Scandale des enfants placés du Nord : "J'ai l'impression de ne pas avoir fait mon travail", confie un ex-éducateur de l'Aide sociale à l'enfance

À travers le témoignage d'un ancien éducateur de l'ASE, mercredi au troisième jour du procès de violences sur mineurs placés dans des familles sans agrément, les défaillances de tout un système ont été soulignées, corroborées par l'insoutenable récit de deux premières victimes.
Article rédigé par franceinfo
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Au tribunal de Châteauroux où se tient le procès des enfants placés du Nord, le 14 octobre 2024. (TROULLIAUD / MAXPPP)

Un ancien éducateur de l'Aide sociale à l'enfance (ASE) du Nord a été entendu comme témoin. Il est le seul membre de cette institution qui sera entendu dans le cadre du procès. Jusqu'à vendredi, 19 personnes sont jugées devant le tribunal correctionnel de Châteauroux, pour avoir accueilli sans agréments des mineurs, dont certains ont subi des violences physiques, psychologiques, des humiliations et du travail forcé.

L'ASE n'est pas sur le banc des accusés, au grand dam des parties civiles et de la défense. L'homme à la barre est l'ancien éducateur de Matthias, victime de violence. "Matthias ne m'a jamais rien dit", explique l'homme. "Pourtant, des signalements ont été faits à la zone du Nord, notamment des coups de cravache", lance un avocat. "Je ne sais pas. J'étais en congé. Je n'ai pas eu de remontées de mes collègues", répond-il.

"Je m'en veux"

"Les murs de l'ASE du Nord sont-ils tellement épais qu'on n'entend pas les cris des enfants ?", rétorque un avocat. L'éducateur tente d'expliquer qu'il devait gérer "80 enfants, faire 39 heures par semaine" et qu'il y avait "seulement deux psychologues pour 2 500 enfants". "Et ce n'est pas possible. Et c'est pour ça que j'ai arrêté le métier", lâche-t-il.

"Est-ce qu'une situation comme ça peut se reproduire ?", demande l'avocat. "Je ne peux pas répondre à cette question, confie l'ancien éducateur, aujourd'hui toujours employé au département du Nord. Mais j'ai l'impression de ne pas avoir fait mon travail et je m'en veux pour ça."

Pour l'avocate de dix enfants, Myriam Guedj Benayoun, cet éducateur ne peut pas porter la responsabilité d'un système. "Il a avoué et s'est mis dans le système. Alors oui, il y a eu des failles et il a eu le courage de dire qu'il fait partie de ces failles. Moi, je ne suis pas certaine que ce soit le cas. Ce n'est pas parce que ça ne va pas à l'ASE qu'il faut remettre la faute sur les éducateurs. Les éducateurs, il y a un turn-over incroyable. Ils démissionnent tous."

"Est ce qu'il y a une gestion rigoureuse ? Est-ce qu'on ne repose pas sur les épaules de ces gens-là, tout le système? Je pense que la réponse est oui et on est en train de les broyer. Combien d'éducateurs font des burn-out ? Il n'y en a pas un seul qui a tenu le coup dans ce dossier."

Myriam Guedj Benayoun, avocate de dix enfants

à franceinfo

"Il m'a menacé au sol avec une fourche"

Les témoignages doivent se poursuivre jeudi mais déjà deux jeunes victimes de violences sont venues témoigner à la barre. Il y a Jean Keandy, âgé 21 ans aujourd'hui et qui avait 12 ans à l'époque. La peau noire, les cheveux noués en nattes, il a été victime de racisme et de violence. Il a du mal à détailler. "Pardonnez-moi pour cette question, mais vous faisiez pipi au lit ?", lui demande le président du tribunal. "Oui, à cause du stress", répond-il.

Comme lui, Mickael, sweat à capuche, raconte les baffes, les insultes et les coups sur le corps : "Julien m'a chopé. Il m'a étranglé jusqu'à ce que je devienne bleu. Je suis retombé sur le sol. C'est arrivé deux fois. Les étranglements. Il m'a menacé au sol avec une fourche. C'était complètement gratuit". Mardi après-midi, à la barre, le principal suspect Julien M. a nié les violences et a préféré parler de recadrage.

"Vous avez des enfants ?, lance Mickaël au président. Vous les emmèneriez chez des gens que vous ne connaissez pas ?" Ces violences, Jean Keandy y pense encore tous les jours. Il raconte aussi le travail forcé : "On cassait les murs. On faisait des tranchées, du ciment, du jardinage." "Vous en voulez à l'ASE de ne pas vous avoir protégé ?", lui demande-t-on. "Moi, j'en veux à Julien, pas à l'ASE. L'ASE, ils ont mal fait leur travail de nous envoyer là-bas, poursuit Jean Keandy. Mais lui, il nous a détruits avec sa violence."

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