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Au procès du meurtre d'Aurélie Fouquet, la loi du silence incarnée par un accusé

Les interrogatoires des accusés ont commencé, mercredi 30 mars, avec celui de Malek Khider. S'il est le seul à avoir reconnu sa participation à la tentative de braquage qui s'est soldée par la mort de la policière, il refuse de donner des noms.

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Malek Khider devant la cour d'assises de Paris le 2 mars 2016. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCETV INFO)

"Je n'ai rien à cacher, sauf les noms." Malek Khider se tient debout dans le box des accusés. Crâne rasé, visage anguleux, il porte un pull noir à col roulé, qu'il réajuste de temps en temps sur son pantalon. Il est jugé devant la cour d'assises de Paris pour le braquage avorté d'un fourgon blindé. Prévu le 20 mai 2010, celui-ci a dégénéré en fusillade à Villiers-sur-Marne (Val-de-Marne), au cours de laquelle la policière municipale Aurélie Fouquet a été tuée.

Malek Khider n'est pas renvoyé pour meurtre mais principalement pour "participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un crime". Il a un rôle particulier dans ce dossier : c'est lui qui a été arrêté en premier. C'est lui qui parle, dès sa garde à vue, d'un "projet" et plus tard, de l'attaque d'un fourgon blindé de transport de fonds. C'est aussi le seul à reconnaître avoir participé au "commando".

"L'argent, l'argent, c'est le point de départ…"

"On m'a contacté deux à trois mois avant les faits. On cherchait quelqu'un et d’après ce que j’ai compris, j’ai remplacé quelqu'un", explique Malek Khider, mercredi 30 mars. C'est le premier interrogatoire d'un accusé dans ce procès-fleuve, prévu pour durer jusqu'à mi-avril. 

La première fois je n'ai pas dit oui. C'est par rapport aux problèmes financiers que je rencontrais que j'ai dit oui, je veux participer.

Malek Khider,

devant la cour d'assises de Paris

Fiché au grand banditisme, condamné à plusieurs reprises, Malek Khider avait quitté son emploi début 2010. Il avait une dette importante. A l'issue du braquage, 750 000 euros devaient lui revenir. "L'argent, l'argent, c'est le point de départ…"

"Si je veux pas donner de nom, c'est pour protéger ma famille"

Malek Khider donne des précisions sur le rôle qu'il devait avoir : immobiliser le fourgon blindé avec une herse et puis "faire barrage" avec une arme. Mais jamais il ne donne le nom de celui qui l'a contacté pour faire "le coup". C'est la loi du silence à laquelle se heurte ce procès depuis qu'il a commencé, le 1er mars. Surtout, ne rien dire, ne pas "balancer" : c'est la loi tacite de ce milieu.

L'accusé aujourd'hui âgé de 48 ans dit craindre des représailles. "Si je veux pas donner de nom, c’est pour pas qu’on dise 'Malek c’est un mec bien, pas une balance'. C’est pour protéger ma famille." Ses mains s'agitent quand il parle. Il a une voix rauque, cassée. "Qu'on me tire dessus, rien à foutre, mais je veux pas qu'on touche à ma femme et mes enfants."

"Un voleur n'est pas un assassin"

L'interrogatoire tourne en rond. Le président de la cour d'assises se heurte à un mur. Peu prolixe, il renonce à aller plus loin. "Euh… Oui… Bon, bon…", commente-t-il de temps en temps. C'est finalement un avocat de la partie civile qui reprend la main, en début d'après-midi. Il rappelle à Malek Khider ses propos pendant l'enquête.

- "Vous avez dit 'Si j'avais été dans la camionnette [où se trouvaient les tireurs] j'aurais fait en sorte que cela ne se passe pas comme ça'.

- Je monte pas [au braquage] pour tuer des gens. C'est pas à 40, 50 ans que je me serais amusé à tirer sur des policiers. Donc j'aurais fait en sorte que ça se passe bien. (…) Un voleur n'est pas un assassin."

Malek Khider s'agace. Laurent-Franck Liénard, avocat de la famille d'Aurélie Fouquet, en profite pour reprendre le flambeau.

- "Alors si vous aviez été dans cette camionnette [avec les tireurs], qu'est-ce qui aurait pu se passer, au pire ?

