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Meurtre d'Alexia Daval : la stratégie payante des enquêteurs pour faire avouer Jonathann Daval

Trois mois après le début de l'affaire, le mari de la victime a finalement été mis en examen et écroué pour meurtre dans la foulée au terme d'une enquête menée dans le plus grand secret.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Des gendarmes montent la garde devant le domicile de Jonathann Daval, le 29 janvier 2018, à Gray-la-Ville (Haute-Saône), lors d'une perquisition. (MAXPPP)

Jonathann Daval est parvenu à garder son terrible secret pendant trois mois. Pendant tout ce temps, il est apparu en veuf éploré, soutenu par ses beaux-parents. A Gray (Haute-Saône), il a donné le change au quotidien et face aux caméras : lors d'une conférence de presse, en tête d'une marche silencieuse, au départ d'une course en hommage à sa femme ou lors de ses obsèques.

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Mais trois mois après avoir prévenu la gendarmerie de la disparition de son épouse, il a finalement été placé en garde à vue. Et face aux gendarmes, il a fini par craquer et avouer le meurtre. Mis en examen, mardi 30 janvier, le mari d'Alexia Daval dort désormais en prison dans l'attente de son procès. Voici comment les enquêteurs ont réussi à le confondre.

Une enquête rapide et verrouillée

Il n'a fallu qu'un trimestre aux gendarmes pour résoudre l'affaire et confondre leur suspect. "C'est finalement allé assez vite", confie à Europe 1 un connaisseur du dossier. Si l'enquête a rapidement progressé, elle a aussi avancé en toute discrétion. Les enquêteurs de la section de recherche de la gendarmerie de Besançon (Doubs) ont maîtrisé une grande difficulté : la médiatisation de l'affaire, dès son commencement, à la fin octobre. Or, "la médiatisation d'une affaire a transformé la manière d'enquêter", explique Jean-Marc Bloch, ancien chef du service régional de la police judiciaire de Versailles (Yvelines), interrogé par franceinfo.

Le secret de l'instruction n'existe plus. Tout est sur la place publique très, très rapidement.

Jean-Marc Bloch

à franceinfo

Les gendarmes franc-comtois n'ont pas laisser fuiter les avancées de l'enquête. Les dernières informations dont disposaient les médias dataient de la conférence de presse de la procureure, mi-novembre. La magistrate avait exposé les premières conclusions de l'autopsie. Et elle avait alors choisi les éléments qu'elle entendait divulguer. Tout juste savait-on que les enquêteurs avaient interrogé quelque 200 personnes (familles, amis, proches et voisins des Daval...) et que Jonathann Daval lors de ses auditions avait reconnu une dispute à l'origine, selon lui, des traces de coups retrouvés sur le corps de sa femme.

La tente beue des techniciens de l'identification criminelle de la gendarmerie sur le lieu de la découverte du corps d'Alexia Daval, le 31 octobre 2017, près de Gray (Haute-Saône). (MAXPPP)

Les fuites dans la presse sur les éléments accablants qu'ils avaient rassemblés à l'encontre de Jonathann Daval n'ont commencé qu'une fois le suspect placé en garde à vue. C'est ainsi qu'on a appris que la maison du couple avait été placée sous surveillance depuis de longues semaines. "Les gendarmes avaient notamment installé des caméras infrarouges pour pouvoir suivre toutes les allées et venues autour du domicile du suspect", explique une source proche de l’affaire au Parisien.

Des informations-clés non versées au dossier

Les enquêteurs ont même gardé des atouts dans leur manche, selon les informations de BFMTV. Ils n'auraient ainsi pas versé au dossier d'enquête certains éléments à charge cruciaux, afin que les avocats du suspect ne puissent pas en prendre connaissance. Grâce à cette manœuvre, ils ont conservé un avantage déterminant sur eux et leur client, au moment de sa garde à vue.

"On sait que la garde à vue en principe n'amène pas d'éléments déterminants, il faut déjà avoir toutes les pièces avant de mettre quelqu'un en garde à vue. C'est donc la bonne stratégie. Il ne faut pas se précipiter, juge l'ancien policier et consultant Jean-Marc Bloch. Dès le début, on sentait quelque chose de curieux, mais les enquêteurs ont attendu, et légitimement attendu, pour accumuler un certain nombre d'éléments avant de mettre le mari en garde à vue."

Une voiture de police entrant au palais de justice de Besançon (Doubs), avant la présentation de Jonathann Daval au juge d'instruction en vue de sa mise en examen. (MAXPPP)

Une méthode d'interrogatoire innovante

D'après les informations de BFMTV, les gendarmes français ont mis en pratique une méthode d'interrogatoire canadienne innovante pour faire craquer Jonathann Daval. Celle-ci est baptisée "Progreai" pour "Processus général de recueil des entretiens, auditoires et interrogatoires". Cette technique consiste à débuter l'interrogatoire d'un suspect sur le mode de la conversation. Le gardé à vue est d'abord questionné sur sa famille, sa vie personnelle, sur ses passions ou sur son travail. Ces sujets, en apparence anodins et sans liens avec l'affaire, permettent de le mettre en confiance et de le faire parler.

L'interrogatoire peut alors entrer dans le vif du sujet. Le suspect est invité à donner sa version des faits. Au fil de la discussion, les enquêteurs lui demandent d'apporter des précisions. Entrer dans les détails, leur permet de faire surgir des invraisemblances ou des incohérences. La garde à vue entre alors dans sa dernière phase : le suspect est mis face à ses contradictions et les enquêteurs lui opposent tous les éléments à charge dont ils disposent. Ce long processus psychologique sert à mettre à mal les résistances du gardé à vue pour qu'il craque et passe aux aveux.

Jonathann Daval, le mari d'Alexia Daval, entouré de ses beaux-parents, Jean-Pierre et Isabelle Fouillot, lors d'une conférence de presse, le 2 novembre 2017 à Gray (Haute-Saône). (MAXPPP)

Jonathann Daval s'est ainsi vu opposer les éléments-clé réunis par les gendarmes après trois mois d'enquête : le témoignage accablant d'un voisin, le mystérieux déplacement de sa voiture professionnelle la nuit précédant la disparition de sa femme, les traces de pneus et les morceaux de draps appartenant au couple retrouvés près du corps, l'absence d'autres témoignages que le sien attestant que sa femme est bien partie faire son jogging, l'absence d'alibi entre la soirée raclette en famille du vendredi soir et le samedi matin, où il s'est montré en ville à plusieurs endroits. "Son audition a été difficile", a bien dû reconnaître son avocat, Randall Schwerdorffer, qui jugeait pourtant plus tôt que la garde à vue de son client ne s'expliquait que par "l'absence d'autre suspect". L'interrogatoire a surtout été fatal à Jonathann Daval.

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