: Récit Procès de Rédoine Faïd : à 11h28, le 1er juillet 2018, "le roi de la belle" s'évade de la prison de Réau en hélicoptère
La France entre dans la torpeur de l'été ce dimanche 1er juillet 2018. Les fans de foot n'ont qu'un rendez-vous en tête, le huitième de finale de la Coupe du monde entre l'Espagne et la Russie, disputé dans l'après-midi. Dans la prison de Réau, en Seine-et-Marne, certains parloirs du week-end ont été décalés au matin, pour ne rien louper du match. C'est le cas du détenu Rédoine Faïd, braqueur multirécidiviste de 46 ans. Il a demandé à voir son frère Brahim. Il ne verra rien de la victoire surprise du pays organisateur aux tirs au but. Il s'est fait la belle. En hélicoptère.
Le procès de cette évasion digne d'un scénario de film s'ouvre mardi 5 septembre devant la cour d'assises de Paris. Rédoine Faïd y sera jugé pendant sept semaines pour, entre autres, détournement d'aéronef par violence, évasion, enlèvement et séquestration d'otage, le tout en bande organisée. A ses côtés, dans le box ou sur le banc des accusés, onze autres personnes, dont deux de ses frères et trois neveux. L'évasion et la cavale de trois mois qui a suivi se sont faites en famille.
Une opération d'à peine dix minutes
Tout commence dans un petit aérodrome de Lognes, à l'est de Paris, le 1er juillet 2018. Un père et son fils – en réalité, selon les juges d'instruction, Rachid, un frère de Rédoine Faïd, et Steeve Escrihuela, coaccusés au procès –, se présentent pour un cours de pilotage sous le nom "Lepetit". Le pilote les connaît, ils sont déjà venus faire deux baptêmes de l'air. Il a bien remarqué la perruque du père et "leur allure générale négligée". Mais Stéphane Buy, partie civile au procès, fait décoller l'Alouette II, un hélicoptère cinq places. Quelques minutes plus tard, les "Lepetit" ont une envie pressante et demandent à se poser. Quand l'appareil redécolle, le pilote a un canon sur la tempe et ses passagers lui ordonnent de voler vers la prison de Réau. Sinon, ils s'en prendront à sa famille, menacent-ils.
L'hélicoptère fait une nouvelle halte en chemin, où un troisième homme monte à bord – un neveu de Rédoine Faïd, Ishaac Herizi, selon l'accusation. Le vol n'a plus rien de touristique, mais tout du commando. Quand l'appareil vole en stationnaire, à un mètre du sol, dans la cour du centre pénitentiaire alors dépourvu de filins, il est 11h18. Le surveillant posté dans le mirador a à peine le temps de voir deux hommes cagoulés et armés de fusils d'assaut sauter de l'Alouette qu'un fumigène obstrue sa vue. A 11h21, une première porte est découpée à la disqueuse. L'un des deux complices s'engouffre dans le couloir des parloirs, découpe deux autres portes et libère Rédoine Faïd. A quelques mètres de là, Antonio Ferrara, un autre "roi de la belle" et figure du grand banditisme français, se trouve aussi au parloir.
Selon les gardiens qui assistent médusés à la scène, Rédoine Faïd, disqueuse à la main, sort de la prison "très serein, marchant calmement". "Je ne suis ni un terroriste ni un criminel", lance-t-il en montant à bord de l'hélicoptère, selon le témoignage du pilote. L'engin redécolle à 11h28, sous les vivats des détenus. L'opération a duré à peine dix minutes. La ministre de la Justice de l'époque, Nicole Belloubet, souligne le niveau de préparation de l'équipe.
"Il s'agit là d'une évasion hors norme, qui a supposé un commando très bien préparé."
La ministre de la Justice de l'époque, Nicole Belloubetdepuis la prison de Réau, le jour de l'évasion de Rédoine Faïd
Toujours sous la menace, Stéphane Buy atterrit à Gonesse (Val-d'Oise), sur un petit chemin attenant à une route départementale. Les malfaiteurs le font sortir de l'hélicoptère avant d'y mettre le feu – tant bien que mal puisqu'ils ont oublié un sac avec des produits inflammables dans la cour de la prison. Ils s'enfuient à bord d'une Mégane avec un quatrième complice au volant. La voiture sera retrouvée peu après dans un parking du centre commercial O'Parinor, à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Le groupe l'a troquée pour un Kangoo siglé Enedis, qui sera plus tard repéré sur l'A1, près du péage de Senlis, dans l'Oise, non loin de Creil, lieu de naissance de Rédoine Faïd. La cavale a commencé.
Les policiers retrouvent le pilote, choqué et désorienté. Stéphane Buy, qui a reçu de nombreux coups de crosse, est malgré tout un temps soupçonné de complicité. Les enquêteurs découvrent la correspondance de sa belle-fille avec Rédoine Faïd quand il était incarcéré à Fresnes (Val-de-Marne). En garde à vue, celle-ci reconnaît lui avoir écrit dans un esprit "un peu midinette" et jure n'avoir rien dit de la profession de son beau-père.
Il faut dire que "l'écrivain", comme le surnomment les limiers à ses trousses, s'est fait un nom pendant une période de libération conditionnelle. Autobiographie, plateaux télé, projet de biopic pour lequel il a lui-même casté son acteur… Entre 2009 et 2011, le voleur professionnel, option attaque de fourgon blindé, assure être repenti. Mais il retombe après une attaque de fourgon ratée, qui se solde par la mort d'une policière municipale, Aurélie Fouquet, en 2010, dans le Val-de-Marne. Les policiers le soupçonnent d'être l'instigateur de l'opération. Rédoine Faïd l'a lui-même reconnu lors de l'une de ses interviews : il est "accro au braquage".
