Trafic de drogue à Canteleu : ce que la justice reproche à l'ex-maire Mélanie Boulanger et son adjoint, jugés à partir de lundi

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié
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La mairie de Canteleu (Seine-Maritime), le 5 août 2022. (OLIVIER ARANDEL / LE PARISIEN / MAXPPP)
Deux élus de cette ville de Seine-Maritime comparaissent pour complicité de trafic de drogue devant le tribunal de Bobigny, aux côtés de 17 autres personnes.

Elle va prendre place sur le banc des prévenus, aux côtés de son adjoint et de 17 autres personnes. L'ex-maire socialiste de Canteleu (Seine-Maritime) Mélanie Boulanger, démissionnaire depuis février, comparaît devant le tribunal de Bobigny (Seine-Saint-Denis) à partir du lundi 27 mai, dans une vaste affaire de trafic de drogue. Cette femme de 47 ans, figure du PS rouennais et tête de liste PS-EELV aux élections régionales de 2021, est jugée pour complicité dans ce dossier, tout comme son adjoint, Hasbi Colak.

Tout commence en septembre 2019, avec l'interpellation en Seine-Saint-Denis d'un homme lié à une famille de Canteleu, les Meziani, au cœur du dossier. La police saisit plus de deux kilos de cocaïne et 50 000 euros en espèces, selon l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, consultée par franceinfo. Une information judiciaire est alors ouverte au tribunal de Bobigny pour trafic de stupéfiants et association de malfaiteurs. Les investigations vont mettre au jour, selon l'accusation, "une organisation familiale très structurée, autour de la fratrie Meziani" – deux frères et une sœur impliqués – pour faire fructifier un trafic de cannabis, de cocaïne et d'héroïne, dont les bénéfices sont réinvestis au Maroc.

Des conversations téléphoniques compromettantes

Des liens sont aussi mis en évidence entre les trafiquants et la mairie de Canteleu. Selon des interceptions téléphoniques, mentionnées dans l'ordonnance de renvoi, les deux frères Meziani, dont l'un opère depuis le Maroc, appellent régulièrement Hasbi Colak, ami de longue date et adjoint au commerce et au développement de la ville, pour exercer des pressions et des menaces. Ils lui demandent, par exemple, de faire cesser les verbalisations d'un policier municipal ou de les prévenir des patrouilles de police dans la ville. L'enquête révèle aussi que le conseiller municipal a mis son véhicule de société à leur disposition.

Les écoutes sont également compromettantes pour la maire, élue depuis 2014 à la tête de cette commune de 14 000 habitants. Mélanie Boulanger échange souvent avec son adjoint au sujet des trafiquants. Fin 2019, ils discutent de l'installation de caméras de surveillance dans la cité Rose de Canteleu et de la colère des Meziani de ne pas en avoir été informés. Début 2020, l'un des frères parle directement à l'édile, via le téléphone de Hasbi Colak, et lui demande d'agir auprès d'un commissaire pour que les policiers cessent d'intervenir dans leur bar. En échange, les Meziani affirment qu'ils sont capables de lui garantir sa réélection.

Selon l'accusation, la maire contacte effectivement le commissaire pour lui demander des comptes sur une opération de police musclée et sollicite le report de pose de caméras de surveillance lors d'un conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance. Des éléments balayés par la défense. "Elle est parfaitement innocente de ce dont on l’accuse", affirmait fin février sur France Bleu Normandie son avocat, Arnaud de Saint Remy, dénonçant "l'acharnement dont sa cliente est victime de la part de certains".

Des dénégations en garde à vue

En octobre 2021, Mélanie Boulanger, Hasbi Colak et 17 personnes sont placés en garde à vue lors d'un coup de filet. Au total, environ un million d'euros de biens mobiliers sont saisis, des voitures, des comptes bancaires, 340 000 euros en liquide, des armes à feu, 75 kg de produits de coupe, 15 kg d'héroïne et 6 kg de résine de cannabis, selon France Bleu Normandie.

Devant les enquêteurs, la maire conteste les faits qui lui sont reprochés. Confrontée aux écoutes, elle met en avant sa lutte contre le trafic de stupéfiants dans la ville et affirme avoir été menacée par les frères Meziani, sans pour autant avoir déposé plainte. Selon elle, les trafiquants l'ont contactée pour tenter "de l'impressionner, de l'intimider, de la dissuader de mener le combat" contre la délinquance.

"Ils ont essayé plusieurs fois d'entrer en contact avec moi par personne interposée. Je suis une élue de terrain. On m'appelle, je réponds. Ils ne m'ont évidemment jamais appelée eux-mêmes."

Mélanie Boulanger

devant les enquêteurs

Son adjoint, lui, reconnaît avoir prêté son véhicule à l'un des mis en cause, mais assure qu'il ignorait son implication dans un trafic de stupéfiants. Il admet rendre des services aux frères Meziani pour être en paix avec les jeunes du quartier. Les deux élus sont remis en liberté le lendemain, sans poursuite. Mélanie Boulanger tient une conférence de presse, décrivant "le pire moment de sa vie". "Je n'ai jamais été inquiète de l'issue de cet épisode, car je sais que je suis irréprochable", ajoute-t-elle.

Un double jeu, selon l’accusation

Mais les investigations se poursuivent. En avril 2022, la maire et son adjoint sont mis en examen pour complicité de transport, détention, acquisition, offre ou cession de stupéfiants et placés sous contrôle judiciaire. Mélanie Boulanger clame son innocence dans une déclaration et fait part de ses craintes depuis son placement en garde à vue : "[Les trafiquants] ont décidé de se venger et de le faire payer, à moi et à la mairie." Lors de son premier interrogatoire par le juge, la maire maintient ne pas avoir tenté de s'opposer à l'installation de caméras de surveillance pour protéger le trafic de stupéfiants. Il n'empêche. En janvier dernier, les juges d'instruction de Bobigny ordonnent son renvoi devant le tribunal correctionnel, ainsi que de son adjoint et de 17 autres personnes, suivant ainsi les réquisitions du parquet.

Dans leur ordonnance, les magistrats évoquent un double jeu de Mélanie Boulanger, qui affichait publiquement une volonté de lutter contre le trafic de stupéfiants, mais dont les décisions étaient orientées par les trafiquants. "Le double discours, il est plutôt vis-à-vis des trafiquants, oppose Jérémy Kalfon, l'avocat d'Hasbi Colak. [Les deux élus] passent leur temps à être très diplomates avec [les trafiquants] et à marcher sur des œufs, ils ne leur disent pas toujours la vérité." Selon lui, il n'y a "pas eu de contrepartie, aucun enrichissement ni de bénéfice politique" dans cette affaire. Seule en lice aux municipales de 2020, Mélanie Boulanger était assurée de garder son fauteuil.

"La démarche de la mairie, ça va être de ne jamais dire non frontalement, de botter en touche, de gagner du temps. Mais il n'y a eu aucun acte du côté de la municipalité pour satisfaire les trafiquants."

Jérémy Kalfon, avocat de Hasbi Colak

à franceinfo

Sollicité par franceinfo, l'avocat de Mélanie Boulanger n'a pas donné suite. "Je suis innocente, toujours debout", avait lancé sa cliente lors de ses vœux aux administrés, en janvier. Un mois plus tard, la maire a fini par démissionner "pour raison de santé", évoquant "une décompensation aussi inattendue que préoccupante". Mélanie Boulanger et Hasbi Colak encourent dix ans de prison.

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