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Infanticide de Berck : deux psychiatres font la lumière sur "le cas historique" Fabienne Kabou

Deux experts psychiatres ont tenté mercredi d'expliquer ce qu'il s'était passé dans la tête de cette mère, accusée d'avoir noyé sa fille de 15 mois. Ils ont diagnostiqué une "psychose délirante chronique paranoïaque".

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Fabienne Kabou devant la cour d'assises de Saint-Omer (Pas-de-Calais), le 20 juin 2016.  (BENOIT PEYRUCQ / AFP)

La cour d'assises du Pas-de-Calais a basculé, mercredi 22 juin, par un temps d'orage. Elle s'est engouffrée dans le monde de Fabienne Kabou, peuplé de signes occultes, de mauvais sorts, d'êtres malveillants et d'"intrigues". L'attitude de l'accusée, jugée depuis lundi à Saint-Omer pour avoir noyé sa fille de 15 mois sur une plage de Berck-sur-Mer en novembre 2013, avait laissé entrevoir ce "délire". Mais dans la balance des débats, son intelligence et son discours rationnel ont pesé plus lourd, occultant la possibilité d'une maladie mentale.

Il a fallu l'intervention d'une psychiatre pour ouvrir la brèche et se frayer un chemin dans l'esprit de cette femme de 39 ans. Fabienne Kabou souffre d'une "psychose délirante chronique paranoïaque". Le diagnostic est énoncé clairement mercredi soir par Maroussia Wilquin, membre d'un collège de trois experts psychiatres. "Cette maladie mentale se déclenche généralement à l'âge adulte et se caractérise par des idées délirantes qui s'installent durablement (plus de six mois), avec pour thèmes les plus fréquents la jalousie et la persécution", a-t-elle expliqué.

Psychotique ou névrosée ?

Mais cet avis n'est pas partagé par les trois autres collèges d'experts saisis dans ce dossier, composés de psychologues et d'un psychiatre, Louis Roure. Ils ont rangé Fabienne Kabou du côté des névrosés, qui représentent 95% de la population, et non des psychotiques. Comment expliquer une telle divergence ? La durée des expertises, peut-être, qui varie de quelques heures à "deux jours" pour celle de Maroussia Wilquin. La différence de la formation entre psychologues et psychiatres, aussi. Mais ces dissensions s'expliquent surtout par la personnalité complexe de l'accusée, qui ne présente pas l'apparence de la maladie mentale, telle qu'elle est généralement perçue.

Cette jeune femme d'origine sénégalaise, silhouette gracile dans le box, est belle et élégante. Sa voix est douce. Son langage châtié. "C'est un personnage inhabituel" pour la justice, résume à la barre le juge qui a instruit l'affaire, Hervé Vlamynck, 20 ans d'expérience. Cette mère infanticide ne rentre dans aucune case. Adélaïde, sa fille, n'a pas été victime d'un réel déni de grossesse, de carences ou de maltraitance. Dès sa naissance, elle a été choyée, aimée. Une vidéo déchirante de tendresse, projetée devant la cour mercredi matin, l'atteste. 

Butant sur ce paradoxe, la cour s'est concentrée sur les mensonges de Fabienne Kabou. Pourquoi avoir menti sur ses diplômes et ses études de philosophie ? Pourquoi avoir caché sa grossesse et son accouchement à tout le monde, en dehors de son compagnon, Michel Lafon ? Pourquoi avoir menti sur le départ de son enfant au Sénégal chez sa mère ?

"Pour elle, ce ne sont pas des mensonges"

Depuis le début, la présidente du tribunal semble s'accrocher à une réponse : sa fille grandissant, "Fabienne Kabou ne s'est-elle pas retrouvée dans une impasse, en novembre 2013 ? Au pied du mur, acculée à devoir révéler tous ses mensonges ou à faire disparaître son enfant ?" a demandé Claire Le Bonnois au psychologue Alain Penin. "Le mécanisme du mensonge dans lequel on s'enferme peut aboutir à une violence extrême", a confirmé l'expert, citant l'affaire Romand, du nom de cet homme qui s'était fait passer pour un médecin à l'OMS avant de tuer toute sa famille.

Mais dans le cas de Fabienne Kabou, pourquoi commencer à mentir ? Pour les études, un "décalage" entre une haute estime d'elle-même et ses échecs successifs a été évoqué. Pour Adélaïde, un désamour dans le couple, la volonté de garder cet enfant pour elle ou, au contraire, le souhait de se garder la possibilité de supprimer sa fille ont été abordés. A la barre, un enquêteur et le juge d'instruction ont été jusqu'à accréditer la thèse d'un bébé-"cadeau", devenu "empoisonné", dont l'accusée, cette "enfant gâtée", a cherché à se débarrasser pour des raisons utilitaires. Pour l'avocat général Luc Frémiot, cela ne fait pas de doute, cette femme est une "manipulatrice".

"L'intelligence ne protège absolument pas de la maladie mentale. Les non psychiatres voient plus facilement le mensonge que le délire", s'est agacé jeudi matin, Daniel Zagury, psychiatre de renom, qui a co-signé l'expertise avec Maroussia Wilquin. La déposition de ces deux experts a fait sortir la cour du champ de la morale et des "valeurs" cartésiennes pour un virage à 180 degrés du côté de la folie. De quoi offrir une nouvelle lecture de la mythomanie de Fabienne Kabou. "Pour elle, ce ne sont pas des mensonges, c’est une construction et finalement elle y adhère", tranche Maroussia Wilquin.

S’en tenir uniquement aux mensonges de Fabienne Kabou, ce serait passer totalement à côté d’un cas historique.

