assassinat en relation avec une entreprise terroriste", ainsi que pour "association de malfaiteurs terroriste criminelle", a indiqué une source judiciaire à franceinfo. Son frère de 16 ans est aussi suspecté d'avoir "apporté un certain soutien dans son projet mortifère", notamment sur "le maniement des couteaux", a indiqué le procureur de la République antiterrorriste, Jean-François Ricard dans son point presse du mardi 17 octobre. Il a été également mis en examen pour "complicité d'assassinat" et "complicité de tentatives d'assassinats en relation avec une entreprise terroriste", ainsi que pour "association de malfaiteurs terroristes", selon les informations de franceinfo. Un "cousin de cette fratrie", âgé de 15 ans, qui aurait été "informé du projet" sans "rien faire pour l'empêcher" doit aussi être présenté au juge d'instruction.
Selon les informations de franceinfo, Maxime C., un prisonnier radicalisé, a bien échangé avec le principal suspect. Mohammed Mogouchkov a eu des échanges avec Maxime C. via des lettres et des réseaux sociaux sur leur foi religieuse mais pas sur l'attentat d'Arras de vendredi. Maxime C. n'est pas poursuivi à ce stade des investigations. Il a été ramené en prison d'où il avait été extrait pour la garde à vue. Le Parquet national antiterroriste (Pnat) a requis l'ouverture d'une information judiciaire pour "association de malfaiteurs terroriste criminelle", "assassinat en relation avec une entreprise terroriste", "complicité" de ces deux derniers crimes et "abstention volontaire de commettre un crime".
L'établissement d'Arras rouvert samedi pour les élèves et les enseignants "qui le souhaitent"
Au moment de l'attaque, la sonnerie a retenti dans l'établissement, les élèves et le personnel du lycée ont été confinés dans l'attente de l'intervention de la police. Un large périmètre de sécurité a été établi autour de l'établissement, où la police, les pompiers et le Samu étaient déployés. Tous les établissements scolaires de la ville ont ensuite été confinés, a appris franceinfo de source syndicale.
Les élèves ont raconté l'extrême et très vive inquiétude qu'ils ont vécue pendant plus d'une heure où ils étaient confinés dans leur salle de classe. Certains étaient "très très paniqués, en pleurs et d'autres très très calmes, ça surprend tout le monde", raconte un lycéen confiné avec plusieurs dizaines d'élèves dans la salle de conférences de la cité scolaire.
Les élèves de la cité scolaire Gambetta ont commencé à sortir de l'établissement après 13 heures, a constaté un journaliste de France Bleu Nord sur place. Beaucoup n'ont pas directement assisté à la scène de l'agression mortelle, mais ils ont entendu les cris et les policiers qui sont rapidement intervenus. La ville d'Arras a mis en place une cellule de crise pour suivre l'événement. Selon Emmanuel Macron, le proviseur a décidé de rouvrir les lieux samedi pour les élèves et les enseignants "qui le souhaitent".
L'Assemblée a suspendu ses travaux, Emmanuel Macron sur place
Emmanuel Macron s'est déplacé à Arras. Le chef de l'Etat a salué le courage de l'enseignant tué qui "a sans doute sauvé lui-même beaucoup de vies". Il a tenu à "rendre hommage à tous nos enseignants" et "salué la réactivité de l'ensemble des services de sécurité intérieure". Le président a appelé vendredi les Français à rester "unis" et à "faire bloc" face à "la barbarie du terrorisme islamiste".
Le ministre de l'Éducation Gabriel Attal va réunir vendredi soir rue de Grenelle toutes les organisations syndicales des enseignants après le meurtre d'un des leurs vendredi matin dans un lycée à Arras. La Première ministre Elisabeth Borne a, de son côté, annulé un déplacement prévu à Orléans pour se rendre à Paris et tous les ministres annulent leur déplacement prévu vendredi, a appris franceinfo auprès de Matignon.
À l'Assemblée nationale, les députés ont respecté une minute de silence pour exprimer leur solidarité "face à l'horreur" et les victimes de l'attaque. "Les événements qui ont eu lieu ce matin dans un lycée à Arras nous ont tous saisis d'effroi", a déclaré la vice-présidente de l'Assemblée Naïma Moutchou, exprimant "l'émotion de la représentation nationale face à l'horreur de ces actes, ainsi que nos pensées et notre solidarité envers les victimes et envers leurs familles".
Le ministre de l'Education Gabriel Attal et son homologue de l'Intérieur Gérald Darmanin ont demandé vendredi de renforcer immédiatement la sécurité de tous les établissements scolaires en France. "Toute situation doit être immédiatement signalée" à l'adresse de la cellule ministérielle de crise, précise Gabriel Attal dans un message aux recteurs.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.