Explosion d'un immeuble à Paris : face aux "blessures invisibles", "il faut inviter les gens à parler de ce qu'ils ont vécu", conseille un psychiatre
"Un énorme 'boum'", des fenêtres "qui explosent", "une déflagration très forte"... Les mots des riverains de l'immeuble situé rue Saint-Jacques, dans le 5e arrondissement de Paris, où une explosion a retenti mercredi 21 juin, témoignent de la puissance du choc. Au lendemain de la catastrophe, le bilan intermédiaire du parquet de Paris a fait état d'une personne toujours recherchée, de six personnes en urgence absolue et d'une cinquantaine de victimes au total.
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"Des gens blessés ou impliqués à des degrés divers, qui peuvent avoir ressenti le souffle ou un impact, ont continué et continuent à se manifester", a précisé à franceinfo le parquet de Paris. Ce qui explique l'augmentation du nombre de blessés jeudi. Les blessures peuvent en effet être invisibles et le stress post-traumatique peut survenir plusieurs jours après l'événement, comme l'explique à franceinfo le professeur Laurent Schmitt, psychiatre et responsable de la Cellule d'urgence médico-psychologique d'Occitanie.
Franceinfo : Quelles sont les séquelles psychologiques dont peuvent souffrir des personnes qui se trouvaient à proximité d'une telle explosion ?
Laurent Schmitt : Il y a trois phases. La première, c'est la phase de stress aigu, qui se manifeste par des crises d'angoisse, des mouvements émotionnels forts comme des pleurs et de la tristesse, des pensées sur ce qui vient de se produire et des troubles du sommeil. Cette phase de stress aigu dure souvent une semaine. Elle ne laisse pas indemne.
Ensuite, survient la deuxième phase, avec une hypersensibilité au bruit et à tout événement en rapport avec l'explosion. Cette phase est d'autant plus marquée pour celles et ceux qui vivent à proximité du lieu de la catastrophe et continuent de voir l'endroit. Les images, y compris sur les vidéos, jouent un rôle de renforçateur. Dans cette phase, toutes les pensées sont tournées vers l'explosion.
La troisième phase, c'est l'état de stress post-traumatique, qui a quatre ou cinq caractères stéréotypés : les angoisses ; les moments où le bruit et les odeurs ramènent à l'événement, appelés phénomènes de reviviscence ; les moments de repli, quand les victimes cherchent à s'isoler ; les cauchemars qui montrent la sévérité du stress et les moments d'accélération du cœur. Cette situation peut avoir des complications, telles qu'un isolement total, de la prise de toxiques ou d'alcool.
Comment détecter ces souffrances ?
Toutes ces blessures sont invisibles. Ce n'est pas comme quelqu'un qui a saigné, d'où la nécessité d'interroger les gens. C'est la responsabilité des professionnels qui composent les cellules d'urgence médico-psychologique, obligatoires dans chaque département depuis les attentats de 2015 à Paris et déclenchées lors d'événements exceptionnels. Leur rôle est d'assurer ce que l'on appelle le "defusing" [littéralement "désamorçage"], c'est-à-dire d'inviter les gens à parler de ce qu'ils ont vécu et de ce qui leur a fait peur pour leur dire que c'est normal de ressentir cela.
Si des enfants sont confrontés à ce type d'événements traumatiques, il faut être attentif aux changements émotionnels. Eux n'ont pas toujours les mots, mais leur comportement évolue, avec une hyperactivité par exemple.
Le stress post-traumatique peut-il être ressenti plusieurs jours après une explosion ?
En première ligne, il y a les personnes directement impliquées. Puis celles qui le sont moins, avec des effets diminués, dans le voisinage. Ces personnes sont choquées, mais se disent "ça va passer, tout va bien". Mais quatre à cinq jours après, ils craquent. C'est tout à fait légitime.
Tout le monde n'a pas la même sensibilité face à ces événements. Quelqu'un qui a déjà vécu des événements qui l'ont blessé est sans doute plus fragile que d'autres. Les pompiers ou les membres du Samu, qui sont confrontés à des choses dures, peuvent manifester des fragilisations. Ils supportent une multiplication d'événements difficiles puis se déchargent, comme une batterie.
En réponse, il y a plusieurs lignes de traitements, à la fois thérapeutiques, comme l'EMDR et les entretiens psychologiques, et les traitements médicamenteux. Des antidépresseurs peuvent être prescrits (mais surtout pas d'anxiolytiques), et des bêtabloquants, qui réduisent la fréquence cardiaque et agissent sur la mémoire.
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