Incidents lors de la finale de la Ligue des champions 2022 : "On est passé tout près d'une catastrophe majeure", estime un co-auteur du rapport
"On est passé tout près d'une catastrophe majeure", a estimé Ronan Evain, invité de franceinfo mardi 14 février. Le directeur général de l’association Football Supporters Europe est l’un des 9 co-auteurs du rapport indépendant commandé par l'UEFA, après les incidents au Stade de France lors de la finale de Ligue des champions 2022 entre le Real Madrid et Liverpool.
"Si on a échappé à cette catastrophe majeure, ce n'est pas grâce à la réactivité de la police", mais grâce aux supporters "qui ont fait preuve d'une capacité collective à s'autoréguler pour éviter le pire", a-t-il expliqué. Alors que la France se prépare à organiser la Coupe du monde de rugby en septembre et les Jeux olympiques à Paris en 2024, les conclusions de ce rapport "est un signal d'alarme extrêmement sérieux", prévient le représentant de supporters.
franceinfo : Pourquoi pointez-vous en premier lieu la responsabilité de l'UEFA ?
Ronan Evain : C'est son événement et l'UEFA, en théorie, a une forme de contrôle ou de supervision sur l'ensemble de l'organisation, ce qui n'a pas été le cas au Stade de France. Néanmoins, l'UEFA fait un exercice de transparence et de responsabilité avec la publication de ce rapport. Elle est la responsable première de ce fiasco, mais cela n'exonère en rien les pouvoirs publics français qui portent aussi une lourde responsabilité.
La préfecture de police et les forces de l'ordre ont-elles surestimé le risque de hooliganisme ?
Effectivement, c'est la menace hooligan fantasmée basée sur la culture des tribunes anglaises il y a plus 30 ans ou les événements à Marseille en 2016 à l'occasion d'Angleterre-Russie. Deux éléments qui n'avaient absolument rien à voir avec les gens présents au Stade de France le 28 mai 2022, mais qui ont guidé l'approche policière et qui ont amené à cette considération qu'il fallait encadrer les supporters présents à Paris ce jour-là et pas les accueillir. Tout le reste découle de cette approche erronée du supportérisme.
Ça explique l'usage disproportionné de la force ?
Ça explique d'abord l'absence d'une culture de l'hospitalité. Pour les supporters anglais et espagnols qui sont arrivés au Stade de France le jour de la finale, leurs seuls interlocuteurs étaient des policiers ou des gendarmes anti-émeutes. Personne pour les accueillir, personne pour leur parler dans leur langue, pour leur indiquer la direction du stade, uniquement une réponse policière. Cette perception du supporter comme étant l'ennemi amène la présence de policiers antiémeutes casqués. Il y a l'utilisation excessive et dangereuse des gaz lacrymogènes aux alentours du Stade de France.
Combien de supporters anglais étaient présents ce soir-là avec de faux billets ?
On n'a trouvé aucune trace des 30 à 40 000 supporters anglais sans billet ou avec des billets falsifiés évoqués par Monsieur Darmanin. Aucune trace de la fraude massive évoquée par le ministre de l'Intérieur. Il y a eu une fraude, mais c'était vraiment marginal. On évoque un peu plus de 2 000 QR codes qui ont été scannés plusieurs fois. C'est le seul chiffre dont on dispose. Mais ça ne veut pas nécessairement dire que l'ensemble de ces QR codes étaient falsifiés, puisqu'il y a aussi une défaillance technique des bornes du Stade de France qui peut expliquer qu'un QR code a été scanné plusieurs fois. On est vraisemblablement de l'ordre de 300 à 400 faux billets, ce qui est plutôt un chiffre bas pour ce type d'événement. On a été incapable, avec l'ensemble des pièces qui nous ont été communiquées, avec l'ensemble des entretiens qui a été fait, de trouver la trace des 30 à 40 000 supporters anglais évoqués par le ministre.
Savez-vous combien de personnes ont été agressées ce soir-là ?
C'est difficilement quantifiable. Quand vous êtes à l'étranger, que vous avez été agressé, la première chose que vous avez envie de faire, c'est de rentrer chez vous. Ce n'est pas d'aller au commissariat pour déposer plainte. On se retrouve avec très peu de dépôts de plainte. Ça fait clairement partie des choses à analyser sur ce qui s'est passé au Stade de France et du nécessaire retour d'expérience qui doit être fait aujourd'hui. Les problèmes qui ont mené au fiasco du Stade de France sont anciens. Ils étaient clairement identifiés sur des événements précédents, mais il n'y a jamais eu de réponse apportée par les organisateurs. On voit la difficulté des pouvoirs publics et des instances sportives françaises à faire du retour d'expérience et à apprendre de leurs erreurs.
A-t-on échappé au pire lors de cette finale ?
On est passé tout près d'une catastrophe majeure. C'est la conclusion de ce rapport. Si on a échappé à ces catastrophes majeures, ce n'est pas grâce à la réactivité de la police, mais c'est grâce à celle des supporters présents avant et après le match qui ont fait preuve d'une capacité collective à s'autoréguler pour éviter le pire. On a eu beaucoup d'autosatisfaction après le match qui reposait notamment sur le fait qu'il n'y avait pas eu de morts au Stade de France lors cette finale de Ligue des champions. Ça me semblait à l'époque tout à fait indécent. Quand on se rend à un événement de ce type, on peut quand même espérer rentrer chez soi. Oui, on est passé tout près du pire.
La France a-t-elle la capacité d'organiser la prochaine Coupe du monde de rugby et les Jeux olympiques en 2024 ?
C'est un signal d'alarme extrêmement sérieux. Il faut aujourd'hui que les pouvoirs publics, ministère de l'Intérieur, préfecture de police de Paris, se saisissent de ce rapport et revoient leur approche de l'accueil des spectateurs. Sinon, on peut se diriger vers une reproduction de tout ou partie de ce qu'on a vu autour du Stade de France. Les questions de mobilité et d'accès autour du Stade de France sont extrêmement anciennes. On manque de cette culture de transparence ou de responsabilité. On manque d'une culture de retour d'expérience autour de ces événements. Il est urgent de revoir notamment le plan de mobilité autour du Stade de France. Enfin, il y a une spécificité du football. C'est-à-dire qu'on n’accueille pas les supporters de football qui sont perçus comme étant des ennemis, comme les supporters d'autres sports. C'est aussi notre capacité à organiser des matches de foot en France qui doit être revue.
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