L'article à lire pour comprendre l'affaire Frédéric Péchier, cet anesthésiste mis en examen pour 26 empoisonnements
C'est une affaire inédite qui a éclaté au grand jour en 2017. Le docteur Frédéric Péchier est suspecté d'être à l'origine de 26 empoisonnements de patients, dont 10 mortels, lorsqu'il était anesthésiste à Besançon (Doubs), entre 2008 et 2016.
Le praticien, qui était jusqu'alors mis en examen pour 24 empoisonnements, l'a été "pour deux cas" nouveaux, dont un mortel, le 8 mars, a annoncé face à la presse le procureur de la République de Besançon, Étienne Manteaux. Frédéric Péchier est à nouveau interrogé par la juge d'instruction en charge de l'enquête, mercredi 22 mars, à partir de 9h30, ont confirmé à franceinfo le procureur et l'avocat de l'anesthésiste. Il pourrait à nouveau être mis en examen, cette fois pour cinq nouveaux cas. Franceinfo revient sur cette affaire hors norme.
Qui est Frédéric Péchier ?
Médecin anesthésiste-réanimateur, Frédéric Péchier, aujourd'hui âgé de 51 ans, est un homme à la carrure imposante. Il a passé la majeure partie de sa carrière professionnelle à la clinique Saint-Vincent de Besançon, "avec un passage de quelques mois, en 2009, à la polyclinique de Franche-Comté", précisait Le Parisien en 2019.
"C'est un excellent médecin, très capé en réanimation, l'un des meilleurs. Dès qu'on avait un problème grave avec un patient, c'est lui qu'on appelait", confiait alors au quotidien l'un de ses collègues. Malgré cette bonne réputation, Frédéric Péchier n'était pas apprécié par tous ses collègues, car il s'était brouillé avec certains d'entre eux.
Pourquoi est-il suspecté d'avoir commis plus d'une vingtaine d'empoisonnements ?
L'affaire débute fin 2016, lorsqu'une collègue anesthésiste du médecin donne l'alerte après trois arrêts cardiaques inexpliqués de ses patients en pleine opération. Un cas en particulier "pose question", selon Le Parisien : celui d'une femme de 36 ans "en pleine santé, qui vient pour une banale opération du dos et fait un arrêt cardiaque au beau milieu de l'opération". Un événement indésirable grave (EIG), que les professionnels ont l'obligation de déclarer aux autorités de santé, est signalé. Une enquête est lancée : elle conclut à un empoisonnement.
La justice s'empare de l'affaire. En janvier 2017, une information judiciaire est ouverte et deux mois plus tard, Frédéric Péchier est mis en examen pour sept cas d'empoisonnements de patients. En parallèle, une enquête préliminaire sur d'autres faits est ouverte. Elle conduit, en 2019, à la mise en examen de l'anesthésiste pour 17 nouveaux cas, ce qui porte à 24 le nombre de patients concernés, âgés de 4 à 80 ans. Depuis, la justice a ordonné des expertises sur huit cas supplémentaires, soit, au total, 32 cas potentiels d'empoisonnements.
Le 8 mars, la juge d'instruction a interrogé Frédéric Péchier sur des EIG survenus entre 2008 et 2012, parmi lesquels se trouvaient trois cas nouveaux. Dans la foulée, le médecin a été mis en examen pour le cas survenu le 25 septembre 2009 et pour un autre, mortel, remontant au 11 décembre 2012, précise à franceinfo le procureur de la République de Besançon. Etienne Manteaux confirme aussi que la juge d'instruction l'a placé sous le statut de témoin assisté pour un troisième EIG survenu le 23 mars 2012, car pour celui-ci, les experts "ne peuvent pas établir un empoisonnement certain".
Comment et pourquoi est-il soupçonné d'avoir agi ?
Frédéric Péchier est soupçonné d'avoir "pollué les poches d'hydratation ou les poches de paracétamol", reliées par perfusion aux patients, avec des anesthésiques locaux ou du potassium, expliquait le procureur de Besançon en mai 2019. "Le poison s'écoule au goutte à goutte et provoque un arrêt cardiaque", avait alors exposé Etienne Manteaux lors d'une conférence de presse. "Dès lors que personne n'imaginait un empoisonnement, il n'était recherché dans le sang que les anesthésiques locaux administrés pendant l'opération. Cela passait toujours inaperçu", avait-il précisé.
"L'auteur de ces empoisonnements n'a jamais été pris sur le fait", avait admis le procureur. Mais pour le magistrat, le docteur Péchier est "le dénominateur commun" de ces événements indésirables survenus dans les deux cliniques bisontines. Omniprésent, il effectue des diagnostics précoces sur les surdosages en potassium et, contrairement à tous ses confrères et toutes ses consœurs, n'est jamais concerné par un EIG.
Pourquoi aurait-il empoisonné des patients ? Les enquêteurs avancent deux motivations. D'abord, ils le soupçonnent d'avoir agi en "pompier pyromane" : il aurait provoqué des arrêts cardiaques ou des incidents opératoires pour mieux démontrer par la suite ses talents de réanimateur. Mais ses interventions auraient aussi permis de discréditer ses collègues, avec lesquels il était "en conflit aigu", selon le procureur.
A-t-il encore le droit d'exercer ?
Pour l'instant, non. A la suite de ses multiples mises en examen, le juge des libertés et de la détention n'a pas placé Frédéric Péchier en détention provisoire, mais l'a laissé libre sous contrôle judiciaire. Avec deux interdictions : résider dans le Doubs et exercer comme médecin-anesthésiste. Son contrôle judiciaire a récemment été allégé pour la première interdiction, ce qui lui a permis de revenir dans le Doubs voir sa famille.