Daniel Zagury, expert psychiatre

devant la cour d'assises du Pas-de-Calais

Un "homicide altruiste"

Pour ce qui est de la sorcellerie, mentionnée par Fabienne Kabou pour justifier son geste après une question orientée du juge d'instruction, elle est "l'éclairage culturel du délire. Si on nie le délire, on hypertrophie la sorcellerie", analyse Daniel Zagury, coupant court à la focalisation des débats sur cette dimension paranormale du dossier, perçue par l'accusation comme une ligne de défense opportune. "Elle ne trouve pas d’explications rationnelles, alors elle se tourne vers la sorcellerie", abonde Maroussia Wilquin. Fabienne Kabou l'a dit elle-même : "Je m'adosse par défaut à cette explication parce quelque chose s'est réalisé à mon insu, à mon détriment." La particularité de l'accusée est de chercher à comprendre son geste, avec une intellectualisation et un détachement caractéristiques de sa pathologie. Comme tout paranoïaque, elle ne se reconnaît pas malade et refuse de prendre un traitement.

A la barre, la psychiatre a déroulé le fil de la vie de Fabienne Kabou, donnant une cohérence à un ensemble en apparence disparate : depuis toute petite, elle a grandi dans un monde clivé, entre des femmes puissantes mais "abandonnées" et des hommes "absents et abandonniques". Née hors mariage, elle a mal vécu le départ de son père à ses trois ans. "J'ai grandi à l'ombre de deux sommets, l'un de beauté, l'autre d'intelligence", dit-elle de ses deux grand-mères. Cet univers féminin se divise en deux lui aussi, entre les femmes bienveillantes et les autres, malveillantes, qui jettent des sorts. Selon Maroussia Wilquin, cette psychose est restée en sommeil jusqu'en 2008, année où Fabienne Kabou a commencé à "décompenser" et présenter des symptômes, tels que des hallucinations auditives et visuelles et la sensation de ne pas être toute seule dans son corps ni dans sa tête. 

Selon ces experts, si Fabienne Kabou cache sa grossesse à sa mère, c'est pour éviter "qu'elle en parle autour d'elle à ce réseau malfaisant de sorcières", qui se "pencheraient sur le berceau d'Adélaïde". Elle reste dans cette logique jusqu'au bout, la protégeant de l'extérieur en préférant accoucher seule à l'atelier où elle vit avec son compagnon, à Saint-Mandé, et en refusant de l'inscrire à l'état-civil. "Elles sont irrémédiablement associées dans une existence fusionnelle. 'Ada' n’existe qu’à travers sa mère", note Maroussia Wilquin, selon laquelle "il a dû se passer quelque chose le week-end précédant la mort" de l'enfant, rendant le danger imminent. La psychiatre parle ainsi d'une "préméditation délirante", dont le "processus est très ancien".

Ça n’est pas un enfant gênant pour la mère, mais un enfant en danger de n’avoir jamais acquis de statut

Daniel Zagury, expert psychiatre

devant la cour d'assises du Pas-de-Calais

Ce collège d'experts voit dans le geste de rendre l'enfant à la mer et au "néant" un "homicide altruiste", pour lui éviter "un sort pire que la mort". "C'est difficilement entendable", reconnaît devant la cour Maroussia Wilquin. Mais "il ne faut pas voir les choses avec nos standards de névrotico-normaux", ajoute-t-elle.

"OK. J'ai compris. Je suis malade"

Fabienne Kabou avait-elle sa place devant une cour d'assises ? Sur ce point, tous les experts se rejoignent, retenant l'altération et non l'abolition de son discernement au moment des faits. "On est sur le fil du rasoir. Mais nous n'avons pas retenu l'abolition du discernement car on observe chez Fabienne Kabou la persistance d’une part du psychisme adapté à la réalité, la persistance d’un débat interne et autocritique", explique la psychiatre. "On retient l'abolition quand une vague emporte totalement le sujet. Ici, il demeure une certaine forme de résistance. Elle a gardé un doute, une oscillation, une lutte interne qui a duré jusqu'au bout", confirme son confrère.

Malheureusement, "aucun élément du réel suffisamment fort n'est venu faire irruption dans son délire pour la ramener dans sa partie non délirante", observe Maroussia Wilquin. Fabienne Kabou attend un signe, de la lune, de son propre bébé. "Devant sa non-réaction, son silence, je m'enfuis", a-t-elle dit à l'audience en racontant cette fameuse soirée du 19 novembre où elle a déposé "Ada" sur la plage à marée montante.  

Aujourd'hui, Fabienne Kabou est sûrement encore convaincue du bien-fondé de son geste.

Il n’y a aucune raison qu’elle sorte de son délire spontanément, sans traitement médical.

Maroussia Wilquin, experte psychiatre

devant la cour d'assises du Pas-de-Calais

D'où cette attitude parfois arrogante, déplacée et agressive de l'accusée, sans émotion devant les photos du corps de sa fille sur la plage. Une image désastreuse pour les jurés. "Pourquoi ne se lâche-t-elle pas ?" demande son avocate, Fabienne Roy-Nansion, convaincue depuis longtemps du délire de sa cliente. "Je ne suis pas sûre que cette cour d’assises soit bienveillante pour elle. Cela nourrit son délire de persécution", répond Maroussia Wilquin.

Assise dans le box, Fabienne Kabou, dont on n'aperçoit que le haut du visage, écoute, hochant la tête, fronçant les sourcils, souriant parfois. Jeudi matin, elle a confié à son conseil peu avant l'audience : "OK. J'ai compris. Je suis malade." "Tant mieux, mais il y a encore du chemin", a commenté Daniel Zagury. Si les jurés retiennent l'altération du discernement, Fabienne Kabou encourt trente ans de prison et non plus la perpétuité. Le verdict sera rendu vendredi. 

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