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"Ils m'ont dit que j'allais aller chercher un de leurs amis en prison" : au procès de Rédoine Faïd, le témoignage du pilote de l'hélicoptère

Le braqueur multirécidiviste Rédoine Faïd et onze de ses complices présumés sont jugés pour son évasion spectaculaire de la prison de Réau (Seine-et-Marne), en 2018. Le pilote de l’hélicoptère qui a servi à l’évasion a témoigné, lundi, après deux semaines de procès.
Article rédigé par Mathilde Lemaire
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
L'hélicoptère Alouette II qui a servi à l'évasion de Rédoine Faïd, le 1er juillet 2018. (IAN LANGSDON / EPA VIA MAXPPP)

A la barre de la cour d'assises de Paris, lundi 18 septembre, est venu témoigner le pilote de l'hélicoptère qui a servi à l'évasion de Rédoine Faïd, en juillet 2018. Cinq ans plus tard, Stéphane Buy se dit traumatisé par la prise d'otage qu'il a vécu. Une heure de témoignage au cours de laquelle il a beaucoup pleuré. C'est un homme de carrure imposante, un pilote instructeur, âgé de 70 ans. Dans son costume marine, il se souvient, entre deux sanglots.

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En mai, puis en juin 2018, un père et son fils, les Lepetit, sont venus dans son aéroclub de Lognes, en Seine-et-Marne, d'abord pour un baptême, puis pour un second vol. Tout s'était bien passé. Ils l'ont rappelé le 30 juin pour tester un autre hélicoptère, une Alouette. Il leur donne rendez-vous le lendemain matin. Tout se déroule normalement jusqu'à ce qu'ils demandent à faire une pause pour uriner. "Quand ils sont remontés à bord, tous les deux m'ont braqué, une arme de chaque côté. Ils m'ont fait descendre de l'appareil, mettre à genoux et m'ont dit que j'allais aller chercher un de leurs amis en prison. Et que si je n'obtempérais pas, ils tueraient un membre de ma famille. Que quelqu'un était posté devant ma maison. Justement, chez moi, ce dimanche-là, j'avais invité pour déjeuner ma petite fille et ma petite-nièce", raconte, ému, le pilote.

"On a redémarré", poursuit le pilote. "Ils m'ont demandé de me poser encore, et des hommes cagoulés et armés de fusils mitrailleurs sont montés. Au moment de repartir, il y a eu une panne de démarreur. Ça arrive sur ces machines des années 60. J'ai dû aller à l'extérieur pour réparer. Un des membres du commando m'a accompagné, il me mettait des coups de crosse dans le dos, à la tête... Je revenais dans l'appareil pour essayer de redémarrer, ça ne marchait pas. Finalement, à la troisième tentative, j'ai prié de toutes mes forces, et la machine est repartie."

"Il m'a dit : je ne suis pas un tueur, décolle"

L'homme poursuit son récit. "C'est là qu'on a mis le cap vers la prison de Réau. Ils me guidaient, moi, je ne connaissais pas. On volait très bas, cinq, dix mètres au-dessus des toits. C'était dangereux." Le pilote détaille ensuite la descente dans la cour d'honneur de la prison. Le vol stationnaire, qui dure sept minutes seulement, le temps d'un demi-tour. Tous ses preneurs d'otages qui remontent à bord avec en plus, Rédoine Faïd. Lui n'était pas cagoulé. "Il m'a dit seulement : 'Je ne suis pas un terroriste, je ne suis pas un tueur, décolle !' J'étais choqué, et en même temps concentré. J'avais peur, car il nous restait très peu de carburant", explique-t-il.

Le pilote raconte comment il s'en est finalement sorti avec des ecchymoses et un traumatisme. Le commando lui a demandé de se poser à Gonesse, sur un chemin près d'une route à quatre voies. "Rédoine Faïd a dit qu'ils allaient m'asperger d'eau de Javel pour enlever les traces ADN. C'est stupide, j'avais un beau polo tout neuf, je l'ai retiré pour ne pas l'abîmer et je me suis retrouvé torse nu", s'amuse aujourd'hui le pilote. Il dit avoir vu Rédoine Faïd incendier l'hélicoptère. "Il m'a dit : 'Casse-toi, ça va exploser'", avant de repartir avec tous ses complices dans une voiture noire arrivée en trombe. Avant son témoignage, des médecins psychologues, qui ont examiné ce pilote après les faits, ont décrit un traumatisme lourd, la peur de mourir, l'hyper vigilance, une perte de poids et des troubles du sommeil.

Les excuses des frères Faïd

Dans le box, Rachid, le grand frère, celui qui se faisait passer pour un père voulant faire un vol de tourisme en Alouette, présente ses excuses à Stéphane Buy. "Je reconnais les faits. C'est sincère, monsieur, désolé de ce qui vous est arrivé. Moi, j'étais dans une autre optique. Vos mots aujourd'hui ont failli me faire pleurer." Rédoine Faïd ajoute : "Je vous ai écouté attentivement, j'ai conscience de votre souffrance. J'espère que les débats ici vous aideront à mettre cette histoire derrière vous. Mes profondes excuses, monsieur."

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Faïd reprend : "Je voulais aussi dissiper ici tous les doutes qu'il y a pu y avoir sur ce monsieur qui a été soupçonné par les enquêteurs." En effet, le pilote a été un temps placé en garde à vue, car il se trouve que sa belle-fille entretenait une relation épistolaire avec le détenu Rédoine Faïd. "Pure coïncidence et rien d'autre, répète l'accusé. Si j'avais su qu'il était le beau-père de Céline, j'aurais choisi un autre club et un autre hélicoptère pour organiser mon évasion", termine-t-il.

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