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Incendies : cinq questions sur les Canadair, les avions bombardiers d'eau

Des incendies touchent, en cette fin juillet, l'Italie, le Portugal, l'Algérie ou encore la Grèce. C'est d'ailleurs en luttant contre les flammes en Grèce qu'un Canadair s'est écrasé ce mardi dans le sud de l'île d'Eubée.
Article rédigé par franceinfo - Aurore Richard
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Un Canadair larguant de l'eau sur un incendie dans le Gard, le 31 juillet 2022. (RICHARD DE HULLESSEN / MAXPPP)

Plusieurs pays, dont la Grèce, font face en ce mois de juillet à de violents incendies. Le Canadair est engagé dans cette lutte. Il représente d'ailleurs pour le grand public l'une des armes les plus symboliques contre les feux de l'été.

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Pourtant, les drames marquent aussi l'histoire de ce "Pélican" : l'un de ces appareils s'est écrasé mardi 25 juillet dans le sud de l'île d'Eubée, les deux pilotes sont morts. franceinfo revient en cinq questions sur cet avion bombardier d'eau unique en son genre.

D'où vient le nom "Canadair" ? 

Canadair est le nom de l’entreprise, créée au Canada en 1944, qui a inventé les avions bombardiers d’eau. Le premier modèle s’appelait le CL-215, il a effectué son premier vol en 1967. Il laisse ensuite place au CL-415 dans les années 1990. En Europe, ces avions sont appelés par le nom de la société Canadair, et même après le rachat de Canadair par le groupe Bombardier en 1986. C'est aussi pour cela que Canadair ne prend pas de "s" au pluriel : il s'agit d'une marque déposée.

Problème : le CL-415 a vu sa production arrêtée en 2015. C'est désormais un concurrent, le DHC-515 qui est à l'honneur : ce bombardier d'eau, produit cette fois par la compagnie canadienne De Havilland, intéresse de très près l'Europe, et notamment la France. Ce nouvel avion, qui doit voler dès 2026, est capable de déverser 6 000 litres d'eau en 12 secondes et peut faire une quinzaine de largages par heure. Son prix ? 35 millions d'euros.   

Pour quelles missions sont-ils utilisés ?

En France, les Canadair de la Sécurité civile peuvent être déployés, en prévention, pour assurer la surveillance de points sensibles. Ils interviennent aussi en cas d’incendie. Pour appuyer les unités de pompiers au sol, ils larguent de l’eau à basse altitude, à une trentaine de mètres environ. Ces avions se ravitaillent en eau de plusieurs façons. Ils ont la particularité de pouvoir puiser dans la mer, dans un lac ou un fleuve.

Ils peuvent aussi se réapprovisionner dans un pélicandrome : l’espace prévu dans un aéroport où les Canadair peuvent se remplir d’eau, et d’autres appareils, de produit retardant (un produit chimique rouge qui freine la propagation des incendies). Il y a 25 pélicandromes en France, principalement dans le sud du pays.

Pour se ravitailler en mer ou sur un plan d’eau, l’avion se présente sur à la surface de l’eau à 110 km/h environ. Avec la vitesse, les deux réservoirs se remplissent, jusqu’à six tonnes d’eau en seulement douze secondes.

Enfin, une question pratique : ces avions décollent-ils aussi l'hiver ? La réponse est oui, notamment pour des missions de reconnaissance et des besoins de formation de pilotage. Mais il est vrai que 70% des heures de vol sont effectuées en seulement quatre mois, de juin à septembre.

Qui pilotent les Canadair ? 

En France, il y a 80 pilotes de Canadair. Étant donné la précision que requièrent l’approvisionnement et le largage, "la plupart des pilotes de bombardiers d’eau sont d’anciens pilotes militaires qui ont déjà une expérience accrue du vol en basse altitude, dans des conditions atmosphériques un peu compliquées", explique Christophe Govillot, ancien pilote de bombardier d’eau de la Sécurité civile à franceinfo mardi 25 juillet.

Faisant remarquer la difficulté de pilotage - il n'y a par exemple pas de pilotage automatique et les conditions de vol peuvent être difficiles -, l'expert précise que la durée de formation est longue, même pour des aviateurs aguerris : "Lorsqu’on arrive à la Sécurité civile, il faut pas moins de cinq ans pour former un commandant de bord".

De combien d'appareils la France est-elle dotée ? 

Elle a commencé à se doter de ses premiers Canadair en 1970, et désormais, elle en possède 12. Ils sont exclusivement utilisés par la Sécurité civile. En plus des Canadair, sa flotte se compose d’appareils bombardiers Dash. Ces avions sont capables de larguer 10 tonnes d’eau et du produit retardant, mais ils peuvent uniquement se ravitailler dans les pélicandromes, et pas à la surface de l’eau.

Il y a également des avions Beechcraft (mais qui ne sont pas des bombardiers, leur principale mission est la surveillance), des avions Air Tractor et des hélicoptères. La flotte de la Sécurité civile se compose, en juillet 2023, de 47 appareils contre 38 à l’été 2022.

  

Comment expliquer les accidents de Canadair ? 

Un Canadair s’est écrasé mardi 25 juillet dans le sud de l’île d’Eubée, en Grèce faisant deux morts. Depuis le déploiement du modèle CL-415, une dizaine d’accidents a été enregistré dans le monde, selon la fondation Safety Aviation Network.

Au-delà de la difficulté à piloter ces appareils et de la dangerosité des situations de vol, le vieillissement de ces engins est souvent pointé du doigt. Ainsi, concernant l’accident du mardi 25 juillet, le détachement du "ballonnet de l’aile droite" de l’appareil est mis en cause, d'après Christophe Govillot, ancien pilote de bombardier d’eau de la Sécurité civile à franceinfo. "Si cette pièce a disparu, il y a de fortes chances que s'en soit suivi une grosse chute hydraulique et que l'avion soit devenu impilotable, incontrôlable", analyse-t-il. 

Toutefois, ces avions qui effectuent quelque 10 000 heures de vol et 18 000 largages d'eau par an sont scrutés en terme de maintenance. Avec une facture de plus de 35 millions d'euros par an, la logistique de cette flotte est souvent épinglée. La flotte de CL-415 datant des années 1990, il y a des pannes récurrentes et il est parfois très difficile de trouver des pièces de rechange, comme l’a souligné la Cour des comptes en octobre 2022.

Dans un rapport, déposé le 5 juillet 2023, le Sénat souligne "le manque de réalisme de l’annonce par le président de la République d’un renouvellement complet de la flotte vieillissante de Canadair et de son extension à 16 appareils à l’horizon 2027, contre 12 actuellement. Compte tenu de la décision tardive du constructeur De Havilland de relancer la chaîne de production, les délais de production de ces avions demeurent particulièrement incertains, et la France ne peut en tout état de cause espérer obtenir la livraison de plus de deux appareils dans les cinq prochaines années".

Reste toutefois que Bombardier se veut rassurant : plus des deux tiers des hydravions sont en service depuis plus de vingt-cinq ans. Dans un entretien au Monde, Jean-Philippe Côté, vice-président du programme De Havilland Canada, assure ainsi que sur les 220 Canadair produits depuis leur lancement en 1969, "il en reste 160 en service, dont une moitié est opérée en Europe et l’autre en Amérique du Nord". 

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