Renvoyé derrière les barreaux, le cinéphile inspiré par les films de gangsters fomente une première évasion. Il s'enfuit de la prison de Sequedin (Nord) en 2013 : quatre portes explosées aux pains de plastic, cinq gardiens de prison pris en otage et une cavale d'un mois qui s'achève dans un hôtel miteux de banlieue parisienne. Celle qui a suivi l'évasion de Réau a duré un peu plus longtemps.
Le roi de la belle, pas de la cavale
Rédoine Faïd a du mal à se faire discret, même pendant une cavale. Dix jours après s'être fait la malle en hélicoptère, l'ennemi public numéro un fait les boutiques et se rend dans un cybercafé avec son frère Rachid à Paris. S'ils ne sont pas repérés cette fois-ci, ils manquent de se faire arrêter à la fin juillet par des gendarmes. Leur voiture, stationnée sur le bas-côté d'une voie rapide à Piscop (Val-d'Oise), intrigue une patrouille. Après une course-poursuite, les deux fugitifs abandonnent le véhicule. A l'intérieur, un téléphone portable oublié confirme que Rédoine Faïd n'est pas parti bien loin : il active des bornes principalement autour de Creil.
Entre-temps, les enquêteurs ont mis la main sur l'arsenal utilisé pour l'évasion de Réau, grossièrement enterré dans la forêt d'Halatte (Oise). La disqueuse, les armes et même le tee-shirt Hugo Boss porté par Rédoine Faïd… Tout y est, ADN compris. Les investigations se resserrent autour de son cercle familial. Mi-septembre, un signalement anonyme accélère l'enquête. Les allées et venues d'un individu en burqa à "la physionomie massive", près d'un immeuble de la rue Jean-Baptiste-Carpeaux, à Creil, intriguent les habitants. Entre mises sur écoute, planques et filoches, les enquêteurs remontent la piste jusqu'à Rédoine Faïd.
Le 3 octobre, à 4 heures du matin, la BRI et le Raid pénètrent "dans l'appartement conspiratif" et réveillent Rédoine et Rachid Faïd, leur neveu Ishaac Herizi et leur logeuse, Alima A.. Ils saisissent des armes, un faux brassard de police, trois burqas, un postiche et deux livres : Secrets de flic, de l'ancien patron de la police judiciaire parisienne Bernard Petit, et D'argent et de sang, le roman vrai de la mafia du CO2, du journaliste Fabrice Arfi. Le caïd médiatique préparait-il un nouveau coup avant d'être cueilli en pyjama ? Dans l'émission "Affaires sensibles", sur France 2, Jean-François Maugard, ex-commandant de la brigade de répression du banditisme (BRB), qui a croisé sa route à partir de 1998, pointe le contraste entre une évasion spectaculaire et une cavale ratée.
"Rédoine Faïd vit un peu sa vie comme dans les films, ce qui l'intéresse, c'est l'adrénaline (...) C'est comme ça qu'on peut expliquer la sophistication dans l'évasion et une impréparation au niveau de la cavale phénoménale."
Jean-François Maugard, ancien commandant de la BRBsur France 2
Libérable en 2046 ?
En tirant les fils après les arrestations, enquêteurs et magistrats ont pu mesurer, en effet, le degré de préparation de cette seconde évasion, pensée depuis de longs mois. Selon eux, elle devait initialement avoir lieu depuis la prison de Fresnes, en 2017. Mais l'arrestation d'une figure du grand banditisme corse, Jacques Mariani, soupçonné de préparer la logistique et le financement de cette évasion en échange, selon les juges d'instruction, d'assassinats ciblés dans le clan corse rival, et le transfert de Rédoine Faïd à Réau ont changé les plans. Malgré son statut de "détenu particulièrement surveillé" et son placement à l'isolement, l'intéressé n'a pas renoncé, se montrant "très observateur des procédures de sécurité", selon les matons. La directrice adjointe de Réau avait même signalé des survols de drones de la prison depuis l'arrivée de Rédoine Faïd.
Après la fin de sa cavale, le roi de la belle a retrouvé la vie carcérale, cette fois à Fleury-Mérogis (Essonne). Pour prévenir toute velléité de nouvelle évasion, ses conditions de détention se sont durcies. "Il est à l'isolement total, tous ses parloirs se font par hygiaphone, avec une vitre. Il n'a eu de contact physique avec aucun de ses proches depuis cinq ans", déplore auprès de franceinfo l'un de ses deux avocats, Yves Leberquier, ajoutant avoir fait citer des psychiatres à l'audience pour "expliquer les effets de l'isolement sur le psychisme et le physique" de son client.
"Il est combatif, il bouquine, il écrit, il fait du sport, il tient debout."
Yves Leberquier, avocat de Rédoine Faïdà franceinfo
Les perspectives de sortie sont très lointaines. Rédoine Faïd a été condamné en appel à 25 ans de réclusion pour avoir organisé le braquage raté ayant entraîné la mort d'Aurélie Fouquet en 2010 – et non pour le meurtre de la policière –, à 28 ans pour l'attaque d'un fourgon blindé en 2011 et à dix ans pour l'évasion de Sequedin.
Il est théoriquement libérable en 2046. C'est sans compter la peine encourue au procès de l'évasion de Réau, la perpétuité. Quelle sera sa ligne de défense ? Rédoine Faïd a gardé le silence pendant l'instruction. Yazid Kherfi, un ex-braqueur qui lui rend visite en prison, a sa petite idée : "Je pense que lors de son procès, il va dire au juge qu'il était au parloir tranquille et puis on est venu le chercher."
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