Afin qu'il puisse reprendre une activité professionnelle, ses avocats avaient saisi la chambre de l'instruction pour demander l'autorisation de recevoir à nouveau des patients. En janvier, la cour d'appel de Besançon a répondu favorablement à cette demande, à deux conditions : que Frédéric Péchier n'exerce qu'en tant que généraliste et non comme anesthésiste d'une part, et qu'il obtienne l'accord du Conseil de l'Ordre des médecins d'autre part. Mais le procureur de la République de Besançon a saisi la juge d'instruction en charge du dossier à la suite de cette décision. Cette dernière a finalement rendu, le 27 février, une ordonnance qui interdit totalement au mis en examen d'exercer la médecine. Ses avocats ont fait appel de cette décision, sur laquelle la justice tranchera mi-avril.
Quelle est sa version des faits ?
Frédéric Péchier clame son innocence depuis le début de l'affaire. "Pourquoi je ferais un truc pareil ? (...) Sous prétexte de l'adrénaline – comme si on n'en avait pas assez – je m'amuserais à injecter des produits toxiques à des personnes pour, ensuite, aller les réanimer ? C'est complètement aberrant", s'indignait-il dans les colonnes de L'Est républicain en 2017. Selon le quotidien régional (article réservé aux abonnés), l'ancien anesthésiste a tenté de se suicider en septembre 2021. Il avait alors confié vouloir "mourir innocent". Aujourd'hui, il conserve cette "position", selon l'un de ses conseils, Randall Schwerdorffer.
Bien qu'il estime être injustement poursuivi, Frédéric Péchier a préféré garder le silence, comme il en a le droit, lors de sa convocation le 8 mars. "La juge d'instruction a posé toutes ses questions. Il n'a répondu à aucune. C'est un choix de sa défense", détaille à franceinfo son avocat.
A l'exception de "deux cas", dans lesquels les poches de perfusion ont été retrouvées et ont pu être analysées, et pour lesquels son client n'est selon lui "pas impliqué", Randall Schwerdorffer conteste la matérialité des empoisonnements pour lesquels son client est mis en examen. "On est dubitatifs. Beaucoup de cas sont nébuleux. Sont-ils réellement des empoisonnements ? Les experts n'ont pas de réponse formelle", assure l'avocat.
Pourquoi n'a-t-il pas été entendu pendant quatre ans ?
Avant sa convocation devant la juge d'instruction le 8 mars, Frédéric Péchier n'avait plus été entendu par dans le cadre de l'enquête depuis 2019. Une longue période qui s'explique par des considérations techniques. Pour savoir s'il y a bien eu empoisonnement, des expertises ont en effet été réalisées, puis des contre-expertises... suivies d'une troisième série d'expertises. Ce qui a pris beaucoup de temps. Début mars, le procureur Etienne Manteaux expliquait à franceinfo que la juge d'instruction avait reçu quinze "contre-contre-expertises" sur les 32 attendues. "Les premiers contre-experts ont rendu un travail lacunaire", avait également déploré le magistrat. Ces éléments sont pourtant déterminants pour permettre à la juge d'instruction de poursuivre ses interrogatoires sur des faits concrets.
"C'est un dossier hors norme, complexe, et les experts ont mal fait ou pas fait leur travail", regrette Frédéric Berna, avocat de parties civiles. Mais à ses yeux, ce n'est pas la seule raison qui justifie la lenteur de l'instruction. "La défense multiplie les recours et les incidents ridicules", dénonce-t-il auprès de franceinfo. L'avocat, qui défend les victimes liées à une quinzaine de cas, ajoute : "Le docteur Péchier fait tout pour retarder l'évolution du dossier, quand on se bat pour qu'il avance. C'est très révélateur."
Y aura-t-il un procès un jour ?
C'est ce que les parties civiles appellent de leurs vœux. "Les victimes ressentent un mépris profond : c'est insupportable. Elles attendent un procès, ne demandent que ça", insiste Frédéric Berna. Mais la décision de renvoyer devant une cour d'assises Frédéric Péchier après six ans d'investigations revient à la juge d'instruction. Comme le résume L'Est républicain, c'est à elle "de déterminer (…) si cet anesthésiste de talent mérite d'être renvoyé devant un jury pour s'expliquer sur cette affaire, qui de l'aveu général, n'a aucun équivalent en France". Or, la défense de Frédéric Péchier nourrit "beaucoup de suspicions" vis-à-vis de la magistrate en charge du dossier, et envisage une requête en récusation. "Pour un procès pénal équitable, il faut une instruction équitable, pas seulement à charge", martèle Randall Schwerdorffer.
Je n'ai pas eu le temps de tout lire, vous me faites un résumé ?
Le médecin-anesthésiste Frédéric Péchier est soupçonné d'avoir commis 26 empoisonnements, dont dix mortels, lorsqu'il était en exercice à la clinique Saint-Vincent à Besançon, entre 2008 et 2016. Il a été mis en examen pour ces cas, et pourrait l'être à nouveau, pour cinq supplémentaires. Le docteur, interdit d'exercer son activité, clame son innocence, mais a choisi le silence face à la juge d'instruction lors de son dernier interrogatoire. Les parties civiles espèrent que l'enquête ouverte en 2017 conduira un jour à un procès, tandis que sa défense dénonce une instruction à charge. Les expertises constituent un enjeu au cœur de ce dossier tentaculaire, complexe et inédit : si tous les cas d'empoisonnements étaient avérés, ce serait du jamais-vu en France.
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