"Maison de l'horreur" dans le Pas-de-Calais : ce qu'il faut savoir de cette affaire jugée mardi au tribunal
L'affaire avait fait grand bruit en août dernier. A Noyelles-sous-Lens, dans le Pas-de-Calais, leur domicile est désormais connu sous le nom de "maison de l'horreur". Le couple qui l'occupait est accusé d'avoir maltraité ses dix enfants, dans un contexte de grande misère sociale. Les victimes sont sept mineurs âgés aujourd'hui de 9 mois à 16 ans, et un majeur de 20 ans. D'éventuels faits commis sur leurs deux aînés de 21 et 24 ans sont prescrits.
Leurs parents, âgés de 44 et 40 ans, lui garagiste non déclaré, elle sans emploi, sont accusés de les avoir attachés à des chaises, privés de soins, insultés… "Ce qui est reproché, c'est surtout le manque d'hygiène total, et des carences éducatives graves", soit "le fait de ne pas s'être occupé de façon normale de ses enfants", avait précisé le procureur de Béthune, Thierry Dran. Les parents, poursuivis pour violence par ascendant sur mineurs de 15 ans, sont jugés mardi 24 janvier et encourent jusqu'à cinq ans de prison et 75 000 euros d'amende. Retour sur cette affaire.
"Beaucoup de violences physiques"
Ils étaient douze à vivre dans une maison en briques rouges, typique de la région. C'est l'un des aînés, Bryan, 21 ans, qui a appelé les services sociaux, après une dispute avec son père. Son signalement a déclenché une saisine du parquet le 30 août, puis l'interpellation des parents.
Le 31 août au matin, lorsque les policiers arrivent au domicile familial, deux enfants de 2 et 5 ans dorment ligotés sur des chaises hautes. Le bébé de 2 ans accuserait un sérieux retard de motricité. Le procureur de Béthune a déclaré qu'ils se trouvaient "dans un état d'hygiène déplorable". "J'ai vécu beaucoup de violences physiques, beaucoup de violences verbales, et je suis l'un des enfants qui ont le moins vécu toutes ces violences", a témoigné Bryan sur BFMTV dans l'une des nombreuses interviews qu'il a données dans les jours qui ont suivi l'affaire.
Auditionnés, les enfants ont raconté les diverses maltraitances subies pendant des années, ainsi que les graves "négligences dans l'hygiène, les soins" et les "carences éducatives". Mais aucune trace de coups n'a été constatée. Bryan a pourtant assuré qu'il y en avait bien eu. "J'ai vu l'homophobie envers mon frère de 24 ans. L'acharnement : des coups de pied, des coups de poing, des coups de bâton, des coups de fouet, des coups de raclette, des coups de balai, de chaussures de sécurité. J'ai vu mon père jeter un casque dans le ventre de mon petit frère, qui a eu la respiration coupée", a-t-il détaillé sur BFMTV.
Tous les enfants mineurs ont été pris en charge par l'Aide sociale à l'enfance et font l'objet d'un placement provisoire. Les parents ont été placés en garde à vue et présentés devant un juge. Après avoir reconnu les faits, ils ont été placés sous contrôle judiciaire avec interdiction d'entrer en contact avec leurs enfants et une obligation de soins.
Des défaillances des services sociaux ?
Après la découverte de cette sordide affaire, le gouvernement a annoncé début septembre l'ouverture d'une enquête administrative pour comprendre comment les dix enfants de la famille avaient pu subir de telles maltraitances, malgré un suivi social. Car la famille était "connue" des services de protection de l'enfance depuis un premier signalement en 2013, avait fait savoir la secrétaire d'Etat chargée de l'Enfance, Charlotte Caubel, lors d'un déplacement à Arras dans le cadre de cette affaire. Elle avait reconnu des "défaillances" dans la "coordination" des services de protection de l'enfance, et avait notamment pointé que les différents signalements dont le couple avait fait l'objet n'avaient "pas nécessairement été recoupés". "Tous les services [les] ont accompagnés, chacun dans leur silo", mais "on n'a pas mis en lien les problématiques du grand frère avec celle du nourrisson" et "on ne s'est pas rendu compte de la récurrence, et de la difficulté qui allait en s'accroissant", avait-elle observé.
Lors des visites des services sociaux, les parents, "préalablement informés", mettaient en place "une 'normalité de façade", a déploré l'association l'Enfant Bleu, partie civile, qui plaide pour des "visites inopinées" pour les cas "inquiétants". "Les visites des assistantes sociales, par exemple, étaient connues à l’avance du couple noyellois, qui aurait eu tout le loisir de 'gommer' les signes de maltraitance", relève La Voix du Nord (article payant).
Outre l'enquête administrative, le gouvernement a proposé de mettre en place un "comité de suivi renforcé" incluant tous les acteurs du département : cette expérimentation a pour objectif d'améliorer la coordination et l’échange d’informations entre les différents acteurs de la protection de l’enfance.
Un emballement médiatique
Aussi "inacceptable" qu'elle soit, la situation ne reste "pas si exceptionnelle que ça" sur "un territoire très particulier, avec un certain nombre de familles en situation difficile, de pauvreté", a souligné Charlotte Caubel.
Pourtant, l'affaire a fait l'objet d'un certain emballement médiatique, nourri par les nombreuses interventions de Bryan sur les plateaux télé et dans les journaux. Sa compagne a également témoigné : elle est depuis poursuivie pour non-assistance à personnes en danger, a-t-elle déploré en octobre sur le plateau de "Touche pas à mon poste".
Le domicile de Noyelles-sous-Lens a rapidement été décrit par les médias comme "la maison de l'horreur", un qualificatif "tout à fait exagéré", avait dénoncé le procureur. En l'espace d'un week-end, le dossier était devenu "l'épicentre de l'info", relate La Voix du Nord. Le parquet était extrêmement sollicité : "On s’est retrouvés embarqués dans un truc hors de contrôle", a résumé une source judiciaire.
Le procès s'annonce donc très suivi, avec un grand nombre de parties civiles : "Huit enfants plus des associations", souligne le quotidien régional. Mais aussi énormément de journalistes attendus : une vingtaine ont demandé leur accréditation, précise le journal.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.