Ex-agents secrets soupçonnés de trahison : "Tenter de recruter les espions est dans la nature des services"
Pour y voir plus clair sur cette affaire de contre-espionnage, franceinfo a interrogé Louis Caprioli, ancien de la sécurité intérieure et expert du monde du renseignement.
Une affaire d'une "extrême gravité". C'est en ces termes que les autorités françaises ont qualifié les soupçons de trahison qui pèsent sur deux ex-agents de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). L'enquête est menée par la DGSI, Direction générale de la sécurité intérieure, compétente dans ces affaires de contre-espionnage. Arrêtés et incarcérés, les deux hommes ont été mis en examen, notamment pour "intelligence avec une puissance étrangère" et "collecte d'informations portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation en vue d'une livraison à une puissance étrangère".
D'après TMC et Le Monde, ces personnes auraient livré des informations à la Chine. Interrogées par différents médias dont franceinfo, les autorités françaises se sont refusées à donner des détails sur l'affaire, normalement réglées dans le plus grand secret. Pour y voir plus clair sur les méthodes du renseignement et du contre-espionnage dans ce genre de dossier, franceinfo a interrogé Louis Caprioli, ancien de la Direction de la sécurité du territoire (l'ancêtre de la DGSI) et expert du renseignement.
Franceinfo : Y a-t-il eu, par le passé, des cas similaires d'agents de la DGSE accusés d'intelligence avec une puissance étrangère ?
Louis Caprioli : Il y a eu quelques cas d’agents de la DGSE qui ont été mis en examen et incarcéré dans ce type de dossier, mais ce sont des situations très rares. C’est un phénomène que nous avons notamment connu pendant la Guerre froide. Ces méthodes étaient très pratiquées par le KGB, le service de renseignement militaire soviétique, et tous ses alliés. Mais il est évident que tous les officiers de renseignement qui sont en poste à l’étranger, s’ils sont identifiés, peuvent faire l’objet d’une approche en vue d’un recrutement.
Comment les services étrangers s'y prennent-ils ?
On commence par faire ce qu'on appelle "un environnement". Les services locaux vont suivre ces officiers présents dans leur pays, les écouter pour tenter de découvrir leurs faiblesses pour l'inciter à fournir des renseignements. C'est ce qu'on appelle le "MICE" (Money, Ideology, Coercition, Ego).
On s'appuie sur quatre leviers : le convaincre par l'argent, par l'idéologie, en essayant de le compromettre et de le menacer ou en flattant son ego.
Louis Capriolià franceinfo
Dans cette affaire, les chefs d'accusations sont multiples : "intelligence avec une puissance étrangère", "collecte d'informations portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation"... Pouvez-vous nous aidez à y voir plus clair ?
Dans ce genre d'affaire, le plus classique c’est l’article 80-3 : "l'intelligence avec des agents de puissances étrangères". C'est la première qualification qui tombe dans les affaires d'espionnage. Par "intelligence", il faut simplement comprendre "échange de renseignements". Dans la loi, nous avons seulement repris le terme anglais.
Lorsque le parquet rentre dans le détail des chefs d'accusation, comme c'est le cas ici, c'est qu'on dispose d'éléments laissant penser que les informations ont bien été transmises à des services étrangers et que celles-ci peuvent nuire à la sécurité nationale. On est à la limite d'une infraction criminelle, car ces affaires peuvent être jugées aux assises. Parfois, elles finissent par être "correctionnalisées", c'est-à-dire que c'est le tribunal correctionnel qui va finalement se charger du dossier.
Selon certaines sources, les agents sont accusés d'avoir collaboré avec Pékin. Est-ce que la Chine a la réputation d'avoir particulièrement recours à ce genre de méthode ou est-ce le cas de toutes les nations ?
C’est une pratique complètement généralisée, c'est ainsi que fonctionne le renseignement. Nous sommes amis avec presque tout le monde, mais nous avons des concurrents partout. Du coup, tenter de recruter les espions est dans la nature des services.
Dans un pays comme la Chine, nous avons des officiers déclarés de la DGSE – un ou deux – qui servent d’agents de liaison. Mais nous avons des officiers non-déclarés : les clandestins, qui n’auront aucun rapport avec leurs autres collègues en poste. Les services chinois, qui sont très implantés dans la population de leur pays, font logiquement de gros efforts d’investissement pour les identifier, les surveiller et si possible les recruter. Ils font ça avec nous, mais aussi avec les Russes, les Pakistanais, les Américains...
L'objectif de ce type de recrutement, c'est de tout savoir sur la façon dont fonctionne le service étranger. Ils essayent de récupérer tout un organigramme du service, tous les officiers traitant, et surtout les sources dont dispose ces agents sur leur territoire. L’espionnage est un jeu de billard à plusieurs bandes.
Si ces officiers français ont réellement trahi et communiqué le nom ou les pseudos de leurs sources, ils ont condamné des gens à mort en Chine.
Louis Capriolià franceinfo
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