- Au pire j'aurais tiré en l'air. J'suis pas un assassin, j'suis pas Cendrillon, j'suis pas non plus un démon. Je n'aurais jamais tiré sur qui ce soit."

"Se taire, c'est la bonne solution pour éviter que des innocents se fassent tuer ?"

Laurent-Franck Liénard fait face à un accusé qui a un air narquois. Mais il ne veut pas lâcher le morceau.

- "Est-ce que se taire c'est la bonne solution pour éviter que des innocents se fassent tuer ? Il faut y réfléchir, faire votre introspection. Vous avez peur d'une balle perdue pour votre fils, mais demain, si le responsable de la mort d'Aurélie Fouquet tue quelqu'un d'autre, vous aurez votre part de responsabilité…

- Je comprends, mais ma famille est dehors, il y a des règlements de compte et ça ne change rien.

- Votre famille n'est pas en danger… Cela n'existe pas, des familles qui se font tuer parce que l'accusé a balancé. Ça existe en Sicile, pas en France… Vous êtes sûr que c'est pas votre sécurité que vous défendez ? Ou votre confort en prison ?

- Non."

"Dire des noms, ça va pas ramener Aurélie Fouquet"

Briser la loi du silence n'est pas chose aisée. Laurent-Franck Liénard continue de s'y atteler. Il essaie de toucher la corde sensible de Malek Khider. Il parle du fils d'Aurélie Fouquet, Alexis. La veille, ce petit garçon de 7 ans a assisté aux débats. Il avait besoin de voir "les méchants qui ont tué sa maman". Il était dans le public, pendant que la psychologue qui l'a expertisé parlait de lui à la barre.

"Le petit Alexis, il souffre, vous l'avez vu, il est venu ici. Vous pouvez arrêter cette souffrance", insiste maître Liénard. Il sait qu'il s'adresse à un père de famille. "Pensez à l'image que vous donnez à votre fils." Celui-ci est très attaché à son père, la femme de Malek Khider l'a répété le matin-même.

- "En aucun cas je sais qui a tiré sur Aurélie Fouquet.

- Vous verrouillez l'information, mais être un type bien c'est aller au bout, et donc dire 'OK j’ai déconné', et dire la vérité. On ne sait rien aujourd’hui… Mais vous avez les clés.

- J'ai pas les clés. Je sais pas qui a tiré sur la policière. Dire des noms, ça va pas ramener Aurélie Fouquet et ça va engendrer de la violence."

"Vous me piégez un peu, là"

Malek Khider est cadenassé. Mais la joute n'est pas terminée. A l'avocate générale, Maryvonne Caillibotte, de le pousser dans ses retranchements. Elle insiste pour savoir quel était son rôle, pourquoi on l’a appelé pour ce braquage.

Elle revient sur les deux seuls noms que Malek Khider a donnés dans ce dossier. Ceux de personnes qui n'ont pas participé "à l'affaire" : Rédoine Faïd et Rabia Hideur, son "cousin". Malek Khider ne s'en souvient plus. S'embrouille. L'avocate générale prend les choses dans l'autre sens : "Et alors, qui d'autre n'était pas là ?" "Oh mais là, vous me la faites à l'envers…",  répond Malek Khider. Quelques rires fusent dans la salle après cette drôle de réplique.

Mais pour la première fois, Malek Khider est un peu déstabilisé. Les questions de l'avocate générale sont bien plus précises que celles du président de la cour d'assises le matin. "Vous me piégez un peu, là", confesse-t-il. "C'est le jeu", rétorque Maryvonne Caillibotte. A ce "petit jeu", Malek Khider, jugé en état de récidive, encourt une réclusion criminelle à perpétuité.

Jean-Claude Bisel, autre accusé, ne risque que trois ans de prison dans cette affaire. On lui reproche d'avoir veillé et caché Olivier Tracoulat, un accusé blessé qui n'a jamais été retrouvé. Jean-Claude Bisel a pris la parole le 24 mars pour désigner cet accusé, sans le nommer, comme le ou un des tireurs. Il avait promis de s'expliquer pendant son interrogatoire, laissant un mince espoir de voir surgir la vérité dans ce procès où règne l'omerta. Pourtant, mercredi, il n'a donné aucune information supplémentaire. Devant la cour, lui aussi joue au roi du silence.

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